Ce texte, je l'ai débuté … je n'ose le dire…à sa parution, en 2003 !!
je l'ai abandonné, repris, ré-abandonné, et enfin achevé…ces derniers jours.
Non pas que le texte ne le mérite pas… bien au contraire, les mots bouleversants, d'amour, de révolte, de chagrin insensé de
Serge Rezvani… nous prennent de plein fouet, dans une tourmente fulgurante….Depuis, j'ai lu un récit qui prolongeait ce témoignage inégalable, le temps qui a suivi la mort de son épouse adorée, vénérée (cf. « L'
Ultime Amour »)
Un récit chavirant de l'artiste, écrivain-peintre-compositeur,
Serge Rezvani, qui tente d'écrire l'indicible : l'accompagnement de sa femme adorée « Lula » plusieurs années durant, atteinte d'Alzheimer.
Il écrit pour se battre contre la mort, l'anéantissement, le découragement, les difficultés extrêmes au quotidien, pour soigner, aider sa femme à ne pas sombrer tout à fait.
Un texte unique en son genre qui va très loin, pour dire les désarrois de la malade et les détresses qui connaissent des paroxysmes pour le compagnon…qui « fait », se bat…pour l'être aimé…dans une solitude sans nom...
« Toujours peur pour l'autre…peur du n'importe quoi, justement, peur sans raison, peur pour rien et peur pour tout. Par moments j'ai l'impression que tout se rétrécit à ces-détails-, que la vie n'est plus que cela, qu'aucun projet, qu'aucun espoir n'est permis, qu'aucune distraction ni aucune désinvolture n'est à « notre » portée, que le cercle des -détails- s'est définitivement refermé sur « nous » (…)
Mais la vie sans sa présence, sans sa présence pourtant déjà si remplie d'absence, la vie sans les petits bruits d'elle dans la maison pendant que j'écris-comme en ce moment-, la vie sans tout ce qu'elle représente ne serait—ce que physiologique si vivante encore en elle, et aussi la vie sans cette continuelle peur pour elle, pour nous, cette peur d'un avenir…qui est encore quand même de l'avenir et non du rien, non de l'absence totale, non du manque terrible d'elle, d'un vide d'elle, d'un vide de ce qu'il me reste d'elle malgré –ça- !...Comment pourrais-je être vivant encore si elle n'est plus là ? (…)
Que même le peu qui lui reste encore de la sensation d'être elle, de me savoir moi près d'elle, tant qu'elle reconnaît ce qui l'entoure, tant que se prolonge la sensation d'être en vie, tout plutôt que de disparaître tout à fait !... Qu'il y ait vie ! Vie ! …(p.58-59)
Rezvani… décide fermement de cesser d'écrire ce journal…au moment critique où l'état de la « femme aimée » va se détériorer neurologiquement, plus brutalement encore… et sans espoir aucun …
Je salue le courage infini de cet homme qui puise de l'énergie dans l'écriture, pour avoir la force d'accompagner le plus longtemps possible « Lula-Danièle », l'Amour de toute une vie, en ayant toujours refusé vigoureusement de mettre sa femme dans une institution spécialisée …
« de l'écrire me fait mal… et à la fois du bien. Devrais-je me taire, ne plus revenir sur la femme tant mythifiée par mes poèmes, mes livres, mes chansons, mes tableaux ? Faire un définitif silence sur elle ? Non ! Qu'elle vive encore en moi, en mes écrits, qu'elle m'occupe même par la douleur. Tout plutôt que le silence d'une tombe où je l'aurais abandonné vive ! (p.102-103)
Un récit déchirant, qui continuera de me poursuivre longtemps après avoir l'avoir refermé . Sur cette maladie terrible…deux grands chocs de lectures, pétries d'une compassion et sensibilité extraordinaires ; Ces lignes de Rezvani et celles de l'écrivain,
Arno Geiger, «
le vieux roi en son exil »
[
L'Eclipse, Actes sud, 2003]