Une nouvelle au dénouement pas très crédible mais intéressante à plusieurs égards :
L'addiction de
Maigret au tabac et l'attachement qu'il porte à ses pipes sont connus. La disparition de l'une d'entre elle – « une grosse pipe en bruyère, légèrement courbe, que sa femme lui avait offerte dix ans plus tôt lors d'un anniversaire » – va donc évidemment le perturber. Mais ce qui pourrait être un non-événement va être habilement utilisé par
Simenon : c'est en recherchant comment sa « bonne vieille pipe » a disparu que
Maigret va se remémorer l'entretien qu'il a eu avec Mme Leroy et son fils Joseph et, à défaut de savoir pourquoi, découvrir au moins qui est le voleur. Ce qui décidera de la suite de l'intrigue.
Le personnage de Mme Leroy est à placer dans la galerie des portraits de femmes de la série. Loin des gangsters, des bourgeois ou des notables, nous sommes ici chez les petites gens, pas riches mais pas vraiment pauvres, ceux qui galèrent pour joindre les deux bouts, en louant des chambres ou en étant « dame de compagnie ». Mais Mme Leroy est restée fière, voire prétentieuse, parlant de son mari officier alors qu'il n'était qu'adjudant et se plaignant sans cesse que les gens n'ont aucune délicatesse.
« La femme – c'était plutôt Mme Leroy – était assise juste en face du commissaire. Avec cette allure un peu raide des gens qui se sont promis d'être dignes. Une femme dans les quarante-cinq ans, de celles, qui, sur le retour, commencent à se dessécher. »
Joseph est plus intéressant. Sous l'emprise d'une mère qu'il trouve ridicule mais qu'il craint, il vit mal son apprentissage de garçon-coiffeur et rêve d'aventures. Pour échapper à la morosité de sa vie – « On sentait l'ordre. Mais, mon Dieu, que c'était triste ! Plus que triste, lugubre ! » – mais aussi pour impressionner la gentille Mathilde, il prendra des risques, tout en croyant que la pipe volée à
Maigret l'aidera dans sa démarche. Comme l'écrit
Murielle Wenger (
Maigret of the Month) :
« C'est ce que Joseph Leroy a bien compris, et le motif pour lequel il a volé une pipe à
Maigret : cette pipe que le policier serre entre ses dents l'aide à comprendre, à trouver la solution de l'énigme. Comme le crayon d'un écrivain,
la pipe de Maigret est l'outil qui lui permet d'appréhender le monde. »
Maigret est ici vu sous différents aspects, obnubilé par la disparition de sa pipe et « absent » pendant un repas de famille, un peu somnolent face aux litanies de Mme Leroy, lourd et lent quand il visite sa maison, étonnement agile et rapide quand il effectue une arrestation en force – « Si tu as encore le malheur de me mordre, sale bête, je t'écrase la gueule. » – dans une auberge louche des bords de Marne. Enfin un
Maigret qui se dévoile un peu, très perturbé par la perte d'un objet que sa femme lui a offert et donnant son avis sur les femmes et sa préférence pour « celles que les années empâtent. ».
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http://maigret-paris.fr/2020..