Ce livre oscille entre « guide pratique » et « thèse académique ».
Dans la première dimension, je l'ai trouvé très réussi. A travers dix cas pratiques (des échanges psy – famille qui illustrent différents déséquilibres familiaux liés à la relation entre un enfant et d'autres personnes), ça invite à réfléchir sur notre lien parent-enfant, à nous interroger sur nos postures (et sur l'écart qu'il peut y avoir entre la génération de nos parents et la nôtre, baignée de multiples injonctions aussi contradictoires que culpabilisantes sur "comment être un bon parent bienveillant"). Quelles actions appellent les éléments qui nous dérangent dans ce qu'on observe chez l'enfant ? On s'imagine (trop ?) souvent à sa place, on souffre d'injustice ou de harcèlement, et on voudrait intervenir pour corriger, pour réintroduire dans les relations de notre enfant ce qui nous semble nécessaire à leur équilibre. Mais intervenir, c'est agir (malgré nous) sur cet équilibre, et souvent dans le mauvais sens. Peut-être la bonne action est-elle donc contraire à ce qu'on aurait imaginé au départ. Et ce livre donne des clés pour se poser les bonnes questions avant d'intervenir de manière contre-productive. C'est d'autant plus utile que, dans les cas pratiques, les clés ne sont pas livrées sous forme de dogmes bien-pensants, mais sous forme d'exemples : libre à chacun d'en tirer les conclusions les plus adaptées à son expérience, et donc de se les approprier pour les mettre en pratique. Et en l'occurrence, ces clés m'ont semblé extraordinairement saines et pleines de bon sens (il s'agit bien souvent d'écoute de soi et de l'autre, et de lâcher-prise, ce qui est difficile quand on croit/sent/voit que la chair de notre chair est attaquée).
En revanche, j'ai été gêné par la dimension « thèse académique ». Peut-être que ça veut donner du poids et de la légitimité aux conseils véhiculés indirectement par les cas pratiques. Pour moi, ça a l'effet inverse. J'ai beau être curieux sur ce genre de thèmes, je n'ai pas envie que ma lecture d'un guide pratique soit polluée par « Palo Alto blablabla », « en 1950, machinbidule a dit que pouet pouet tralala (cf note de bas de page) ». Ces noms m'étant inconnus, ils ne confèrent pas, à mes yeux, la moindre légitimité au reste du propos (qui, comme dit dans le premier paragraphe, est déjà assez plein de bon sens pour se suffire à lui-même et porter ses fruits). Pire, ça sonne presque sectaire, dans le sens où ça ne propose le point de vue que d'une seule « école » (la fameuse Palo Alto que tout bon parent ou adulte équilibré se doit de connaître, hein ?) sans contrebalancer avec d'autres sources. « Machintruc a dit ça en 1971 alors c'est la vérité il faut le croire ! ». ça a beau être en cohérence avec les cas pratiques, je ne trouve pas que ça l'étaye ; au contraire, c'est comme enrober un bon gâteau au chocolat d'une couche de sauce béchamel. D'ailleurs, le livre lui-même considère ces propos inutiles : cf p116 : "Comme le dira
Watzlawick (sic) : "Si vous analysez l'oeuvre de Don Jackson (re-sic), vous verrez que, dans les dernières années de sa vie, il a utilisé presque exclusivement des métaphores, des histoires, des mots d'esprit et pas des théories scientifiques, parce que les premiers ont un impact beaucoup plus direct et clair sur les patients(1)"". (Merci, vous pouvez donc sabrer la quarantaine de pages théoriques de l'ouvrage et vous centrer sur les métaphores que sont les cas pratiques !). Heureusement, ces pages « thèse » sont encadrées d'orange, on les repère facilement pour mieux les ignorer ou les lire à un autre moment.
(merci aux arènes et à Masse Critique pour l'envoi de ce livre qui me sera fort utile !)