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Éric Chédaille (Traducteur)
EAN : 9782859409111
400 pages
Phébus (19/04/2003)
3.95/5   97 notes
Résumé :

Publié en 1987, soit six ans avant la mort de l'écrivain, c'est le dernier des grands romans de Stegner - son finale... en sourdine. Deux couples d'enseignants à l'âge de la retraite, qui se connaissent depuis les années trente. se retrouvent pour des vacances dans une maison perdue au milieu des forêts. Passé et présent Jouent à cache-cache. cependant que la mort rôde en fond de décor... A la sortie ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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"Nous partagions tous ce même état d'esprit. C'est certain. Car, arrêtés devant leur portail avant de remonter en voiture, nous nous embrassâmes, hilares, en une étreinte à quatre, tant nous étions heureux de nous connaître et heureux de ce que les milliards de hasards de l'univers nous aient amenés au même moment dans la même ville et la même université."

Un petit matin d'août 1972 à Battell Pond, autour d'un lac du Vermont à quelques kilomètres de la frontière canadienne, haut lieu de villégiature pour les Lang, Ellis et leurs amis…
Larry, arrivé la veille avec son épouse Sally, sort de la maison d'amis faire quelques pas alentour, dans les chemins si souvent pacourus durant des années.

"Tel il était, tel il est, ce lieu où, pendant la meilleure époque de notre vie, l'amitié avait son domicile et le bonheur son quartier général."

Une amitié indéfectible. Larry et Sally, Sid et Charity. Les Morgan et les Lang.
Deux couples qui se rencontrent en 1937 à l'université du Wisconsin, à Madison, où Larry et Sid ont tous deux décroché un poste d'assistant.

C'est un coup de foudre immédiat entre les deux couples, les prémices d'une amitié que rien ne parviendra à entamer réellement, ni les choix et contraintes professionnels, ni l'éloignement géographique, ni les défauts des uns et des autres, ni les coups durs, ni le passage des ans.

Les souvenirs reviennent, et de la première année partagée à Madison aux vacances à Battell Pond, des années de guerre au séjour à Florence, différents moments essentiels de la vie de ces quatre êtres dessinent les contours de leur amitié si précieuse et si particulière, nourrie tant par les qualités indéniables des uns et des autres que par leurs travers.

Cette journée d'août 1972 court souterraine derrière l'évocation des quarante années qui la précèdent ; Larry passe d'une époque à une autre, passe les ans pour revenir sur ses pas, raconte aussi Sid et Charity avant leur rencontre avec Sally et lui, pour mieux revenir à cet attachement si profond qui les unit.

Comme des rides plissant la surface du lac, les évènements esquissent un schéma plus contrasté, ombré d'incompréhensions, d'agacements, d'envie aussi, qui amène à ce dernier jour d'août 1972, sans pour autant remettre en cause les sentiments partagés.

Malgré les accrocs et les blessures du temps, cette amitié est fabuleusement séduisante.
Wallace Stegner lui donne tous les chatoiements, l'enserre dans de superbes paysages, l'entoure d'une tribu, celle des Ellis, dans un lieu unique, Battell Pond.
Il évoque avec finesse ce qui pourrait remettre en cause l'attachement entre les deux couples, la force que cet attachement nourrit autant qu'il s'en nourrit.

J'ai été emportée par l'enthousiasme et le plaisir d'être ensemble de ces quatre amis, leurs aventures et mésaventures, et ce lien que rien ne peut défaire.

C'est un très beau roman dont je n'oublierai ni les personnages ni les lieux, en particulier Battell Pond et les environs du lac où se rassemblent année après année les Ellis, Lang et amis, "la bibliothèque ouverte à tous et emplie d'ouvrages salutaires au nombre desquels j'ai noté le Vent dans les saules, le Manuel du boy-scout, toute la série des Winnie l'Ourson, le Cheval et l'Enfant, Les Quatre Filles du docteur March, Jody et le Faon. Sans compter des piles de National Geographic" du cottage de Tante Emily dans les années 1930, à laquelle fait écho "l'alcôve, où, disposés de part et d'autre d'un oriel, des meubles et des rayonnages croulaient de livres, de cubes, de poupées, de modèles réduits de voitures et de camions, de jeux de société, pour les visites impromptues des petits-enfants" de Charity et Sid quarante ans plus tard.

