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EAN : 9782843352195
128 pages
Verticales (11/03/2005)
3.78/5   16 notes
Résumé :

Grisélidis Réal, prostituée genevoise, a tenu un carnet noir de 1977 à 1995, petit répertoire téléphonique où elle consignait par ordre alphabétique les prénoms de ses clients, agrémentés de leurs us, coutumes et petites manies ainsi que du prix de la passe. Outre ce document exceptionnel, Carnet de bal d'une courtisane comprend un choix de textes de Grisélidis Réal en " courtisane r&#x... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
L'écrivaine et poète suisse romande Grisélidis Réal est peu à peu redécouverte, l'écrivaine Nancy Huston a récemment préfacé sa poésie rééditée. Elle eut accès, dans les années soixante-dix, à une petite notoriété du fait de son militantisme pour ce qu'on appelait alors la “révolution des prostituées”.

“La Prostitution est un Art, un Humanisme et une Science.” La prostitution est pour elle à la fois un fardeau et un sacerdoce. Tour à tour gémissant sous les violences des maquereaux, de certains clients et des dames patronnesses, et revendiquant l'atteinte d'un état quasi mystique dans l'éternelle succession étourdissante des étreintes anonymes.

Anonymes dîtes-vous ? Pas tout à fait… du moins plus depuis la publication du Carnet de bal de Réal en 1979, comprenez la liste des clients rencontrés. Rompant avec la promesse de discrétion, Grisélidis expose ses clients au risque d'être reconnus et agace ses consoeurs en dévoilant ses tarifs…

C'est donc un répertoire alphabétique de sa clientèle, à usage professionnel et incidemment littéraire, quasi exclusivement masculine, avec quelques menus détails, sans pudeur, sur les pratiques, sur la physionomie, et quelques penses-bêtes à faire ou ne pas faire pour les prochains rendez-vous, avec parfois des noms savants de pratiques amoureuses qui prêtent à sourire (“fourmis japonaise” ? position dite du “duc d'Aumale” ? Vous ferez vos petites recherches…) et des onomatopées sans équivoques “pouah!”; “sympathique” et, assez rare semble-il pour être souligné “normal”.

C'est surtout le ressenti de Grisélidis qui intéressera le lecteur, sur la personnalité du partenaire, le manque de tact, d'empathie, la pénibilité de l'heure passée ou au contraire le charme, la pitié, la discussion, l'agacement ou la séduction qu'exerce tel ou tel client sur elle. Elle a une facilité d'écrivaine à croquer sur le vif d'un trait ou deux, l'esquisse d'un rendez-vous érotique, elle en dit beaucoup en peu de mots…

“Tant chevauché sur mes délires
Tant respiré l'embrun des pleurs
Tant mordu le fruit des désirs”

Ces morceaux d'intimité révélés, ont valeur de témoignage sur un quotidien que Grisélidis Réal ne considère pas plus aliénant qu'un travail à l'usine. Dans la préface, et dans le recueil de textes qui suivent le Carnet de bal, elle vilipende ses détracteurs que la morale “étouffe” et revendique, pour celles qui le choisisse en toute indépendance souligne-t-elle fermement, l'exercice libre d'un métier “de compassion, d'élégance, de connaissance durement acquise de l'âme et du corps humain.”

On se gardera bien d'initier ici un débat sur la prostitution ou sur l'assistance sexuelles aux personnes handicapées ni même sur l'aliénation que n'importe quelle condition de dépendance économique induit, mais quelques mots tout de même : les propos de Réal sont intéressants mis en perspective avec la réflexion du philosophe français Ruwen Ogien, spécialiste de l'éthique. Dans son ouvrage le Corps et l'Argent, le philosophe s'interroge sur ces interdits de notre société (prostitution, vente d'organes et gestation pour autrui notamment) et relève, en écho avec le constat de Grisélidis Réal que “la plupart des arguments niant la possibilité de considérer la prostitution comme un métier sont paternalistes : ils ne tiennent pas compte du point de vue des principaux concernés”, ajoutant que “revendiquer la liberté de se prostituer, c'est aussi défendre la liberté de ne pas se prostituer et donc rejeter toutes les formes avérées d'esclavage sexuel.”

