C'est l'histoire de la première grande révolution scientifique de l'humanité. Avant cette lecture, je pensais situer ce moment à l'ère de l'école pythagoricienne avec leur recherche des lois mathématiques sous-jacentes aux phénomènes naturels (Vème siècle AEC) ou bien avec la physique mathématique de l'astronomie d'Hipparque et Ptolémée (IIème siècle EC). L'auteur
Carlo Rovelli nous propose d'aller encore un cran plus tôt avec l'histoire d'Anaximandre de Millet (VIème siècle AEC).
L'ouvrage est savant : nous cheminons d'Anaximandre de Millet à son expérience de pensée inédite, de ses implications scientifiques jusqu'à ses impacts philosophiques. L'ensemble des connaissances scientifiques des 26 derniers siècles s'accrètent autour du noyau de sa pensée : tous les contributeurs de la science, des moins connus jusqu'aux grands noms comme Hipparque, Ptolémée, Copernic, Newton, Maxwell, Einstein pour n'en citer que quelques-uns, ont prolongé la révolution conceptuelle d'Anaximandre.
Pour autant, ce n'est pas un livre d'histoire : la proposition d'Anaximandre de Millet est toujours d'actualité ! La civilisation s'est fracturée depuis que l'humanité cherche à comprendre le monde sans faire intervenir le divin. Depuis qu'Anaximandre de Millet a ouvert la porte du savoir scientifique, l'être humain a été déraciné de ses attaches religieuses, et il erre désormais dans l'incertitude.
Le prolongement philosophique de l'oeuvre nous invite à réfléchir sur les fractures religieuses de la société depuis l'apparition du séisme scientifique : la suppression du divin n'a pas été digérée par tous, de la même manière, avec la même souplesse et l'arc religieux s'étire du rigorisme biblique jusqu'à l'athéisme militant. Chacun dans son cheminement intellectuel doit questionner ses propres croyances, et le cas échéant, rejeter les certitudes vides pour faire place à une nouvelle cathédrale intellectuelle, par nature adaptable, souple et mouvante.
Je conclue ces quelques lignes avec l'excellent épigraphe de l'ouvrage, pour vous ouvrir encore davantage l'appétit : « On raconte que ce fut Anaximandre de Milet qui le premier ouvrit les portes de la nature. », Pline, Histoire Naturelle, II, 31