Sans parler des lectures de Tante Emily à tous ces petits enfants, "d'innombrables cousins, neveux et nièces,
petits-neveux et petites-nièces, petits voisins, enfants d'invités ou de gens en visite", surtout celle de Hiawatha de Longfellow, qu' "Elle lit d'une voix forte afin de se faire entendre malgré le crépitement de la pluie."
"Tous les petits Indiens rangés en demi-cercle autour de Tante Emily reçoivent une empreinte qui leur restera toute la vie. le son de sa voix en train de lire conditionnera leur vision d'eux-même et du monde. Cela s'inscrira pour partie dans l'ambiance chérie de Battell Pond, trait de lumière dans l'émerveillement chromatique de leurs jeunes années. Ces sensibilités enfantines ne se départiront jamais des images de forêts obscures et de lacs étincelants."
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Ce que je trouve exaltant avec Wallace Stegner, c'est que je ne sais jamais combien de temps durera ma lecture. Je ne peux m'empêcher de relire plusieurs fois certaines phrases, de noter certaines formes de style, de rechercher un ancien mot inusité, de simplement déguster la richesse d'une langue écrite dense mais épurée du moindre superflu.
Facile alors de comprendre que son traducteur Eric Chédaille mette un certain temps à nous communiquer la version française d'une oeuvre riche trop longtemps laissée sous cloche. Il doit lui aussi souvent revenir en arrière, ne sachant s'il a choisi le bon mot, la bonne tournure de phrase, pour rendre accessible et compréhensible la pensée de l'auteur. Mais le résultat est à la hauteur de la complexité de la tâche. Que ce soit dans le récit, les descriptions ou les dialogues, la fluidité est le maître mot de l'écriture, et tout s'enchaîne à la perfection.
Une littérature classique faisant la part belle à la nature, qui illumine le propos et en devient l'étoile qui scintille au firmament de la vie.

« Laissant Wizard paître l'herbe du fossé, nous nous sommes assis sur un mur de pierres sèches. Odeurs lourdes de pousse et d'humus, où se mêle l'acidité tout automnale de végétaux en décomposition. Rumeur assoupie de mouches et de bourdons. de bruns criquets bondissent à nos pieds. Un chemin ombreux s'ouvre dans les bois sur notre gauche, qui ressemble plus à une trouée naturelle qu'à un passage frayé par l'homme et se referme au bout d'une trentaine de pas. Un muret le longe qui disparaît bientôt au milieu des prunelliers, frênes et peupliers. d'entre ses pierres disjointes sortent des arbres gros comme la cuisse. Tout au bout, là où il est mangé par les feuillages, une poche de soleil où palpite ce qui pourrait être un feu follet : plus probablement un nuage de moucherons ».

Wizard, le vieux cheval de retour qui accompagne les héros, magicien du cheminement intemporel. « A wizard, a true star », me vient l'album de Todd Rundgren plein d'inventivité et de démesure, qui nous ensorcelle encore cinquante ans après sa parution. Je trouve que l'écriture de Stegner est stellaire et fascinante, et comme la musique de Rundgren, en avance sur son temps. Elle triture le classicisme pour y incorporer une dose d'humour et de dérision, qui allège la prose et la rend magnétique.

« Elle estimait qu'il avait été influencé avant la naissance. Conçu lors d'une expédition dans le Sahara, il avait exactement le caractère, y compris l'entêtement, l'oeil mauvais et la voix déplaisante, d'un chameau de bât. (…)
- Qu'est-ce qui vous fait penser que les dromadaires ont marqué Barney ? Lui demandai-je, juste histoire d'entretenir le flux de révélations. Il a une bosse, le palais fendu, quelque chose comme ça ?
- Oh, non, rien de tel ! fit Charity, pavoisant presque, aux anges et hyperbolique. Il est tout à fait beau, vraiment. Seulement, il présente leur disposition grognonne. Leur disposition grognonne et leurs cils interminables ».

