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Rose-Marie Makino-Fayolle (Traducteur)
EAN : 9782742781782
148 pages
Actes Sud (02/03/2009)
3.77/5   255 notes
Résumé :
Un enfant révèle l'existence d'un instrument de musique unique au monde. Dans un bureau de dactylographie, une employée s'attache à la portée symbolique des caractères de plomb de sa machine. Avec discrétion, un jeune garçon se mêle au groupe qui ce jour-là visite sa région. Dans l'autocar, un vieux monsieur très élégant s'intéresse à l'enfant. Cet homme est un ancien poète... Une petite fille devenue muette retrouve sa voix devant la féerie d'une envolée de poussin... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (50) Voir plus Ajouter une critique
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Un livre de nouvelles constitue souvent pour moi une parenthèse, un moment de respiration, surtout lorsqu'il est lu entre deux gros livres. « La mer » de la nippone Yoko Ogawa a joué pleinement son rôle d'autant que j'ai pu y retrouver la plume élégante de l'auteure et ses thèmes majeurs dont ceux de l'onirisme et de la sensualité. Ce livre fut un bain de fraicheur bienvenu.

Le point commun entre ces nouvelles, très délicates, est l'attachement. Que ce soit par le biais du temps consacré, de l'aide, du don, de l'érotisme, de l'insolite, toutes parviennent à dévoiler le mécanisme à l'oeuvre dans l'attachement à une autre personne, de façon sensible et émouvante.

Ainsi la première nouvelle éponyme, "La mer", montre comment une conversation nocturne va naitre entre deux jeunes garçons qui ne se connaissent pas grâce à un instrument fabriqué par l'un deux, le merinkin, instrument très étonnant « fait d'une vessie natatoire de baleine à bosse. La surface de la vessie est recouverte d'écailles et à l'intérieur on a fixé des cordes faites à partir d'ailerons de poissons volants. Elles sont la source de vibrations et le tremblement de l'air se transmet aux écailles ». Un instrument dont on ne peut jouer qu'en bord de mer car sans brise de mer, pas de son.

Dans « Voyage à Vienne », nous assistons à un attachement tel qu'une femme, qui voulait seulement faire du tourisme à Vienne, va se retrouver toute la durée du séjour à veiller un mourant avec une femme rencontrée lors de ce voyage organisé. Cette nouvelle est l'occasion de réflexions touchantes sur la vieillesse et la mort : « J'ai regardé à travers la pièce. J'avais l'impression que tous les malades avaient le même visage. Les légères différences de coiffure, de forme d'oreilles ou d'épaisseur des lèvres étaient absorbées par l'ombre de la mort. Ils étaient tous recouverts d'un masque identique qui avait pour nom vieillesse et qui dissimulait leur figure d'origine ».

La troisième nouvelle « le bureau de dactylographie Butterfly » est la plus sensuelle de toutes. Pour ne pas dire érotique. La plus troublante. Une jeune femme est nouvellement recrutée dans un bureau de dactylographie. Ce bureau travaille essentiellement pour les étudiants de la faculté de médecine dont il faut taper en japonais les manuscrits. Certains termes médicaux reviennent ainsi très souvent et les caractères d'imprimerie correspondants s'abiment ainsi plus vite que d'autres. Un homme de l'ombre, un étage plus bas, veille à nettoyer ces caractères d'imprimerie, à les réparer le cas échéant. La jeune femme, amenant certains caractères abimés, ne le voit jamais derrière sa vitre, elle ne devine que sa main et sa chemise bleue. Elle entend sa voix. Afin de renouveler ce contact qui la trouble complètement, elle va trouver des prétextes quitte à malmener son matériel… « Il fait courir ses doigts sur le bi blessé, sur le kô déséquilibré. Caresse les courbes, pince les protubérances, applique sa chair sur les interstices. Il souffle dessus, les réchauffe de ses lèvres, les lèche. Comme il s'attarde minutieusement sur les endroits qui manquent, on dirait que sa langue y adhère et on a presque l'illusion qu'elle ne peut plus s'en détacher. C'est pour ça que sa langue elle aussi a pris la couleur du plomb ». Cette nouvelle fait irrésistiblement monter une tension sexuelle qui n'est pas sans rappeler celle de « l'Hotel Iris » de la même auteure qui m'avait tant marquée il y a des années déjà.

