Cétacé

J'avais offert ce livre - Cétacé de Clément Riot - à une amie, professeur de lettres qui en a fait la critique détaillée que je m'empresse de reproduire ici, sous son nom :
"Venant une période de calme, j'ai enfin pris le temps de savourer ce livre "Cétacé" offert par une amie. Une première fois d'une traite, de la première à la dernière page, emmenée sans le moindre fléchissement par la cadence du récit et par l'impression de retrouver la puissante voix du chant des baleines. Puis j'ai relu, tout de suite après, pour déguster encore, et mieux.
J'aime les mythes, parce qu'ils se vouent à la dimension de l'humanité tout entière, quels que soient les contresens et les malentendus que leur font subir les interprétations de telle ou telle peuplade à telle ou telle époque. L'auteur a réussi dans Cétacé à produire cette impression d'universalité, inséparable de la construction d'un mythe, tout en offrant le plaisir littéraire des voix alternées, des bouts de contes, des morceaux d'encyclopédies animalières savamment orchestrées comme pour un récital que son talent de conteur absorbe et lisse, de façon qu'on ne sait plus si c'est lui qui invente ou s'il tresse ensemble des voix anciennes et générales, des plus particulières, des célèbres et des méconnues pour arriver à nous persuader, au tout dernier paragraphe de la toute dernière page, que Fukushima et autres billevesées meurtrières nous concernent tous. Pas de tragédie ici, mais une épopée, qui invite à entrer dans l'obstinée bataille des grands vivants contre les sempiternelles forces de mort.
J'avoue que je craignais le pire, avec ce jeu de mots trop facile (« Cétacé / C'est assez ! »), mais le conteur auteur l'amène si lentement, si puissamment, au rythme formidable du chant des baleines, qu'en l'écoutant (car son écriture conserve magnifiquement ici les signes de l'oralité) l'envie nous prend d'accepter notre devenir baleine et de lancer nous aussi un cri de 20000kms, d'entrer dans le concert des cris capables de faire le tour de la terre.
Transformer une inquiétude écologique et politique en mythe universel est un exploit de conteur, et je vais devoir relire une troisième fois pour découvrir encore et comprendre mieux, car comme tout mythe, ce texte est riche en énigmes, et, comme toute bonne littérature, donne des clés au lecteur qui aime fouiner après s'être laissé séduire et emporter.
L'objet livre m'a aussi beaucoup plu (sauf le papier glacé et épais) : les illustrations en écho aux paroles, la mise en page qui laisse de la place (au mouvement des cétacés, à l'imagination du lecteur). Ces beaux à plats donner envie d'aller explorer le site de la maquettiste/illustratrice, qui a autant de talent que son père et des trouvailles incroyables !
Merci pour cette belle émotion, à mettre entre toutes les mains"
Mick Gewinner

Ce livre avait connu, fin 2016, une édition confidentielle qui, malgré sa courte et incertaine diffusion, avait eu un bel accueil. Complètement indisponible depuis, le voici réédité pratiquement à l'identique : même format, même maquette, juste une couverture plus attrayante et un sous titre légèrement modifié pour n'en être que plus explicite.
voici reproduite la critique parue en son temps dans l'hebdomadaire "Le Travailleur catalan", Semaine du 18 au 24 novembre 2016, N°3669, sous la plume d'Yvette Lucas :
"cétacé : L'univers du conte.
Partition à deux mains : Clément Riot a écrit. Jeanne Riot, sa fille a illustré.
Clément Riot aime les animaux fantastiques. Il nous a déjà conté, à maintes reprises et sous diverses formes, en compagnie de musiciens, l'aventure du "Grand parler aurochs", dont il a publié le texte en édition bilingue, français et espagnol. Son nouveau livre a pour titre "cétacé, légendes et prophétie jubartes". Pour ceux qui l'ignoreraient, le terme jubarte a trait à la baleine. Et cette fois c'est en compagnie de sa fille, Jeanne Riot, qu'il a mené l'aventure. Clément a écrit le texte et Jeanne l'a illustré. En un prologue, trois époques et un épilogue, nous évoluerons dans le monde des baleines et autres multiples êtres, plantes et animaux, liés à la mer.
Le monde des baleines, voire…
Avec Clément Riot les êtres humains ne sont pas loin, eux-mêmes étranges animaux aux avatars souvent bien plus complexes et inattendus encore que ceux de leurs proches ou lointains compagnons fantasmagoriques. À preuve un épisode inspiré par le tsunami et bien d'autres allusions. C'est pourtant dans le monde des éléments marins, dans une mythologie baleinière que nous allons tout d'abord nous plonger. « Mon conte prend son chemin, court vers la mer, court à la crête des vagues … pour retrouver la reine des mers, la baleine qui est grande, tellement grande… » Ainsi l'auteur engage-t-il une course agitée qui transgresse l'espace et les siècles et qu'entrecoupent des légendes, telle celle qui nous dit Pourquoi les baleines n'ont qu'un baleineau. Les histoires contées ont plusieurs faces, les baleines sont de diverses espèces et les animaux qui les entourent transforment parfois leur destin. Et les hommes, ces grands naïfs, traversent ou accompagnent cela, le plus souvent inconscients de ce qui se passe et se trame.
Les dessins en aplats de couleurs, jaunes ou bleues, épurés et joliment découpés, évocateurs des éléments où baigne le récit, disent l'entente profonde entre la dessinatrice et le narrateur, la joie qu'ils partagent. Légendes au pluriel, dit le titre. Prophétie est au singulier. Clément Riot conteur, manipulateur de mythes, fait planer le mystère.
Alors, la prophétie ? Lisez cétacé et vous saurez tout."

Connaissant Clément Riot pour ces spectacles de contes, j'ai lu "cétacé" avec grand plaisir. La structure "gigogne" qu'on trouve dans ces spectacles et dans "les contes des 1001 nuits", est également employée ici: un conte débute dans lequel s'en trouve enchâssé un autre qui peut, lui même, en cacher un troisième. Mais, Clément Riot tisse un fil rouge très personnel entre ces récits traditionnels, créant un mythe moderne dont je préfère laisser la découverte aux lecteurs. Une écriture précise, un lexique riche et rare, des références nombreuses aux grandes mythologies font de "cétacé" une lecture passionnante. le livre est un très bel ouvrage enrichi par les très belles illustrations et la mise en page de Jeanne Riot.

Clément Riot, avec sa belle écriture, nous offre à lire un conte plein de sagesse, merveilleusement construit, qui nous donne à réfléchir sur les méfaits engendrés par la cupidité des hommes et par leur mépris pour le monde animal et pour ce que l'univers nous donne de plus beau et de plus sacré.
Les illustrations de sa fille Jeanne ponctuent avec justesse et joliesse ce conte à la fois intemporel et si tragiquement actuel.