Il n'empêche qu'il semble difficile de considérer, au moins socialement, la prostitution comme un métier banal, la philosophe et désormais académicienne Sylviane Jospin-Agasincki, ex-compagne du philosophe Jacques Derrida, depuis longtemps engagée dans ces questions éthiques et mettant en lumière les logiques libérales-capitalistes sous-jacentes à la marchandisation du corps ou de ses produits, soulignant dans un débat radiophonique qu'aucun parent ne souhaite pour sa fille qu'elle exerce le “métier”.
Et les hommes dans tout ça ? Les féministes ne sont pas toutes d'accord, une autre philosophe, femme de politique également, Élisabeth Badinter s'insurgeait quant à elle contre la "pénalisation des clients" qu'elle jugeait une tartufferie contraire à la liberté des femmes, mais aussi à l'objectif affiché de lutte contre le trafic.
Du reste, dans leurs cohérences parallèles, les deux intellectuelles de gauche s'opposent encore au sujet de la gestation pour autrui.

Toujours à propos des hommes, on pourrait ajouter que derrière le malaise politique que suscite la prostitution aussi bien à gauche qu'à droite, c'est aussi l'ombre du patriarcat qui rode, une femme est une “putain”, un homme “un gigolo”, quand les rôles sont inversés ça prête presque à sourire, ça sonne presque bien, le genre Don Juan dont on tombe amoureuse (ou amoureux) dans des comédies romantiques hollywoodiennes ou des feuilletons de l'après-midi, bref c'est toujours l'homme qui a le contrôle de la situation, de sorte que ce n'est pas forcément le fait d'être travailleuse du sexe qui pose problème mais les conditions “patriarcales” dans lesquelles les femmes sont forcées d'exercer et les représentations mentales de la société à leur encontre… le nombre de femmes un jour qualifiées de “pute” débordant je crois très largement la population des professionnelles du sexe…

"Ma liberté m'éclate dans les doigts comme une lourde grenade pleine de fric."

A lire si on veut entendre une voix, que dis-je une gouaille (on trouve quelques interviews accordées par l'écrivaine sur internet), sans doute urticante mais farouchement libre, définitivement affranchie, singulière et solidaire, loin des frileux et discrets débats de nos temps, qui laissent hypocritement pourrir une situation révoltante et désespérée pour tant de personnes victimes soit de la répression légale lorsqu'elles veulent exercer leur métier, les poussant vers toujours plus de précarité matérielle et sécuritaire, soit, bien plus nombreuses encore, les victimes des réseaux de traite des êtres humains pour qui en dépit de toute la sévérité morale affichée, rien ne change, et Ruwen Ogien de s'interroger : “On peut aussi se demander si les solutions proposées ont le moindre rapport avec le problème publiquement soulevé. Est-ce vraiment pour mettre fin à l'esclavage sexuel international que la police fouille, à Paris, les sacs des personnes présumées prostituées pour confisquer leurs préservatifs ?”

“Soupirs et râles étranglés
Les caresses des mots derniers
Quand l'orgasme s'en vient mourir
La volupté enfin se tord
Et vient se coucher sur nos corps”

Mais surtout, à lire si l'on s'intéresse à l'oeuvre de Grisélidis Réal qui a fait d'elle-même sa propre héroïne et sa muse, et on a ici un matériau brut et un peu l'ossature à partir de laquelle elle tisse sa toile poétique, tirée d'une histoire vraie…

Qu'en pensez-vous ?
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🖊 « Seule maîtresse à bord de mon corps, et la nuit toute entière est ma cuirasse d'or. »
(P.93)

🖊 Grisélidis Réal était une prostituee genevoise. Dans cet ouvrage qui défie toute bienséance, elle ouvre son journal intime, son carnet de bord, aussi nommé « carnet noir » ou « carnet de bal ». Il s'apparente à un répertoire, à la seule différence qu'on y trouve aucun numéro de téléphone, aucune adresse : rien que des noms, et des pratiques sexuelles rigoureusement annotées. Dans ce journal, l'auteure énumère le prénom de ses clients, avec une brève description physique, immédiatement suivie des préférences de chacun. Âmes sensibles, s'abstenir (autre conseil : n'oubliez jamais de feuilleter un livre avant de le lire dans les transports publics afin d'éviter toute mésaventure drôlement gênante - oui, j'ai lu ceci dans un train et le rouge m'est vite monté aux joues).

