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Une matinée d'amour pur » est un petit recueil de sept nouvelles qui offrent un éventail très large de textes autour du thème de l'amour.
La passion tortueuse, le désir obsessionnel, les tourments sexuels et de la jalousie corrosive sont admirablement explorés.
« Sous un ciel matinal ou plutôt celui d'une aurore blême, ils sortirent sur la terrasse ; ils sentirent chacun l'air de l'aube au bord des lèvres de l'autre, comme s'ils buvaient une menthe à l'eau, puis se donnèrent des baisers inlassablement, caressant avec la langue la chaleur de la cavité buccale où la fièvre de toute une nuit s'était insinuée. »
L'amour apparaît tel un prisme, prenant différentes formes, différentes nuances.
Amour passion, amour sensuel, amour intéressé, amour destructeur, amour avilissant, amour égocentrique, amour tragique, amour obsessionnel, amour maternel, amour filial, amour naissant.
Ainsi,
Yukio Mishima compose des portraits fascinants, parfois dérangeants.
« Dans une absence redoutable de sincérité, il s'abandonnait au désir de mourir, sous ses coups, à petit feu. »
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La plus grande force de ce recueil de nouvelles est de parvenir à créer un contraste saisissant entre une écriture lyrique, touchante, belle et un contenu sombre, inquiétant, voire malsain.
Touche par touche, tel un peintre avec sa palette de couleurs plutôt sombres et tranchées, l'auteur compose sept tableaux de maître, créant des compositions vivantes, douces, fortes, frappantes, voire choquantes.
J'y ai vu
Edward Hopper dans les scènes intimistes.
Yukio Mishima insuffle une beauté sans pareille, de la grâce, même dans les moments les plus troublants.
Et alors que l'amour se veut échange et partage, il se dégage diverses impressions antinomiques : le silence, la mélancolie, la tristesse, la solitude, l'exclusion, la souffrance, la haine.
Malgré le format court de la nouvelle, l'auteur prend son temps pour décrire avec précision les scènes et instaurer un climat qui se tend inexorablement.
Une tension qui s'exerce à l'approche de la fin de chaque histoire, et cette impression obsédante, fascinante d'être aspiré dans l'intrigue.
Finalement, le lecteur se fait voyeur.
Yukio Mishima n'a pas son pareil pour nous prendre par la main, tout en douceur, nous invitant à regarder par le trou de la serrure et découvrir des scènes intimistes, dramatiques.
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A la puissance de l'écriture, s'ajoute le traitement psychologique des personnages. Avec beaucoup de poésie et d'acuité, en quelques coups de crayon, l'auteur dessine leur personnalité, rendant parfaitement compte de la complexité des sentiments et des émotions. Souvent peu attachants, parfois révélateurs de la médiocrité humaine, ils renforcent l'idée d'enfermement, d'oppression.
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De peur de vous gâcher le plaisir de la découverte de ces très beaux textes, je ne vous parlerai seulement que de ceux qui m'ont laissé la meilleure impression.
Dans « Une histoire sur un promontoire », l'auteur nous emmène au bord de l'océan. J'ai ressenti de douces sensations, la chaleur du soleil sur la peau, les embruns salés, le fracas des vagues. Mais ces agréables impressions vont s'estomper progressivement et les délicates sensations de bien-être vont sombrer dans une atmosphère d'une « effrayante sérénité » : les mots, le silence, les couleurs, les odeurs, tout participe à créer cette atmosphère étrange.
Moment privilégié d'apaisement qui contredit une sensation de malaise. Je me suis demandée si le récit était réel ou pareil à un rêve, un cauchemar tout à la fois mélancolique et glaçant.
J'ai également aimé cette belle réflexion sur le devoir parental et la nécessité d'accompagner son enfant pour en faire un adulte responsable, de le guider sans le maltraiter ou l'empêcher d'exister.
«En me voyant plongé dans une rêverie, ils étaient loin de concevoir que, dans mon for intérieur, je déployais les ailes sous un vaste firmament, d'une constellation à l'autre ; ils ont ainsi arraché de force la toile d'araignée scintillante qui s'accrochait à moi, mais ce qu'ils prenaient pour une toile d'araignée n'était en réalité que mes ailes, aussi fragiles que celles d'un éphémère. »
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Dans « la lionne », l'amour devient une haine féroce et tragique.
Le démon de la jalousie plante ses griffes aussi acérées que celles d'un fauve, dans la chair la plus tendre.
« À la différence du bonheur qui est tel un fantôme qui échappe à la vie, ce malheur est complètement collé à la vie : c'était cette vie qu'elle désirait maintenant plus que tout. »
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Une matinée d'amour pur" est peut-être la nouvelle qui m'a laissé la plus forte impression.
L'impression d'un énorme gâchis. Ce couple laisse un souvenir de décadence et de perversité.
Vivre dans un bonheur illusoire, quoi de plus triste !
« Sous un ciel matinal ou plutôt celui d'une aurore blême, ils sortirent sur la terrasse ; ils sentirent chacun l'air de l'aube au bord des lèvres de l'autre, comme s'ils buvaient une menthe à l'eau, puis se donnèrent des baisers inlassablement, caressant avec la langue la chaleur de la cavité buccale où la fièvre de toute une nuit s'était insinuée. »
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Passé le plaisir de la découverte, j'ai été fascinée par ces petites histoires dont la narration parfaitement maîtrisée, offre toute une gamme d'émotions. J'ai été également séduite par la grâce de l'écriture, belle, touchante, obsédante qui explore les méandres du désir.
Une lecture envoûtante que je vous conseille.
Cette lecture m'a gentiment été proposée par Sachka et Berni_29 qui ont eu un beau coup de coeur pour ce roman. Je vous encourage à aller lire leurs billets qui sont tout simplement superbes.