Me voici bien embêtée. Un livre que j'ai adoré, et je ne sais pas trop comment aborder ce retour, D'habitude c'est plutôt avec les livres que je n'aime pas que ce phénomène se produit.
Un livre d'une telle richesse, où l'autrice aborde énormément de thèmes, où l'écriture est une telle merveille que je ne sais par où commencer.
Peut-être l'histoire. C'est celle d'une famille, que l'on voit se créer, dont certains membres vont disparaitre, dont certains vont avoir du mal à cohabiter, dont certains voudront disparaitre. Et qui nous entraîne de surprise en surprise.
Et dans cette famille en tout premier lieu, la mère, personnage complexe qui m'a souvent exaspérée, par son attitude. On a l'impression qu'elle a peur du bonheur, et qu'elle ne s'autorise pas, sauf à de courts moments à être heureuse. Elle est parfois naïve, parfois autoritaire, manipulatrice, certainement un peu névrosée, hautaine, voire méprisante. Et pourtant aucun de ces adjectifs ne peut la résumer. Elle était une jeune femme inexpérimentée, elle deviendra une femme très forte, la colonne vertébrale de cette famille.
Il y a aussi le mari, devrais-je dire les maris, même si le rôle du premier est plutôt limité, à la fois dans l'état de mari, et dans le roman. Et les enfants, dont chacun prendra tout à tour le devant de la scène, très différents les uns des autres, tous marqués par la relation avec leur mère, tous marqués par l'absence du père. Les relations entre les différents membres de la famille sont complexes, et l'autrice prend beaucoup de plaisir à les décortiquer pour nos yeux ébahis et admiratifs de lecteurs.
C'est aussi l'histoire d'un lieu, une ville, Niagara Falls, une ville aux deux aspects, d'un coté la beauté bien connue mais tout de même inquiétante des Chutes, et de l'autre la laideur de l'industrie, Chimie essentiellement :
« C'était une jumelle, mais une jumelle difforme. Il y avait
les Chutes, et il y avait la ville de Niagara Falls. D'un côté, beauté et terreur de la beauté ; de l'autre, utilité pure et laideur de la fabrication humaine. »
Et ces deux aspects de la ville tiendront à égalité un rôle important dans l'évolution des personnages.
Mais ce qui imprègne tout ce récit, ce qui en est un personnage à part entière, reste quand même cette merveille de la nature,
les Chutes, omniprésentes dans le récit, imprégnant tout le texte de leur humidité et de leur attrait parfois maléfique, certains y laissent leur vie et les habitants de la ville s'en méfient :
«
Les Chutes exerçaient néanmoins un charme maléfique qui ne faiblissait jamais. Lorsque vous grandissiez dans la région du Niagara, vous saviez. L'adolescence était l'âge dangereux. La plupart des gens du cru se tenaient à l'écart des Chutes et ne risquaient donc rien. Mais si vous approchiez trop près, même par curiosité intellectuelle, vous étiez en danger : vous commenciez à avoir des pensées qui ne vous ressemblaient pas, comme si le tonnerre des eaux pensait pour vous, vous dépossédait de votre volonté. »
L'autrice parle aussi de l'Amérique de ces années qu'en France on a appelé les 30 glorieuses, ces années où le tourisme n'est plus réservé à une minorité richissime,
les Chutes se démocratisent, les hôtels changent, les palaces ne sont plus les destinations premières, mais à côté de cette évolution plutôt favorable, d'autres se révèlent plus nocives et ce, dans tous les sens du terme. L'industrie se développe et l'écologie est encore une notion bien méconnue. Il y a des quartiers à Niagara Falls où l'on meurt plus que les autres, et ceux qui meurent n'en sont pas responsables, malgré ce que les autorités veulent faire croire. Impossible de freiner le développement de la ville, tant pis pour ceux qui y laissent des plumes, et s'il faut arroser (et pas avec de l'eau cette fois) , corrompre, n'hésitons pas. Et si certains quartiers deviennent insalubres, peu importe, les responsables de ces grosses industries habitent ailleurs. Ce roman est aussi le récit d'un combat, celui de David contre Goliath, sauf qu'ici les miracles ne se produisent pas et Goliath restera pour cette première fois au moins le plus fort.
Elle nous parle aussi de religion, de ces familles auxquelles la religion dicte leur comportement, qui ne savent plus penser par elles-mêmes, et j'avoue que j'ai été ravie de trouver dans la famille héroïne du livre une distance très salutaire vis-à-vis de celle-ci et de ses obligations , malgré l'enfance de la mère auprès d'un père pasteur.
En dehors du fond tellement riche, il y a aussi la forme. Et en tout premier lieu, l'écriture, qui sait si bien décortiquer les sentiments, mettre à nu tous les personnages, avec une précision dans le mot qui ne déçoit jamais. C'est à la fois fascinant et horrifiant. Que de passages surlignés, sur ma liseuse.
Et puis aussi, ces variations dans les narrateurs, dans les points de vue, ces passages en italique qui relatent les pensées des personnages, et nous intriguent un peu plus. Est-on dans le réel, dans l'imaginaire ? L'autrice ne nous donne pas toutes les clés, à nous de décider.
Pour quelqu'un qui ne savait pas trop comment en parler, je suis devenue bien bavarde. Et encore, je pense qu'aussitôt refermé ce billet, je vais encore penser à bien d'autres aspects que je n'ai pas évoqués. Je vous disais ce roman est infiniment riche, infiniment bien écrit et chaque lecteur peut à mon avis y trouver des sujets qui l'inspirent.
Ce fut une nouvelle fois un plaisir de partager cette lecture, ce livre ou d'autres de JCO, avec mes complices habituels plus quelques autres. Merci à berni_29, bidule62, gromit33, HundredDreams, Isacom, mcd30, mimipinson, NicolaK, Roxanne78, Yaena.