Une
anthologie de la bonne chère et du bon goût où les poètes, des plus obscurs au plus connus, célèbrent le bien manger et le bon vin. Entre recettes rimées et souvenirs grivois autour d'une bonne table, nous voici traversant les siècles d'
Eustache Deschamps à
Boris Vian en passant par Villon,
Ronsard, Hugo et Rostand. Et si le melon, les fraises à la crème, le gigot et les haricots sont des valeurs sûres, les huîtres, la bouille-à-baise, la potée et le pot-au-feu ne sont pas oubliés.
Ainsi quel plaisir de partager l'amour de la gastronomie avec les mots qui sonnent si justes du français d'antan de Gace de la Bigne (mort en 1384) :
« Si tu veux que du pasté taste
Fay mettre des oeufs en la paste »
Et pour le côté chantant, pourquoi pas en patois régional pour vanter le travail du pain comme l'a si bien écrit
Georges Blanchard (1902-1976) :
« Fé l'pain, c'est pas d'la p'tite ovrage ;
C'est pas du travail dé gamin !
Ca d'mande un grous apprentissage
Et faut avouér' lé tour dé main ! »
Et quand on mêle l'amour du brie avec son coup de coeur, on trouve cette petite brève de Charles d'Orléans (1394-1465) à son aimée :
« Mon doux coeur, je vous envoie,
Soigneusement choisi par moi,
Le brie de Meaux délicieux
Il vous dira que malheureux
Par votre absence je languis
Au point d'en perdre l'appétit
Et c'est pourquoi je vous l'envoie
Quel sacrifice c'est pour moi ! »
Et l'on ne parle pas que des bonnes choses, on aborde ici aussi les radins de bouche qu'il faut fuir comme la peste ainsi que le rapporte si bien
Clément Marot (1496-1544) dans sa litanie des Bons Compagnons :
« De petit dîner et mal cuit,
De mal soupper et male nuit,
Et de boire du vin tourné,
Libera nos Domine ! »
Et les chansons et les hymnes et les complaintes rimées à boire ne manquent pas ainsi l'Orgye de Saint-Amant (1594-1661) qui devait être repris en choeur par les ivrognes de son temps :
« Sus, sus, enfants ! Qu'on empoigne la couppe !
Je suis crevé de manger de la soupe.
Du vin ! du vin ! Cependant qu'il est frais,
Verse, garçon, verse jusqu'aux bords,
Car je veux chiffler à longs traits
A la santé des vivans et des morts. »
On ne peut passer outre
Alexandre Dumas (1802-1870) ce gourmand, gourmet, gastronome et cuisinier qui parfois en peu de mots résument tout un plat :
« L'huître est un hasard, un éclair
Qui passe avec les mois en R. »
La cuisine et l'amour partagent les mêmes fantasmes, les mêmes mots pour décrire la beauté et la perfection ainsi
Victor Hugo (1802-1885) ne manque clairement pas de poésie pour nous décrire un simple fruit :
« D'attraits ravissants pourvue,
Seule, elle réunit tout ;
Ses appas charment la vue,
Et chacun vante son goût.
Sa peau, velouté et fraîche,
Joint toujours la rose au lis :
Ce pourrait être Phyllis,
Si ce n'était une pêche. »
Et parfois, au détour d'un sonnet, on découvre l'esprit critique et journalistique d'un
Raoul Ponchon (1848-1937) qui ne manque pas d'humour pour nous parler de sa dinde aux marrons qui deviendra bien vite une oie truffée :
« Pour faire une dinde aux marrons,
Prenez de préférence une oie.
La dinde est une pauvre proie
Même pour les estomacs prompts. »
Mais revenons au vin, cette boisson des Dieux déjà bien chantée du temps des grecs et des romains et que l'on retrouve magnifiée encore par
Jules Lemaître (1853-1914) :
« Ouvre, ô vin disert, les âmes des sages !
Qu'est l'argent poli ? Miroir des visages.
Et le vin vermeil ? Miroir des esprits.
(La comparaison est de source grecque.)
Sois frais au gosier comme une pastèque,
Et plus chaud au coeur qu'un baiser surpris ! »
Et je ne peux m'empêcher de terminer ce repas par une citation tirée de Truandailles d'
Emile Verhaeren (1855-1916), un poète bien de chez nous qui n'hésite pas à utiliser le vocabulaire gourmand pour parler d'amour charnel et de passion :
« Chacun avait là deux brasiers,
Deux yeux allumés, deux prunelles,
Bûchers de voluptés charnelles,
Où rôtir des amours entiers. »
Une lecture délice que l'on termine l'estomac ronronnant, l'eau à la bouche, le sourire aux lèvres et le cerveau frétillant de tant de recettes à faire ou à refaire :-)
Et voilà, l'item « Une oeuvre écrite en vers » a ainsi trouvé son oeuvre, et j'en sors ravie et bizarrement bien affamée ;-)