L’Iliade et l’Odyssée occupent une place à part dans la littérature en général. Ce sont les premières œuvres écrites qu’ait produites la Grèce. D’emblée, elles se sont imposées à l’admiration de tous. Les poètes lyriques grecs, les tragiques, les historiens en ont été nourris et les ont imitées. Leur texte a servi de base à l’éducation en Grèce. Les héros des deux poèmes sont ensuite passés dans le monde moderne où ils ont inspiré d’autres œuvres, des allusions, des rêves poétiques, des réflexions morales. Achille et Patrocle, Hector et Andromaque, Ulysse sont devenus des êtres familiers à tous et capables d’incarner, selon les cas, telle ou telle idée de l’homme. Qui plus est, quand quiconque reprend le texte même d’Homère, encore aujourd’hui, il est difficile de résister à cette simplicité directe, et pourtant nuancée, à cette vie rayonnante, et pourtant cruelle, à ces récits pleins de merveilles et pourtant si humains.
Il y a … quelques objets magiques dans l'Iliade, mais forts discrets, et réservés aux dieux : ainsi le ruban qu'Aphrodite donne Héra, pour séduire Zeus, au chant XIV, ou l'huile divine, dont la même Aphrodite oint le corps d’Hector, pour le préserver. Cela est fort peu, en comparaison de l’Odyssée.
Là, les drogues se multiplient : Hélène à une drogue calmante, rapportée d’Égypte, qui fait cesser la peine et la douleur (IV, 219-232). Le lotos du chant IX est une autre drogue qui vous ôte le désir de jamais repartir. Circé a une drogue qui change les hommes en pourceaux ; et, contre ses enchantements, Hermès donne à Ulysse, le « môlu », la plante à la racine noire et à la fleur blanche, très dure à arracher, qui doit le préserver de tous les sortilèges et que l'on à parfois rapprochée de la mandragore (X, 302-306).
2885 – [Que sais-je ? n° 2213, p. 88]
… départ de Poséidon pour Troie, au début du chant XIII. Tout est d'or ; tout étincelle ; et le char file sur la mer, qui lui ouvre le passage. Peu de textes expriment mieux l'émerveillement devant le divin ; mais il n'y a aucun détail descriptif qui choque la raison ; même cette mer qui s'ouvre n'est, en plus rapide et en plus fort, que le creux que fait tout navire en fendant la surface ; et les « monstres marins » sont sans doute seulement (J. Kakridis l'a fort bien montré) ces dauphins qui, en mer Égée, se plaisent à suivre le sillage des navires. En tout cas, l'éclat du miracle ne fait que prolonger l'expérience courante. Et Homère se garde bien de dire à quelle vitesse va le char, comment s’ouvre la mer, ou de donner aucun des ces détails auxquels se complairait un conte oriental.
2882 – [Que sais-je ? n° 2213, p. 85]
Cependant, très vite, à la suite des ces drames [invasions] et de la surpopulation créée par les Doriens, les Grecs commencèrent à émigrer du continent vers l'Asie Mineure. Ils s'y répandirent par groupes ethniques (entre autres éoliens et ioniens, les premiers au nord, les seconds plus au sud). Vers 800, toute la côte anatolienne était ainsi habitée par les Grecs, le commerce avait repris ; l'âge de la colonisation organisée s’annonçait, on se donnait une nouvelle écriture, en adoptant un alphabet emprunté aux Phéniciens.
C'est dans ce milieu des Grecs d'Asie Mineure, et dans cette époque de reprise, que se place, selon la tradition, la composition de l'Iliade et l'Odyssée, aboutissement de quatre ou de cinq siècles de souvenirs transmis de façon orale.
