Malgré un style assez classique, les dessins semblent parfois inachevés, il y a une certaine nonchalance dans le trait brut et libre de
Kokor, comme si, une fois compris par le lecteur, le reste n'était que fioritures inutiles, et je lui donnerais plutôt raison, même si parfois je ne boude pas quelques illustrations minutieuses. Mais cet aspect brut s'accorde à la vision de
Kokor pour cette oeuvre emblématique.
Kokor s'attaque aux
Voyages de Gulliver de
Jonathan Swift, il nous propose une vision personnelle et originale, quelque peu iconoclaste, décalant le propos original vers d'autres problématiques. Exit les pays qui se font la guerre pour des broutilles, ici, les Lilliputiens sont des indiens d'Amérique miniatures, et les habitants de Blefuscu n'apparaitront jamais, sinon dans les paroles des Lilliputiens, comme un peuple qui ne respecte pas la nature, un envahisseur colonialiste. Il va utiliser des textes des natives american pour présenter la peuple lilliputien, il leur donne une culture et une pensée loin d'être aussi absurde que dans l'oeuvre originale, et le discours devient alors anticolonialiste et écologique, l'anecdote de l'oeuf va se trouver déplacée dans un autre contexte, lui apportant une autre saveur non moins délectable.
Et j'ai aussi beaucoup aimé la réflexion de l'auteur sur le besoin de bouger, de découvrir. Cette envie de voir le monde est motivée par une peur de l'immobilité, de se confronter au réel, une manière de déplacer ses responsabilités, le personnage de Gulliver devient plus ambigu, enrichissant encore l'intrigue de problématiques supplémentaires.
Seule chose que je regrette dans cette adaptation, 56 planches, c'est trop bref, ça en aurait mérité le double.