Si le temps et l'amitié sont les sujets principaux de l'oeuvre, l'accent du livre est mis également sur des réalités qui nous concernent tous comme la mort ou la maladie. Dès le premier chapitre, le ton du roman est donné :  

« Laisser notre marque sur le monde. Au lieu de cela, c'est le monde qui nous a laissé des marques. Nous avons avancé en âge. La vie s'est chargée de nous assagir, en sorte qu'aujourd'hui nous gisons dans l'attente de mourir ou marchons avec des cannes ou séjournons sur des galeries où jadis les fluides de la jeunesse circulaient puissamment, et nous nous sentons vieux, mal fichus et désemparés ».

En lieu sûr peut presque se lire, au-delà de la méditation sur l'existence, la jeunesse et la maturité qu'il recèle, comme une petite leçon de littérature dispensée par un maître en la matière ; Stegner, qui dirigea un quart de siècle durant l'atelier d'écriture de l'Université de Stanford, a ainsi truffé son texte d'auto-réflexions maquillées derrière celles, transparentes, de son personnage. 

« Je pense que la plupart des gens possèdent une certaine dose de talent dans un domaine ou dans un autre, les formes, les couleurs, les mots ou les sons. le talent est quelque part en nous comme du menu bois attendant une allumette, mais certains êtres, tout aussi doués que d'autres, ont moins de chance. le sort ne leur présente jamais l'allumette. L'époque n'est pas la bonne ou leur santé est défaillante ou faible leur énergie ou trop nombreuses leurs obligations. Quelque chose fait défaut ».

Enchantements et désillusions se succèdent ainsi et l'on devine dans les cheminements que vivent les personnages une inspiration autobiographique où l'écrivain aigri et bougon se révèle au grand jour, mais délicatement nuancé par une métaphore imagée.

« Cela ne commença pas sous de bons auspices. Cela commença, pour tout dire, par un différend sur fond de saute d'humeur et d'entêtement, un éclat pour une vétille, un peu comme un jour dans un volet par lequel on verrait l'incendie qui ravage l'intérieur de la maison ».

Voilà donc deux couples d'universitaires qui, liés par une amitié en béton armé, ont traversé ensemble la moitié du siècle. Tous quatre sont érudits, cultivés, pleins d'ambitions littéraires et d'idéaux familiaux on ne peut plus classiques ; le narrateur, Larry, raconte simplement leur rencontre, en pleine Dépression, et les parcours parallèles qui les ont amenés à nos jours, avec ce qu'il faut de joies simples, de drames tristes, d'imprévus banals et d'éclats de rire salvateurs.
Quoi d'autre ? Rien, justement : c'est tout le pari de Wallace Stegner que de parvenir à tenir son lecteur en haleine avec ces quatre vies presque anonymes.

« Pourquoi ne pas écrire quelque chose sur un être humain bon, gentil, présentable, qui mènerait une existence normale dans un environnement normal et s'intéresserait à ce à quoi s'intéressent la plupart des gens ordinaires ? » 

Rien de mièvre, de fait, dans cette histoire qui se présente comme une variation sur l'innocence et l'expérience.
Les uns étaient modestes, les autres mondains, mais l'amour de la littérature, le partage des bonheurs et des épreuves de l'existence ont forgé entre eux un lien aussi indissoluble que nécessaire. Au fil des retours sur le passé, Stegner évoque avec force et émotion le flot de la vie et la puissance du souvenir, tandis que s'invite la promesse de la mort. 