Dans « le camion de poussins », un homme noue une complicité avec une petite fille, devenue muette, on le devine sans doute un peu autiste et fascinée par les carapaces issues des mues d'insectes dont elle fait don à cet homme. Elle est également très intéressée par un camion qui passe régulièrement, transportant des poussins de toutes les couleurs. Un jour, le camion se renverse sous leurs yeux, libérant ces milliers de petits êtres fragiles…évènement qui peut-être déclenchera une véritable mue chez la fillette...

Certaines nouvelles sont très courtes comme « Crochet d'argent » qui évoque le souvenir des ancêtres, ou encore « Boites de pastilles » qui montre comment un conducteur de bus scolaire parvient à consoler les chagrins des enfants.

Le livre se termine avec une belle nouvelle « le Guide », rencontre entre un vieil homme, ancien poète devenu « titreur », métier étonnant inventé par l'auteure, et un petit garçon, fils de la guide qui en connait un rayon sur sa ville. Un bel échange de savoirs et une ode à l'amour maternelle.

Le livre est empli de descriptions poétiques qui m'ont apporté beaucoup de paix : « le moment que l'homme préférait parmi ceux qu'il passait près de la fenêtre était celui qui précédait l'aube. L'obscurité se dissolvait petit à petit à partir de la bordure est du ciel qui commençait à se teinter d'une sensation lumineuse. Les étoiles s'éteignaient l'une après l'autre, la lune s'éloignait. Alors que le monde s'apprêtait à changer d'une manière aussi audacieuse, il n'y avait pas un bruit. Tout se modifiait dans le calme ».

Ce recueil de nouvelles fait la part belle aux enfants, j'ai été touchée par la façon bienveillante dont ils sont perçus et décrits : « Son nez, ses oreilles et son dos, simplement parce qu'ils étaient petits, faisaient sentir que Dieu y avait apporté un soin particulier. Ses cheveux sentaient bon. le noir de ses pupilles était si profond qu'on en aurait presque oublié qu'ils étaient là pour voir quelque chose. A la pensée que lui aussi, à l'âge de six ans, avait peut-être été comme ça, sans raison il se sentait malheureux ».

« La mer », sous la plume japonaise de Yoko Ogawa, se fait lac silencieux. Surface lisse quasi-immobile sans fracas, sans récif, sans lyrisme que l'auteure éclaire sensuellement de petites tâches de soleil, délicates lumières inattendues et étonnantes, et de tourbillons cachés dans les profondeurs, transformant l'ordinaire en extraordinaire.


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Sept nouvelles pour découvrir un auteur, ça peut paraitre léger, mais comme je n'y connais rien en littérature japonaise, cela me semblait une bonne introduction.
Et bien m'en a prit car j'ai découvert un univers sensible, attachant et parfois involontairement drôle (le voyage à Vienne et sa chute surprenante).
Des histoires simples à travers un regard bienveillant, sur ces personnages.
Il y a une forme de tranquillité, d'apaisement, de lenteur que l'auteur assume parfaitement alors que notre monde veut tout et tout de suite. Ogawa nous parle de transmission, d'héritage avec un raffinement délicat.
La mer que chantait le grand Charles (pour les anciens) est calme et ça fait un bien fou. Voilà un beau voyage littéraire offert par Yoko Ogawa avec ce recueil de nouvelles.
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J'avais déjà lu de cette autrice, Yoko Ogawa "L'annulaire" que j'avais trouvé étrange et envoûtant. Celui-ci qui est un recueil de nouvelles poétiques est étrange également.
Pour ma part, les nouvelles sont inégales même si la majorité m'ont plu. Mes préférées : "La mer" où un jeune homme créé un beau lien avec son futur beau-frère qui est encore un enfant. "Le voyage à Vienne" est absurde et drôle. "Le crochet d'argent" et "Boîtes de pastilles" sont deux nouvelles très courtes sur les souvenirs d'enfance. "Le camion de poussins" est touchante entre un homme d'âge mur qui se prend d'affection pour une petite fille devenue autiste.
En écrivant cette critique, je m'aperçois que, finalement, l'ensemble de ce recueils m'a plu...Peut-être est-ce la dernière nouvelle "La guide" qui m'a un peu ennuyée, comme quoi le ressenti...
Un livre qui apaise et fait du bien.
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Ce recueil de sept nouvelles concentre toute la poésie, souvent étrange de Yôko Ogawa. Cette poésie s'incarne parfois dans l'anecdote, comme dans ces deux micro-nouvelles : d'abord « le crochet argenté », narrant en deux pages nostalgiques le voyage en train de la narratrice, qui part célébrer dans la tradition bouddhiste les treize ans de la mort de sa grand-mère. Elle observe face à elle une vieille femme tricotant…de quoi faire remonter les souvenirs d'enfance au contact de la disparue. Ensuite « Boîtes de pastilles », encore plus courte, à peine plus d'une page. Un chauffeur de bus scolaire de 65 ans, célibataire depuis l'âge de 40 ans et le départ de sa femme, et qui n'a jamais eu d'enfants, trouve son bonheur quotidien au contact de ces enfants parfois turbulents…C'est qu'il a appris à les rendre heureux, tout en s'assurant un parcours tranquille, en trichant un peu pour satisfaire le goût de chacun en matière de petits bonbons.

