Appelé Jean par sa mère mais, à sa naissance, déclaré Camille par son père, ce sera donc Camille qui devra quitter son petit coin de Creuse, les Bois d'en Haut, près de Gentioux.
Une ferme trop modeste pour nourrir Camille et sa mère, un père disparu voilà quatre ans, emporté par la crue du Rhône à Lyon. Ce père allait limousiner les trois quarts de l'année. Avec d'autres paysans creusois, il partait se vendre comme maçon sur les chantiers des quartiers de Lyon alors en pleine transformation haussmannienne.
A seize ans, en 1860, on est presque un homme et c'est ainsi qu'armé d'un bâton et d'un baluchon, Camille part rejoindre Lyon, à pied, avec son oncle et quelques autres. Une migration dès le printemps pour couper la misère.
Arrivé à Lyon, il pense loger dans le garni qui avait dû accueillir son père avant lui, mais les silences et la gêne de la propriétaire, l'attendrissante Edmonde, lui révèlent une tout autre vérité.
Il veut savoir, pose son regard sur les lieux que son père a foulé et laisse la colère l'envahir. Colère du mensonge et de la trahison. Dans les eaux du Rhône se reflète la perte de ce père, perte ou abandon programmé ? Il ne peut laisser dormir ce passé et partira sur ses traces pour apaiser sa blessure.
Sur les chantiers, les conditions sont dures : des échelles en lieu et place des échafaudages par mesure d'économies, la lourdeur des charges de mâchefer dans les paniers en osier, la fatigue des onze heures harassantes à monter et descendre les échelles.
Jean-Guy Soumy a une écriture concise. Quelques mots, des phrases brèves, suffisent à évoquer la saison, l'environnement, les pensées, les interrogations, les douleurs, la tristesse. Tout est précis et choisi dans le but de véhiculer images et sentiments en les mêlant intimement.
Les chapitres sont courts. Certains donnent directement la parole à Camille et nous font partager plus étroitement ses ressentis et son évolution.
En parallèle des constructions immobilières, c'est la reconstruction de ce jeune paysan creusois face à son passé floué, bafoué par la trahison de son père, qui nous émeut.
Que ce soient les différentes étapes de la construction des nouveaux faubourgs de Lyon ou plus loin, le tracé de la nouvelle frontière italienne, le contexte historique enrichit ce douloureux cheminement.
Ce roman interroge également sur l'appartenance régionale ou nationale et valorise des métiers manuels. Il joue sur le mensonge mais refoule le ressentiment pour se tourner vers l'avenir.
J'ai aimé accompagner Camille et je remercie Masse Critique et Les Presses de la Cité pour ce beau chemin parcouru avec intérêt et émotion.