« Peut-être était-il, comme moi, en train d'imaginer que passait là-haut une part de ce qui avait jadis été la substance mortelle de tante Emily, de George Barnwell ou d'oncle Dwight, absorbée par la racine d'un hêtre au cimetière du village, incorporée dans une faine, dévorée par un écureuil, rejetée dans un pré, passée dans une tige de laiteron, grignotée et assimilée par ce papillon, destinée à être emportée vers le sud pour une longue et hasardeuse migration, happée par un insectivore, ramenée dans le Nord au printemps, déposée dans un oeuf, mangée par un geai chapardeur et incluse dans un nouvel oeuf, précipitée du haut de son arbre par une bourrasque, absorbée par le sol, ressortie en herbe, broutée par une génisse en lactation, une partie se trouvant prédestinée à être, comme Charity l'avait dit, bue au petit déjeuner par ses descendants, une autre déposée dans une bouse pour se fondre derechef dans la terre et, immortelle, en ressortir une fois encore sous la forme d'un nouveau plant de laiteron se préparant à nourrir d'autres danaïdes ».

Il y a, chez cet écrivain, de l'humour et de la tendresse, de la lucidité et de l'emportement, sans maudire, mais pas sans mots dire, - "oriel", ça vous dit quelque chose ? - , tout ce qu'il faut pour donner de la belle littérature.

J'avais déjà lu « Le goût sucré des pommes sauvages », une bonne entrée en matière sous la forme de nouvelles diverses et variées, « Lettres pour le monde sauvage » cruel et réaliste pamphlet avant-gardiste sur l'environnement, et « La vie obstinée », considéré comme son chef d'oeuvre.
Celui-ci est son dernier roman, qualifié de chant du cygne.
Il va rejoindre les précédents, en glissant sur l'onde, en lieu sûr.
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C'est l'histoire d'une amitié, celle que partage deux couple : Larry (le narrateur) et Sally ; Sid et Charity.
Larry et Sally viennent de débarquer à Madison, Wisconsin). Ils tirent le diable par la queue, on est en pleine Grande dépression. Ils se rencontrent lors d'une soirée organisée par des enseignants. Ils sont profs tous les deux à l'université, les femmes sont toutes les deux enceintes.
C'est un véritable coup de foudre amical.
Au gré des coups de pouce professionnels ou de leurs aléas, ils vont se voir souvent, épisodiquement. La distance géographique, le temps qui passe n'entamera en rien leur proximité. Il faut dire qu'ils ont vécu des choses fortes ensembles : la naissance de bébés, des vacances dans le Vermont où finalement Sid et Charity s'installeront, des treks, un séjour en Italie….
Et même s'ils ne sont pas toujours d'accord, si le caractère des uns exaspère ou heurte les autres, ils continuent sur la quarantaine d'années de leur amitié, racontée par des va-et-vient entre hier et aujourd'hui, à s'apprécier, à s'estimer.
C'est un beau roman sur l'amitié, sur le temps qui passe y compris sur le couple, sur le bilan des désirs et espoirs parfois déçus ou entamés par la vie.
Pour autant, je n'ai pas été emportée par ce récit. le personnage de Charity, la mal nommée, m'a trop dérangée. Oui, elle est exceptionnellement belle. Cela n'excuse pas son caractère pénible, sa manie de prendre toutes les décisions, de tout planifier, organiser, régenter sans tenir compte des avis, souhaits des autres. D'ailleurs très vite, les trois autres lâchent l'affaire, se laissent porter. J'ai aussi été profondément dérangée par son habitude à rabaisser son mari Sid, à le réprimander comme un gamin, y compris quand des amis, en l'occurrence ici Larry et Sally sont présents. Et chacun de détourner le regard, de baisser la tête. Je n'ai pas compris cette complaisance « amicale » à subir ces scènes, à excuser ces actes sous prétexte d'amitié.
Cela ne m'empêchera pas de tenter un autre Stegner. le petit côté désabusé de celui qui regarde derrière soi le chemin parcouru, les sentiers bloqués ou abandonnés m'a plutôt semblé très juste.