Le récit éponyme La Mer est celui qui m'a le moins plu. le narrateur qui est invité pour la première fois chez ses beaux-parents va dormir dans la chambre du petit frère de sa copine. le cadet est dans son monde, et prétend avoir inventé un instrument de musique, le Meirinkin, qui pour être un gros coquillage, vibre en présence d'une brise de mer…

Dans « le camion de poussins », un homme noue une silencieuse complicité avec une petite fille, muette, un peu autiste et fascinée par les carapaces issues des mues d'insectes, mais aussi par un camion qui passe périodiquement, transportant des milliers de poussins colorés. Un jour, le camion se renverse sous leurs yeux, libérant ces myriades de petits êtres fragiles…évènement qui peut-être déclenchera une véritable mue chez la fillette...

« Voyage à Vienne » met en scène la narratrice et une corpulente femme veuve de la soixantaine, Kotoko, qui a choisi cette destination pour y retrouver la trace de Johan, un ancien amoureux à l'article de la mort dans une maison de retraite…C'était 45 ans en arrière, elle avait 19 ans, lui 34, ils n'étaient pas bien chouettes physiquement, se sont rencontrés dans l'usine de jambon où ils travaillaient, et aujourd'hui elle n'a pas l'air très aidée ni même finalement très emballée à l'idée de retrouver le bonhomme. On sent bien que l'ambiance est foireuse, et elle le sera jusqu'au bout ! Une nouvelle à chute, une ambiance douce-amère qui flirte avec le dérisoire et l'absurde, pleine d'humanité face à l'absurdité de la vie et de notre destin commun.

« le Bureau de dactylographie japonaise Butterfly » est une nouvelle troublante. Une jeune femme se fait embaucher comme dactylo au bureau Butterfly, aux côtés de quatre autres dactylos plus expérimentées. L'ambiance est besogneuse, il y a peu d'occasions de parler. Peu après, un de ses caractères étant abîmé, elle va le faire réparer auprès du gardien des caractères d'imprimerie situé un peu à l'écart dans les locaux. En quelques mots échangés à travers une vitre sombre, des paroles d'expert chargées d'ambiguïtés, la jeune femme devient bientôt sujette au lapsus, à des maladresses...et trouve des prétextes pour renouveler ce contact, quitte à volontairement maltraiter son matériel…Avec cette vague montante de pensées et allusions à la fois ingénues et perverses, Ogawa fait monter la tension sexuelle, dans une excellente nouvelle qui n'est pas sans rappeler l'atmosphère de ses romans L'annulaire et Hôtel Iris.

