120, rue de la gare est une adaptation magistrale par
Tardi, du roman de
Léo Malet, créant le personnage de Nestor Burma.
Un géant de la BD francophone qui met en image le premier roman noir français en prenant le parti de reproduire les dialogues à l'identique ou presque. Une superbe réussite tant dans le fond que dans la forme.
L'histoire commence en septembre 1940 dans un stalag. Nestor Burma est prisonnier de guerre comme des millions d'autres. Il rencontre La Globule, prisonnier lui aussi, mais dont l'esprit est parti. Traumatisme de guerre ? Cela semble plus compliqué. Il meurt dans les bras du héros en prononçant «dites à Hélène,
120, rue de la gare».
1941. Burma fait parti des prisonniers rapatriés en France. En gare de Lyon, il aperçoit son ancien coéquipier détective privé qui lui cria avoir découvert… On ne saura pas quoi, car il meurt lui aussi, assassiné par des coup de revolver. Il n'a que le temps de crier « Patron,
120 rue de la gare».
Coïncidence ?
Et cette femme sosie d'une actrice célèbre qui tient un pistolet à la main. Qui est-elle ? Que fait-elle dans l'histoire ? Nestor Burma saute du tain et reste à Lyon. Il veut comprendre.
Commence alors une enquête tortueuse à souhait. D'abord dans le Lyon brumeux de la France non occupée, mais pétainiste. Il obtient l'aide d'une ancienne connaissance, Marc Covet, journaliste au Crépuscule qui s'est délocalisé de Paris dans la capitale des Gaules. Il a affaire au commissaire Bernier qui semble jouer un jeu trouble. Il rencontre maître Montbrison, avocat qui semble vouloir l'aider, mais qui semble aussi profiter du marché noir.
L'enquête de Burma semble gêner, on veut le faire disparaître. Mais qui ? Pourquoi ? Et où est cette rue de la gare ? Et qui est Hélène qui porte le même nom que son ancienne secrétaire ?
Les indices le poussent à revenir à Paris ou un ancien camarade est devenu commissaire, Faroux. le puzzle, au fur et à mesure se reforme, pièce par pièce, avec ses fausses pistes, ses coups fourrés et ses révélations finales.
L'intrigue policière tient vraiment la route et si parfois, il ne faut pas perdre le fil, on suit la résolution de l'énigme initiale sans peine. Ce qui est une gageure, parfois dans les romans noirs.
Le truc en plus, c'est l'époque. Cette enquête dans la France de Vichy et le Paris occupé, avec des personnages qui vivent l'Occupation sans s'en rendre compte, obnubilés par leur pérégrinations policières, au milieu de la propagande, des couvre-feux, des restrictions, des bombardements, de l'armée allemande, du marché noir. On s'y croirait. C'est l'avantage d'un roman écrit sur le moment. le but n'est pas de décrire l'Occupation. Mais on nage dedans, on y pense, on l'oublie, on la retrouve. Une immersion rendue magique par le dessin de
Tardi.
Tardi ce sont des gueules de personnages que l'on oublie pas. Chacune la sienne, des expressions de visages traduisant les émotions ou l'intense réflexion. Des décors toujours d'une justesse incroyable.
Tardi adore recréé des villes, ici Lyon puis Paris et sa proche banlieue. le tout nappé d'un noir et blanc idéal pour ce genre d'histoire.
Bien sûr, certaines planches sont très verbeuses (pages 52, 53 par exemple !). Vouloir reprendre l'intégralité des dialogues oblige, mais certaines sont aussi quasi muettes, quand il s'agit de décrire une atmosphère ou des décors (pages 110, 111 lors du retour à Paris).
En lisant cette adaptation comme un roman, on a plaisir à la retrouver, plusieurs soirs de suite. Et je dois avouer que pour avoir lu aussi le livre de
Léo Malet, je trouve la bande dessinée supérieure.
Un petit chef d'oeuvre du genre qui devrait plaire aux amateurs de romans noirs des années 1940. mais aussi à tous ceux qui apprécient les intrigues policières bien ficelées.