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Mais c'est qu'il se moque de nous, dans son dernier roman, ce Wallace Stegner. Il nous émiette quelques phrases, disant depuis le début qu'un drame est arrivé mais on ne sait pas pourquoi ni dans quelles circonstances. On ne peut qu'essayer de deviner, on se dit que l'on n' a pas été attentif, on relit, on ne comprend pas plus. Puis , sans plus, il commence en revenant en arrière, à la première personne, le récit d'un stagiaire à l'Université de Madison, puis écrivain, son mariage, leur rencontre avec un autre couple, la forte amitié qui les lie tous les quatre. En d'autres termes, Stegner nous laisse en plan, et il essaie de se rappeler le passé sans être sûr de sa mémoire, et de le faire revivre pour nous, en nous laissant dans l'incompréhension.
C'est à la page 213, alors que nous sommes toujours dans l'expectative, que l'auteur se moque encore plus de nous, avec une jubilation que nous partageons : « C'est ici, écrit-il, l'emplacement idéal pour lâcher des sous-entendus et semer des indices, le moment idéal pour cacher derrière le piano ou dans la bibliothèque des révélations que, par la suite, à la grande satisfaction du lecteur, je mettrai triomphalement au jour. Cela, si je cultivais le rebondissement dramatique. » Qu'il pratique, le petit malin. Puis il énumère quelques hypothèses sur la suite à donner à ce quatuor, qu'il écarte avec ironie : puisque c'est une amitié, on peut penser à un pourrissement de celle-ci, ou à un échange de partenaires, y compris les 2 hommes ensemble, ce serait vraiment moderne. Hypothèses rejetées. Car la reconnaissance et une amitié partagée lie ces deux couples durant presque 40 ans.
En lieu sûr, c'est aussi le récit d'un écrivain qui écrit, mais ne pourrait écrire cette histoire, dit il à la fin du roman, trop intime pour lui. Autre jubilation. Autobiographie déguisée, ou fiction, peu importe, car les descriptions de la nature du Wisconsin sont remarquables, la prose belle et simple, l'analyse d'une amitié qui dure ( et plus encore l'amitié entre les deux femmes, l'une « belle, élancée, exotique et exubérante », l'autre sage, douce, féminine :bravo , Stegner, tu t'es moqué de nous, mais tu nous donnes une humanité réelle et haute) et puis la vie au paradis qu'ils partagent, ah, et qui dit paradis dit serpent.
Autre ressort stylistique : Larry Morgan, le locuteur écrivain, écrit à la première personne, sauf quand il se moque de lui même et devient « il », souvent pour dire sa déception de ne pas être un grand écrivain : « Fin du rêve secret de Morgan de voir son petit roman non annoncé épater des dizaines de milliers de lecteurs par son ironie, son empathie et sa sensibilité, et les déposer, son épouse et lui, en carrosse-citrouille dans Pinacle Street. » Ironie, empathie et sensibilité : les trois énormes qualités du roman. Et la psychologie de l'autre couple, un mélange d'esclavage consenti et mutuel, la rivalité latente entre les quatre, la jalousie non exprimée des deux hommes quant à leurs atouts différents, et le soleil, qui vient apaiser les coeurs mais n'annihile pas le serpent. Ce serpent dresse sa queue à propos de rien, et il n'apparaît pas pas fortuitement, par une intrusion à l'intérieur de ce paradis, en fait il fait partie du paradis.

