Dans ma chronique de
la fille au révolver, la première parte de cette aventure, je concluais en écrivant :
« le sous-titre de
la fille au revolver pourrait être : La revanche de Constance-Amélie Kopp. »
Nous retrouvons Constance dans de nouvelles aventures. A en croire le New York Press du 20 décembre 1915, « Miss Constance Kopp qui était l'an dernier restée cachée pendant cinq heures derrière un arbre de son jardin de Wyckoff, New Jersey, pour pouvoir faire un carton sur un gang de la Mano Nera qui lui donnait du fil à retordre, est aujourd'hui adjointe au shérif du comté de Bergen, New Jersey, et c'est la terreur des hors-la-loi. »
Dès son plus jeune âge, Constance s'est refusé à l'idée d'exercer un métier féminin :
« Je me détournai, m'efforçant de reprendre mon sang-froid, et me remémorai soudain le jour où, alors âgée d'une dizaine d'années, j'avais recopié une liste de métiers publiée dans le journal sous le titre « Ce que les femmes peuvent faire ». Je m'étais appliquée à noter avec soin chaque profession, puis les avais barrées l'une après l'autre après y avoir réfléchi. La rubrique « Métiers de la musique » avait ainsi été éliminée, tout comme « Colorisation de photographies » et « Gravure sur bois ». J'avais ensuite supprimé « Ménage » avec tant de vigueur que j'en avais presque déchiré la feuille. « Couture » avait subi le même sort, ainsi que « Jardinage ». À la fin, le papier s'était retrouvé presque en lambeaux sous la force de ma véhémente petite main. Il n'était resté que « Métiers de la justice », « Fonctionnaire du gouvernement », « Journaliste » et « Infirmière », mais chacune de ces lignes avait été cochée d'une main qui manquait de conviction. »
Alors qu'elle a obtenu la promesse de recevoir l'insigne d'adjoint du shérif, son patron, le shérif Heath est en butte aux préjugés de l'opinion publique :
« Je commençais à soupçonner le shérif Heath de redouter d'avoir à passer devant les tribunaux au cas où l'on viendrait lui reprocher ma nomination comme adjointe. Chaque jour, il essuyait de nouvelles critiques venues de la presse ou du Conseil des propriétaires fonciers (…) Mrs. Heath n'appréciait pas les idées progressistes de son mari et elle n'aimait pas non plus la façon dont les journalistes les tournaient en ridicule. S'il me donnait un insigne et m'envoyait arpenter les rues de Hackensack, le shérif Heath devrait en payer le prix, tant dans sa famille qu'auprès du public.»
Le shérif Heath demande un délai d'un mois à Constance, et en attendant de régler le problème de la remise de son insigne, il lui confie le rôle de gardienne à la prison des femmes du Comté :
« En tant que gardienne de prison, j'avais la responsabilité des corvées des femmes, qui n'étaient en fait rien d'autre que des tâches traditionnelles de cuisine, blanchisserie et ménage et qui leur étaient donc familières. La conviction du shérif Heath, qu'il partageait d'ailleurs avec d'autres shérifs de l'État soucieux de réformes, était que l'on pouvait rééduquer l'esprit d'un hors-la-loi en imposant de l'ordre à une vie jusque-là marquée par le désordre. Selon cette théorie, si les femmes commettaient moins de méfaits que les hommes, c'était précisément parce que leurs journées étaient rythmées par les tâches ménagères. »
Constance vit toujours avec ses soeurs Norma et Fleurette. La première, colombophile fantasque et la seconde actrice de sa propre vie à la recherche d'un premier rôle.
Elle retrouve également le photographe « français » qui l'avait aidé lors de sa première enquête :
« Mr. LaMotte n'était pas un photographe au sens habituel du terme. Il ne tenait pas un studio de portraits et ne prenait pas de photographies pour la presse. Il gagnait sa vie en envoyant des photographes recueillir des pièces à conviction pour des avocats. Il s'agissait principalement de suivre des épouses soupçonnées d'infidélité, mais aussi de prendre sur le fait trafiquants et escrocs. »
Henri la convainc de la jouer en solo et d'agir comme une détective, y compris à l'insu du Shérif Heath, puisque celui-ci ne parviens pas à la confirmer dans son rôle d'adjoint :
« Pour un détective, en revanche, c'est différent. Vous, vous avez la possibilité de poser des questions que personne d'autre ne posera. Vous pouvez vous mettre dans la peau du criminel et comprendre son mode de pensée. C'est de cette façon que vous parviendrez jusqu'à lui. Et même si vous n'y arrivez pas, au moins, vous n'aurez pas perdu votre temps à repasser dans tous les lieux qu'a déjà visités le shérif. Il n'y a aucun intérêt à le suivre. Un détective est là pour faire ce que la police ne fait pas, ou ne fera pas. »
La méthode lui réussit, et même si elle a du mal à vivre avec son indépendance, « Je m'appuyai au chambranle de la fenêtre et regardai autour de moi avec la satisfaction coupable d'un enfant qui aurait réussi à fuguer. », elle parvient à remonter la piste d'un criminel qui s'est évadé le Baron Herman Albert von Matthesius alors que le shérif et ses adjoints piétinent encore.
Amy Stewart fait évoluer son héroïne, une jeune femme indépendante, dans un début de siècle où l'existence juridique, sociale, économique de la femme est loin d'être reconnue, et encore loin d ‘être une évidence.
L'enquête de Constance Kopp, et c'est ce qui fait l'intérêt du roman, est l'occasion de radiographier les relations hommes femmes en explorant avec précision et réalisme l'état de la société de l'époque. On y croise des femmes luttant pour obtenir une reconnaissance professionnelle et sociale et si on mesure le chemin parcouru en plus d'un siècle on ne peut, hélas que constater la résistance de préjugés ancrés profondément dans nos esprits.
L'autre intérêt du roman est de souligner la solidarité entre les femmes, qu'elles soient policières ou de l'autre côté des barreaux : « le jour tombait, c'était l'heure paisible qui précédait le dîner, le moment où les femmes les plus âgées émergeaient peu à peu de leur sieste. Étant détenues, elles n'avaient pas de repas à préparer et cette prise de conscience progressive leur procurait un soulagement muet. C'était là que j'aimais m'asseoir en compagnie de l'une ou l'autre, dont je tentais de gagner la confiance. À cette heure, elles avaient tendance à se montrer philosophes et plus enclines aux confidences, contrairement aux jeunes, qui préféraient venir à moi vers minuit, quand leurs angoisses et leurs secrets brûlants les empêchaient de trouver le repos. Les femmes âgées, pour leur part, ne laissaient pas leurs mensonges et leurs traîtrises les priver de sommeil. Elles emportaient leurs secrets au lit comme des bouillottes et dormaient paisiblement dessus toute la nuit, en émettant des ronflements sonores. »
En résumé, une héroïne attachante servie par une écriture simple mais précise, fluide et entraînante, détaillée mais passionnante.
On espère qu'
Amy Stewart a encore en réserve d'autres aventures de Constance Kopp….