Dans la collection Quarto, chez Gallimard, vous ne trouverez pas beaucoup de BD et c'est tant mieux car le format ne s'y prête guère. Pourtant lorsque les éditeurs s'emparent de l'oeuvre de Manchette, ils sont bien contraint d'y inclure
Griffu, une des oeuvres majeures de l'auteur, brillamment mis en image par
Jacques Tardi.
C'est 1977 que fut prépublié
Griffu qui parut dans le journal BD, l'hebdo de la BD à une époque où les revues concernant le 9ème art fleurissaient dans un monde de la presse qui comptait des titres prestigieux comme A Suivre, Pilote,
Métal Hurlant,
Charlie Mensuel et
Fluide Glacial pour ne citer que quelques un d'entre eux.
Griffu restera la seule collaboration que l'écrivain effectua de son vivant avec
Jacques Tardi et c'est vraiment dommage tant l'univers des deux artistes est complémentaire. Avec ses dessins,
Tardi décuplent les références qu'évoque Manchette dans ses récits.
En créant le personnage de
Griffu, Manchette a modelé un détective atypique que l'on retrouve dans les standards des romans noirs américains. Mais pour se démarquer de ces modèles comme Marlowe ou Sam Spade, l'auteur a dépouillé son personnage de toute classe et de toute élégance pour ne conserver que le cynisme et la désinvolture d'un détective plutôt maladroit qui évolue dans un monde qu'il ne maîtrise absolument pas. Ce monde en pleine mutation on peut le percevoir, dès la première case avec en arrière plan cet ensemble de grues et de grands buildings qui écrasent un reliquat vétuste d'immeubles et de pavillons de banlieues vacillants.
Avec
Griffu nous pénétrons dans un climat résolument malsain où chaque personnage tente de prendre la main sur les autres protagonistes qui ripostent avec une violence décoiffante et parfois originale à l'instar de ce tueur qui utilise un bulldozer pour éliminer un rival trop gênant ou de ce règlement de compte sanglant dans un cabine téléphonique. Quant à l'épisode final, il se règle dans un déchainement de coup de feu qui ne laisse presque plus de place au dialogue hormis les dernières réflexions d'un héro en bout de course qui nous livre sa dernière pensée cinglante comme une épitaphe tragique.
Griffu est considéré à juste titre comme un des grands classiques de la BD parce que les auteurs sont parvenus s'imprégner de leur temps tout en abordant les thèmes intemporels de la corruption et de la trahison. Tout y est soigneusement stylisé que ce soit les costumes, armes, voitures et maisons qui ne sont pas sans rappeler les univers de Wenders ou de Melville auxquels les deux comparses rendent un hommage appuyé avec cette affiche de l'Ami Américain l'on aperçoit sur un mur ou cette tapisserie rayée dans ce petit pavillon de banlieue qui fait référence au logement qu'occupe Yves Montant dans le Cercle Rouge. Bien évidemment l'écrivain ne peut s'empêcher de glisser quelques références de la gauche prolétarienne au détour d'une histoire qui conspue indirectement les arcanes d'un pouvoir en place qui semble indéboulonnable.
Une grande partie des romans noirs de Manchette ont été adaptés au cinéma sans pour autant que l'écrivain y trouve son compte et on peut le comprendre car aucun de ces films, à l'exception peut-être du médiocre Polar de Jacques Bral, ne parviennent à restituer le climat si particulier d'une oeuvre qui n'a pas finit de faire parler d'elle. Finalement, tout le monde s'accordera à dire qu'il n'y avait que
Tardi qui pouvait parvenir à transcender les romans de Manchette.
Griffu en est le parfait exemple.