Citant Tchekhov et ses ressorts stylistiques , Stegner cite aussi beaucoup d'écrivains ou poètes américains, que malheureusement je ne connais pas :Swinburne, Spenser, Gabriel Harvey, et plein d'autres, dont Henry Adams « le chaos est la loi de la nature : l'ordre est le rêve de l'homme », phrase que Stegner reprendra à la fin de son livre : « L'ordre est , de fait, le rêve de l'homme, mais le chaos, autrement dit le hasard aveugle, insensé, reste la loi naturelle ». Livre tellement riche que j'ai du mal à conclure, mais dire quand même que le livre contient des pages inoubliables sur le Christ ressuscité de Piero della Francesca à Sansepolcro. Et puis les femmes qui souffrent, et la compassion à leur égard de l'auteur/ locuteur, y compris quand il nous les as présentées tyranniques et égoïstes. Livre complet, d'un érudit, j'arrête , je ne sais dire que : chef d'oeuvre.
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Comment sait on dès les premières lignes que l'on vient d'ouvrir un très bon roman ?
L'histoire avance lentement mais vous ne remarquez pas cette lenteur, vous êtes suspendu aux mots, ils vous tiennent en haleine. En quelques paragraphes les héros semblent faire partie de votre univers depuis toujours.
Un roman sans armes à feu, sans passions exacerbées, sans divorce, sans drogue, rien de spectaculaire ici.
Des vies pleines, riches, parfois difficiles, une amitié qui repose sur de fortes différences et qui pourtant ne vacille pas même dans la tempête.

Il est temps de faire connaissance avec les deux couples d'universitaires car vous allez passer la moitié d'un siècle avec eux.
Dans les années trente, Larry Morgan, le narrateur, vient d'épouser Sally qui attend un bébé.
Il a obtenu un poste à Madison, Wisconsin, ils sont désespérément fauchés et Larry s'acharne à l'écriture de nouvelles qu'il espère vendre à des magazines.
La rencontre avec Sid et Charity Lang va changer le cours de leur vie. le couple Lang représente la notoriété, la richesse, les relations mondaines. C'est une véritable adoption plénière qui va avoir lieu, ils vont tout partager : Les soirées à parler littérature, les espoirs des uns et des autres, les pique-niques qui deviennent un rituel mémorable, les naissances, les vacances dans le Vermont, la guerre, les échecs.

Des liens fort se créent qui gomment les différences et font accepter les contraintes de la vie quotidienne.
Tout n'est pas parfait, Sid rêve d'écrire de la poésie mais pragmatique et ambitieuse Charity le pousse à écrire des articles et livres pour servir sa carrière, elle organise tout, est indispensable à tous, mène d'une poigne de fer toute sa tribu et les Morgan très vite en font partie. Larry regimbe parfois devant tant d'autorité mais toujours les quatre amis sont soudés face aux réussites joyeuses comme aux accidents de l'existence. L'amitié encaisse tout les chocs car dit Larry :
« Mon sentiment pour eux est une part de moi-même avec laquelle je ne me suis jamais querellé, même si mes rapports avec eux ont pu être plus d'une fois quelque peu raboteux. »
En plusieurs retour vers le passé Wallace Stegner décrit à merveille la vie qui s'écoule, le partage permanent, la mémoire des instants heureux. Voilà ce qu'il dit de ses intentions à la parution de ce qui fut son dernier roman :
« Je voulais faire toucher du doigt une vérité moins fardée encore que d'habitude, une vérité vraiment nue. Faire entendre une musique qui ne remuerait que de tout petits bruits, mais dont les échos iraient un peu plus loin. » , il tient parole je vous l'assure.

Un roman pour lequel un critique américain parle de « rasade de sagesse » j'aime bien l'expression. Un livre qui est une belle méditation sur l'amitié, la création littéraire, la compassion et l'amour entre les êtres, servi par une écriture sans effet, dépouillée
mais jamais mièvre.
Vous pouvez le trouver sur les sites de livres d'occasion, je viens de le relire avec un plaisir intact, je vous propose de lui faire une place dans votre bibliothèque.

Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Citations et extraits (69) Voir plus Ajouter une citation
Peut-être était-il, comme moi, en train d'imaginer que passait là-haut une part de ce qui avait jadis été la substance mortelle de tante Emily, de George Barnwell ou d'oncle Dwight, absorbée par la racine d'un hêtre au cimetière du village, incorporée dans une faine, dévorée par un écureuil, rejetée dans un pré, passée dans une tige de laiteron, grignotée et assimilée par ce papillon, destinée à être emportée vers le sud pour une longue et hasardeuse migration, happée par un insectivore, ramenée dans le Nord au printemps, déposée dans un oeuf, mangée par un geai chapardeur et incluse dans un nouvel oeuf, précipitée du haut de son arbre par une bourrasque, absorbée par le sol, ressortie en herbe, broutée par une génisse en lactation, une partie se trouvant prédestinée à être, comme Charity l'avait dit, bue au petit déjeuner par ses descendants, une autre déposée dans une bouse pour se fondre derechef dans la terre et, immortelle, en ressortir une fois encore sous la forme d'un nouveau plant de laiteron se préparant à nourrir d'autres danaïdes.
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Laissant Wizard paître l'herbe du fossé, nous nous sommes assis sur un mur de pierres sèches. Odeurs lourdes de pousse et d'humus, où se mêle l'acidité tout automnale de végétaux en décomposition. Rumeur assoupie de mouches et de bourdons. De bruns criquets bondissent à nos pieds. Un chemin ombreux s'ouvre dans les bois sur notre gauche, qui ressemble plus à une trouée naturelle qu'à un passage frayé par l'homme et se referme au bout d'une trentaine de pas. Un muret le longe qui disparaît bientôt au milieu des prunelliers, frênes et peupliers. d'entre ses pierres disjointes sortent des arbres gros comme la cuisse. Tout au bout, là où il est mangé par les feuillages, une poche de soleil où palpite ce qui pourrait être un feu follet : plus probablement un nuage de moucherons.
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Une semaine plus tôt, sur un coteau situé de l'autre côté de Middleton, je les ai regardées, elle et l'aristocratique épouse d'un prof associé irlandais, faire une descente en luge. L'Irlandaise s'y est allongée sur le ventre comme une enfant de dix ans. Au moins Charity a-t-elle eu le bon sens de s'y asseoir et de diriger avec les pieds, même si elle n'a pas eu celui de ne pas faire la course. Elles se sont mises à dévaler la pente de concert en poussant des cris aigus. Passant sous un grand chêne, elles ont abordé une zone de poudreuse. Les patins se sont enfoncés, les luges se sont arrêtées et ces dames sont parties en glissade, l'Irlandaise à plat ventre, Charity pesamment sur le derrière. "Mordiou !" a, me semble-t-il, lancé la première. S'essuyant le visage, faisant tomber la neige de leurs moufles et, à grandes claques, de leurs vêtements, riant à perdre haleine, elles ont remonté péniblement la pente en remorquant leurs luges pour faire une nouvelle descente.
p.83
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Soudain, une fraîcheur vaporeuse nous souffla au visage, des bruits d'eau montèrent jusqu'à nous, en stéréophonie, en de nombreuses tonalités et parcourus d'échos. Une faille s'ouvrait devant nous et nous plongeâmes le regard dans un ravin fantastique, chatoyant d'ombre et de lumière, où le torrent apparaissait, disparaissait et réapparaissait au long de trous et de cavités aussi lisses et sinueux que le toboggan d'une piscine de parc d'attraction. À nos pieds, sur la droite, l'eau jaillissait du rocher et tombait de trois ou quatre mètres dans une cuvette céladon. Des bulles opalescentes fuyaient le long de la paroi, des courants brassaient l'eau du bassin et, la soulevant par-dessus une lèvre vernissée, la précipitaient dans une deuxième chute, qui échappait à notre vue, mais dont nous voyions l'arc-en-ciel. En aval de ce second bassin, le torrent serpentait, tantôt visible, tantôt masqué.
- Seigneur ! lança Sid. Se peut-il qu'un tel endroit existe ?
p.250
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Jetant un œil sous le capot, j'ai vu qu'il ne s'agissait pas d'un douze cylindres en ligne, comme je me l'étais toujours figuré, mais d'un V-16. Ce moulin aurait tracté une pompe à incendie. À chaque temps un flux d'essence gros comme le doigt devait gicler dans le carburateur. Elle haletait à notre adresse avec le chuchotement whisky-et-emphysème d'une douairière d'Edith Wharton. "Dollar-dollar-dollar-dollar-dollar", faisait-elle.
p366
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