« La Guide » ponctue joliment ce recueil, grâce à un attachant gamin, admiratif de sa guide de maman. A force de l'accompagner dans les visites de touristes, il en connaît un rayon et se verrait bien reprendre le flambeau, ou plutôt le drapeau vert un peu crasseux que sa mère a perdu et qui lui servait à rassembler son groupe. du coup, un vieux touriste s'est égaré. le gamin va le retrouver, et le temps de quelques heures, nouer une sorte de complicité avec cet ancien poète qui se dit devenu titreur…de souvenirs…

Etrangeté souvent donc, mais aussi des atmosphères au fond tendres, simples et pudiques, un peu mélancoliques, mais néanmoins fraîches et juvéniles, et même teintées d'humour et d'une pincée d'impertinence. Avec tous ces ingrédients réunis, ces récits procurent un grand plaisir de lecture. L'image est peut-être saugrenue, mais cela m'a fait penser au plaisir de la dégustation lente d'un carré de chocolat fin aux accords subtiles. Une fois de plus, ces nouvelles font appel à tous nos sens, toujours sollicités d'une manière ou d'une autre. C'est vraiment la patte magique de Yôko Ogawa, qui sans effet de style particulier arrive à nous charmer.
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« Me sont venus à l'esprit le toucher granuleux des terres sablonneuses, l'ondoiement de la marée ou l'obscurité des grands fonds que la lumière n'arrive pas à percer. Sa voix qui résonnait là, mouillée, venait coller à mes tympans. »

« La Mer » !
Un titre, tout court, tout seul, tout nu. La bretonne se déplie instinctivement et le désir s'emballe, puisque pour Elle, la mer, c'est son air, son souffle, son vivant. Elle prend ! … et forcement Elle se dit qu'elle va, une fois de plus, tanguer dans ce bleu tempétueux qui la grise, se cogner aux embruns chagrinés de sel, se mouiller les yeux d'un reste de soleil couchant amourachant la grève …

Et, Non ! « La Mer » de Yôko Ogawa, ne parle pas de mer, ou si peu :
Cette phrase, mise en en-tête, et ce soupir océanique : une brise échouée dans sa première nouvelle, un souffle de vent inspiré qui magnifie l' « instrument », lui offrant par là même sa musicalité, son âme et son unicité.
Ce seront quasiment les seules douceurs marines du livre … tant pis pour la bretonne, les cormorans et les sirènes, tant mieux pour ces fulgurances poétiques !

Alors d'autres horizons s'entrouvrent.
Moins larges, moins vifs, moins acérés.
Les espaces se resserrent, la discrétion s'installe, le pastel prédomine. Feutré. Fragile.
Un vol de papillon, une nymphe de libellule, un piaillement de poussin …

7 nouvelles.
L'écriture y est minutieuse, narrative, lente, presque détachée …
« La Mer », sous la plume nipponne, se tranquillise et devient Lac, silencieux, quasi-immobile. Surface lissée sans lyrisme qu'Ogawa éclaire savamment de petites « tâches de soleil tamisé », lumières inattendues, tendres et voluptueuses. Troublant.

7 nouvelles de consistance, de longueur et de qualité inégales à mon goût.
J'y retiendrai surtout
- l'incroyable originalité et le charnel de « Butterfly » (rendre « érotiques » et sensuels des caractères de machines à écrire … Qui y aurait pensé ? L'auteure l'a fait et de quelle manière ! D'un tremblement d'ailes de papillon, d'un frissonnement, d'un tâtonnement hésitant jusqu'au nectar … fondant !),
- le charme du « camion de poussin », nouvelle plus qu'émouvante, rencontre sublime de deux voix perdues dans leurs silences. Une délicatesse à laquelle j'ai facilement succombé, aussi légère qu'une libellule.

