« Je ne connaissais pas le centre, je n'ai jamais donné d'ateliers d'écriture, je n'en avais suivi (…)»
Je connaissais le sujet du livre mais j'avoue que je ne m'attendais pas à cette phrase dés la deuxième page.
Je suis resté ébahi une bonne minute. Bon, par après on se rendra compte que l'expérience de l'autrice en faisait une personne de choix et c'est cela qu'ont sans doute cerné ses deux examinateurs à l'entretien d'embauche.
« Alors que je m'interroge sur ma légitimité à écrire une histoire (« quoi que je tente, je n'écrirai jamais qu'un ersatz d'une réalité que je ne peux appréhender »), je vois aussi, et la sensation ne me laisse pas en paix, comme j'en fais mon miel. »
Au début, on pourrait croire qu'elle s'inscrit dans une fausse modestie, une compassion formalisée, échelonnée, ou dans une instrumentalisation des vécus mais, rapidement, on la voit douter, parler de ses failles, oser dire ce que les membres de l'atelier lui apportent, accepter ce qui donne et défait aussitôt. On se rend compte qu'on est au-delà d'un énième témoignage sur la différence ou la thérapie par l'art, mais dans ce qui devait être écrit. C'est un livre qui renforce la proposition de
Nancy Huston, nous ne sommes faits que d'histoires.
« Se détache de l'ensemble (de croquis) la merveilleuse silhouette d'une femme-arbre. Des branches poussent de son torse, sa tête est relevée d'une épaisse couronne de feuilles. Je m'y arrête. Lina commente pudiquement : C'est pour me tirer vers le haut, pas toujours vers le bas. »
« Je leur dis: Ce qui m'intéresse, c'est ce qui vient ensuite. Et aussi : À partir de là c'est à vous de jouer. (…) Mathias, d'ordinaire peu revendicatif, assène : « Avant est une grosse baudruche qui se dégonfle. » »
D'ailleurs, quand même une critique à mes yeux, mettre en titre la voix même si l'autrice s'inscrit en témoin est présomptueux je pense, cela s'inscrit peut-être encore dans une forme de masque, de protection. Vu qu'elle n'hésite pas à mettre des textes des membres de l'atelier, parler de leurs créations ou donner un peu de leurs vécus, le titre aurait pu être : « Les voix des Saules ».
« On développe son écoute comme, en musique, on travaille sa justesse. »
L'autrice le dira souvent mais ce qui frappe c'est la qualité d'écoute des textes des participants aux ateliers. Tous aux Saules ont développé une oreille affutée, qui entend des gammes d'ordinaire silencieuses. Comme si la faiblesse, les contraintes, faisaient émerger les qualités, de nouveaux espaces intérieurs.
Je crois que la réussite du livre est qu'il fera quasi inévitablement remuer le lecteur, l'inclura dans la danse de la vie, le mènera doucement vers ce chemin qu'il a oublié ou s'est efforcé d'oublier. Tout le long, le livre ne dépeint qu'une chose : notre droit à exister, à ressentir sans pour autant que cela nous définisse.