🖊 Très vite m'est venue cette question : à quoi sert de publier un tel ouvrage ? Il n'y a, de prime abord, aucune vocation littéraire à cette entreprise ; je dirais pourtant que, une fois passée l'énumération de ses nombreux clients, les courts textes qui suivent sont dignes d'intérêt. La prostitution prend la forme d'une révolution, de l'attribution d'un droit élémentaire, celui de disposer de son corps et d'en faire ce que l'on veut :

🖊 « Je VIS, et merde au reste.
Nous les Putes qui refusons de nous faire exploiter par votre système, nous ferons la Révolution sur les trottoirs, dans les commissariats, les prisons, les Ministères, les universités, les hôpitaux, partout. On fera sauter tous ces vieux corsets académiques… »
(P.95)

🖊 La plume est révoltée, vindicative, puissante : au-delà de l'acte da prostitution, Grisélidis Réal souhaite mettre à jour le désespoir des hommes qui s'effondrent dans les bras des courtisanes, qui s'échouent au creux de leur corps et qui, par ce rapport charnel, trouvent en elles la force de continuer à vivre, qui échappent à une femme rigide, qui fuient un passé douloureux ou cherchent un peu de tendresse, d'attention, un brin de bienveillance.
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Madame Real nous livre là le récit de sa vie choisie de prostitué avec tout ce qui va avec. Pour les gens sans tabou et surtout pas pudique...!!! Les anecdotes que l'auteur nous décrits sont à la fois drôle, touchantes, sales et j'en passe. Il faut savoir que Grisélidis Réal a toujours revendiqué un rôle social de la prostitution qu'elle considère comme une activité qui soulage les misères humaines et qui a sa grandeur. En 1977, elle écrit que « la prostitution est un acte révolutionnaire ». Elle a développé une vision positive de ce qu'elle a appelé en janvier 2005 (dans la préface de Carnet de bal d'une courtisane), « un Art, un Humanisme et une Science ». Mais elle reconnaissait également le côté sordide de son travail dont elle parlait avec des termes crus.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Roger (8) - (de la part d'Odette) Libanais pas très grand, moustache et lunettes, belle voix basse qui roule les R - sucer, enculer artistement, prostate très vive et sociable, traiter avec modération sinon ça va trop vite. 100Frs (Baisser à 80.)
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"Ma liberté m'éclate dans les doigts comme une lourde grenade pleine de fric."
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A Pigalle , rue des Martyrs, dans un antre rouge plein de miroirs et de bougies, parmi les fleurs artificielles, les Princesses hermaphrodites scintillent comme des oiseaux exotiques.
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Videos de Grisélidis Réal (10) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Grisélidis Réal
Par l'autrice & un musicien mystère
Rim Battal propose une lecture performée de x et excès avec un grand musicien jazz et pop dont le nom sera révélé lors de la soirée. En ouverture Rim Battal invite cinq poétesses, Alix Baume, Camille Pimenta, Charlene Fontana, Esther Haberland, Virginie Sebeoun, qu'elle a accompagnées lors d'un programme de mentorat intitulé « Devenir poète.sse ». Cinq brèves lectures avant de plonger dans x et excès. Rim Battal y explore les zones d'ombre de l'ère numérique où l'industrie du sexe a une place prépondérante. Comment sculpte-t-elle nos corps et notre rapport à l'autre ? Dans une langue inventive, Rim Battal s'attaque au discours dominant sur la sexualité, le couple et l'amour pour mieux en révéler les failles.
Ce faisant, elle ouvre un espace de réflexion sur l'art. de Cabanel à Mia Khalifa, de Samuel Beckett à Grisélidis Réal, elle tisse des liens entre poésie, pornographie et oeuvres plastiques. Et dévoile ce que notre époque a de singulier et d'universel.
À lire – Rim Battal, x et excès, Castor Astral, 2024 – L'eau du bain, coll. « Poche poésie », Castor Astral, 2024.
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