« La Mer », c'est pour moi au final des impressions contradictoires comme il est dit dans « Tendres plaintes » : « le tranchant et la douceur, la magnificence et la grâce, la pureté et l'ombre »,

l'ordinaire qui de temps en temps crée l'enchantement de l'extraordinaire.
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critiques presse (1)
Telerama
29 janvier 2014
Le souvenir, la transmission, l'absence de communication sont quelques-uns des thèmes de La Mer, recueil de nouvelles de la Japonaise Yôko Ogawa.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (64) Voir plus Ajouter une citation
Pendant le travail, maman qui se tenait bien droite avait gardé un joli sourire aux lèvres. Elle paraissait plus belle qu'à la maison. Debout près du siège du conducteur, elle ne perdait pas l'équilibre malgré les coups de freins brusques et prêtait attention à chaque client. Chaque fois qu'apparaissait un point intéressant du paysage à travers la vitre, elle donnait des explications au bon moment. Même à travers le micro de mauvaise qualité, sa voix résonnait distinctement dans tout l'autocar. Les clients étaient sous le charme. Même moi je m'en étais rendu compte.
Quand nous sommes descendus de l'autocar pour visiter les ruines de la citadelle, maman a été de plus en plus en forme. Qu'elles concernent l'architecture, la peinture ou la nature, ses explications ne s'arrêtaient pas, mais elle ne donnait pas non plus l'impression de répéter des phrases qu'elle avait mémorisées, elle y mettait tout son coeur. Et elle avait de l'humour. Elle montra l'endroit où se trouvaient les toilettes, fixa l'heure du rassemblement, distribua avec adresse les tickets d'entrée. Avec son seul drapeau vert, elle pouvait rassembler autour d'elle un grand nombre de personnes.
Comme j'avais l'interdiction de parler pour pas qu'on sache que j'étais son fils, il fallait que je serre fortement les lèvres. Par inadvertance, j'avais failli lui crier "maman". J'avais les yeux écarquillés pour ne pas perdre de vue le drapeau vert. Je n'étais pas le seul. Tout un tas de gens inconnus faisaient cercle autour d'elle. Elle en était le centre, elle en était la tête.
Maman arborait dignement son drapeau. Ce drapeau crasseux qui avait une drôle d'odeur, dès qu'il ondulait dans le vent au-dessus de sa tête, devenait un signal de ralliement qui avait même une certaine majesté.
Je me souviens encore très bien des mots que maman a prononcés en premier dans l'autocar.
- Si vous avez un problème, n'hésitez pas à m'en parler. Je trouverai une solution.
Je me suis retourné vers les passagers et j'ai crié avec fierté en mon coeur : "Maintenant, devant vos yeux, la dame qui trouve des solutions, c'est ma maman !"

Extrait de "La Guide"
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Autrefois, un bucheron, jeté en prison pour le crime d’un rival en amour dont il était innocent, versait des larmes toutes les nuits au souvenir de son amante, et bientôt, ses larmes recevant le clair de lune sont devenues des cailloux couleur de lait qui ont rempli le lit de la rivière. Après l’exécution du bucheron, il parait que son amante, en apprenant la vérité, s’est jetée dans la rivière les mains pleines de ces petits cailloux. Aujourd’hui encore, sur le lit de la rivière là-bas, on trouve pas mal de ces petits galets blancs.
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Les poussins, hein. Aah, c'est vrai, les poussins.
Puisqu'il s'agissait de la deuxième fois, il leur avait suffi d'un bref échange de regards de confirmation. La petite fille, agrippée à la rambarde, paraissait ne pas vouloir gaspiller le moindre clignement de paupière. Dans le paysage, seul le chargement de ce camion était extraordinaire. Les duvets baignés de lumière étaient un champ de fleurs, les gazouillis s'élevaient dans un choeur d'allégresse.
Mais l'homme le savait. Que les poussins colorés ne pouvaient pas vivre longtemps. Au milieu de la foule des jours de fête, dans la lumière des lampes halogènes, ils étaient poussés sans ménagement dans des boîtes exiguës. On les prenait brutalement par le cou, on tirait sur leurs pattes. Ceux qui les avaient achetés s'en lassaient aussitôt, les couleurs de leur duvet finissaient par s'estomper, ils dépérissaient, couverts de fientes. Ou ils étaient mangés par le chat. Ceux qui n'avaient pas été vendus gisaient asphyxiés dans un coin de la boîte.
A ce moment-là pour la première fois, l'homme pensa qu'il était heureux que la petite fille ne parlât pas. Si elle lui avait demandé où allaient les poussins, il aurait sans doute été embarrassé pour lui répondre. Ne sachant pas s'il fallait lui dire la vérité ou lui mentir, il en aurait certainement été troublé.
Mais puisqu'ils ne parlaient pas, dans les pupilles noires de la fillette, les poussins pouvaient aller n'importe où. Au paradis où menait l'arc-en-ciel, faisant battre leurs ailes aux jolies couleurs, ils vivaient éternellement heureux.