2872 – [Que sais-je ? n° 2213, p. 7]
Les admirables travaux de Victor Bérard se sont … efforcés de reconnaître dans la Méditerranée les trajets et étapes d'Ulysse. Ils ont ainsi pu établir avec une assez grande probabilité que l'île des Lotophages était Djerba, que la terre des Cyclopes se trouvait dans le golfe de Naples, que l’île d’Éole était le Stromboli, etc. De même que les îles Lipari dont fait partie le Stromboli s’appellent encore îles « Éolienne », de même le souvenir de Circé resterait, en Italie du Sud, au mont Circeo. L'oracle des morts serait près du lac Averne. Charybde et Scylla seraient de part et d'autre du détroit de Messine. La grotte de Calypso serait plus loin, vers Gibraltar ; mais le pays des Phéaciens serait, conformément à la tradition, Corfou.
2878 – [Que sais-je ? n° 2213, p. 36]
Affinités électives. Par Francesca Isidori - Avec Jacqueline de Romilly. Le 10 mai 2007, Francesca Isidori recevait la femme de lettres Jacqueline de Romilly pour l’émission “Affinités électives”, diffusée sur France Culture. Photographie : Jacqueline de Romilly © AFP Alexandre Fernandes. Née à Chartres, en 1913 (fille de Maxime David, professeur de philosophie, mort pour la France, et de Jeanne Malvoisin), elle a épousé en 1940 Michel Worms de Romilly. Elle a effectué sa scolarité à Paris : au lycée Molière (lauréate du Concours général, la première année où les filles pouvaient concourir), à Louis-le-Grand, à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm (1933), à la Sorbonne.
Agrégée de lettres, docteur ès lettres, elle enseigne quelques années dans des lycées, puis devient professeur de langue et littérature grecques à l'université de Lille (1949-1957) et à la Sorbonne (1957-1973), avant d'être nommée professeur au Collège de France en 1973 (chaire : La Grèce et la formation de la pensée morale et politique).
Du début à la fin, elle s'est consacrée à la littérature grecque ancienne, écrivant et enseignant soit sur les auteurs de l'époque classique (comme Thucydide et les tragiques) soit sur l'histoire des idées et leur analyse progressive dans la pensée grecque (ainsi la loi, la démocratie, la douceur, etc.). Elle a également écrit sur l'enseignement. Deux livres sortent de ce cadre professionnel ou humaniste : un livre sur la Provence, paru en 1987, et un roman, paru en 1990.
Après avoir été la première femme professeur au Collège de France, Jacqueline de Romilly a été la première femme membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres (1975) et a présidé cette Académie pour l'année 1987.
Elle est membre correspondant, ou étranger, de diverses académies : Académie du Danemark, British Academy, Académies de Vienne, d'Athènes, de Bavière, des Pays-Bas, de Naples, de Turin, de Gênes, American Academy of Arts and Sciences, ainsi que de plusieurs académies de province ; et docteur honoris causa des universités d'Oxford, d'Athènes, de Dublin, de Heidelberg, de Montréal et de Yale University ; elle appartient à l'ordre autrichien “Ehrenzeichen für Wissenschaft und Kunst” et a reçu, en 1995, la nationalité grecque et est nommée, en 2001, ambassadeur de l'Hellénisme.
Elle a aussi reçu de nombreux prix : Prix Ambatiélos de l'Académie des inscriptions et belles-lettres(1948), prix Croiset de l'Institut de France (1969), prix Langlois de l'Académie française (1974), Grand prix d'Académie de l'Académie française (1984), prix Onassis (Athènes, 1995). Ella est élue à l'Académie française, le 24 novembre 1988, au fauteuil d'André Roussin (7e fauteuil). Son dernier ouvrage : “Tragédies Grecques au fil des ans” paraîtra en juin 2007 aux éditions des Belles Lettres. Il s'agit d'un recueil d'études sur la tragédie grecque du dernier tiers du Ve siècle av. J.-C. et ses rapports avec les mouvements intellectuels athéniens.
Jacqueline Worms de Romilly, née Jacqueline David le 26 mars 1913 à Chartres et morte le 18 décembre 2010.
Invitée : Jacqueline de Romilly
Source : France Culture
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