Je déteste les départs, faire une valise est un pensum, les fins de voyage et surtout les retours ont le charme de la nostalgie de l'ici et maintenant, où s'éprouvent d'autres sensations, d'autres lumières, d'autres odeurs.
Je n'ai lu que très peu de récits de voyage, le genre ne m'attirait pas jusqu'ici. Mais depuis que j'ai tourné la dernière page de l'essai de
Lucie Azéma,
Les femmes aussi sont du voyage, les voyageuses m'intriguent.
J'ai donc commencé par les récits de
Christel Mouchard, passionnant à plus d'un titre. En premier lieu, parce qu'il retrace la biographie de cinq femmes du XIXe siècle, toutes différentes les unes des autres. Qu'est-ce qui les pousse à partir, à repartir encore, malgré les difficultés et les dangers rencontrés dans leurs précédentes aventures ? Nombreux sont les explorateurs morts en chemin, ceux dont on n'a plus de nouvelles.
Il y a là un mystère, que la lecture des écrits de ces femmes extraordinaires ne permet peut-être pas de résoudre. A cet égard, je trouve dommage que l'auteure plaque ici ou là ses propres jugements sur les écrits de ces exploratrices, notamment quand elle écrit dans la préface : "Récits de voyages et mémoires ont souvent été publiés, mais rarement réédités, et presque jamais traduits. Toujours ils sont de mauvais témoins, parce que leurs auteurs s'attachaient moins à raconter leurs exploits et leurs amours qu'à prouver au monde leur vertu et leur intelligence ; et quelle vertu, quelle intelligence il fallait, en ces temps-là, pour que fût pardonnée la faute d'avoir quitté le foyer, pour que fût reconnue la valeur de leurs découvertes!"
Autrement dit, même à la fin du XXe siècle, on ne juge la valeur du récit des femmes qu'aux sentiments tous féminins dont elles se devraient de rendre compte. Pourquoi ne pas leur reconnaître simplement le droit d'exposer leur propre vision des choses, loin des clichés d'une femme qui ne serait femme que par le récit d'une passion amoureuse ?
Pourtant, à bien des égard,
Christel Mouchard admire ces exploratrices. Au fil des biographies s'effacent ces reproches de puritanisme, et ce sont bien les exploits accomplis qui sont mis en valeur. Ces vies extraordinaires échappent à tous les préjugés, tous les clichés. Leur passion de l'ailleurs et leurs façons de parcourir le monde détonnent encore au regard des critères contemporains, dans une ère de tourisme de masse aux conséquences massivement néfastes.
J'ai une affection particulière pour Isabella Bird,
Mary Seacole et
Ida Pfeiffer, pour leur obstination sans faille. Mais toutes ces exploratrices valent la peine qu'on se souvienne d'elles, comme on devrait se souvenirs de toutes ces voyageuses volontaires parties au hasard, ou bien des épouses d'agents coloniaux dont personne ne se souciait de savoir si elles étaient capables de supporter les rigueurs et souffrances de vies bien loin de chez elles.
A noter donc en fin d'ouvrage les noms de nombreuses autres femmes, dont les biographies resteraient à écrire.