Extrait de "Le camion de poussins"
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L'homme pendant quarante ans n'a conduit que des autobus. Autocars de tourisme, longue distance de nuit, autobus circulaire, et depuis ses soixante ans, il y a cinq ans, un autobus d'école maternelle.
Les enfants s'agitent tout le temps, crient, le chauffeur ne peut absolument pas relâcher sa vigilance. Exactement comme si c'était son véritable nom, ils l'appellent familièrement le "papi du bus", veulent toucher le volant, le frein à main ou sa casquette d'uniforme.
- Tiens-toi tranquille, c'est dangereux, essaie-t-il de dire, en général sans résultat. La main d'un enfant effleurée soudain est si petite qu'il en reste sans voix. L'homme n'a jamais eu d'enfants. Depuis qu'à la quarantaine sa femme est partie la première, il vit seul.
Le plus ennuyeux, c'est quand ils pleurent. Ils éclatent en sanglots bien trop facilement.
- Allons, ne pleure pas. Si tu t'arrêtes, je te donne une pastille. Quel goût tu aimes ? Fraise, raisin, pêche, chocolat, menthe ?
- Raisin.
- Bon. Je vais me concentrer pour que ce soit du raisin. Allez, tiens.
L'homme secoue la boîte métallique, fait tomber une pastille sur la paume de la main de l'enfant.
- Tu vois, regarde. Comme tu es gentil, tu as eu du raisin comme tu voulais.
L'enfant s'arrête aussitôt de pleurer. La pastille gonflant sa joue, il retient ses larmes et sourit.
L'homme a acheté cinq boîtes de pastilles, les a toutes vidées, les a remplies des pastilles du même parfum et les a dissimulées dans les poches de son uniforme. La fraise et le raisin dans les poches droite et gauche de son blazer, la pêche et le chocolat dans celles de son pantalon, la menthe dans sa poche intérieure car c'est rare que les enfants aiment la menthe.
Ainsi, en entendant les pastilles s'entrechoquer, kata kata, dans ses poches, l'homme conduit son bus.

Boîtes de pastilles
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Pourtant, le silence se prolongeant, je l'ai interrogé au sujet de la titrerie.
- De quelle façon donnez-vous le titre au client ?
- Avec a bouche, bien sûr, il a répondu en enlevant la main de la vitre avant de s'appuyer au dossier.
- Sans l'écrire sur un papier, ni l'encadrer ?
- Aah. C'est un titre qui est dédié à un souvenir personnel. C'est pas la peine de faire ça pour s'en souvenir. Je le prononce distinctement et avec précaution au creux de l'oreille du client. Ça suffit amplement, tu sais.
- Et s'il y a des gens qui ne sont pas satisfaits du titre que vous leur avez donné ?
- Heureusement, je n'ai encore jamais eu de réclamations. Je suis un titreur plutôt excellent.
Il a arrangé ses cheveux dispersés par le vent.
- Pourquoi avez-vous arrêté d'être poète ?
Ne sachant quoi répondre, il gardait la tête baissée, la main sur le menton. Je ne savais pas trop s'il était blessé par cette question indiscrète ou s'il cherchait des mots qu'un enfant pouvait comprendre. Au moment où j'allais m'excuser d'avoir posé une question idiote, il a enfin ouvert la bouche.
- Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas de poèmes, mais il n'y a personne qui n'ait pas de souvenirs.
Il m'a regardé droit dans les yeux comme s'il attendait mon approbation. A le voir de si près, je me rendais compte qu'il faisait plus vieux qu'on pouvait le penser au premier regard. Ses rides étaient creusées, ses lèvres fendillées, se respiration superficielle. Au fond de ses bronches, on entendait un bruit désagréable comme un grincement d'os. Mais oui, au moment d'embarquer sur le bateau-mouche, j'aurais dû me tenir à ses côtés et lui prêter main-forte.

Extrait de "La Guide"
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