On entend souvent cette question : est-ce que les livres changent la vie ?
Voire, excusez moi du peu, est-ce que les livres changent le monde ?
Et les écrivains du dimanche de répondre, sur des sofas confortables, à une heure de grande écoute, à un animateur fier de ses questions, “oh oui, bien sûr”. Eh bien, non. N'en déplaise, “les livres” dans leur immense majorité ne changent pas le monde, ne bouleversent pas nos vies matérielles.
Certains textes ont eu une influence déterminante, c'est vrai, mais ne sur-investissons pas la littérature, ne lui attribuons pas d'effets magiques, elle demeure un divertissement, quelque chose de “privé, de précieux, d'indispensable à quelques uns” pour reprendre le mot de
Louis Calaferte.
Par contre, et avant tout, si la littérature change la vie de quelqu'un c'est bien celle de son auteur : prenez
Pramoedya Ananta Toer, dit “Pram”, écrivain indonésien, disparu au début des années 2000, qui est, à cet égard, emblématique.
Le Fugitif, son premier roman est écrit alors que le jeune écrivain est en détention. C'est dans la ville de Blora, sur l'île de Java, dont il est originaire, que Pram plante le décor de son roman. 4 chapitres. Un entonnoir. Inexorable. Il faut souligner en premier lieu la grande maturité littéraire de l'écrivain de 24 ans, mais aussi son goût immodéré pour l'indépendance, la liberté, sans amertume, sans humiliation, et son attention à tout ce qu'il peut y avoir d'irrationnel, à coté des causes et des idées, comme la haine, la peur, l'amour, la lâcheté, les actes manqués…
La violence, l'atmosphère, la laideur, notamment des mendiants, est crument exposée, mais également la moiteur de la nuit, la beauté des étoiles. Depuis sa cellule, Pram s'efforce de tout faire tenir, la grande et la petite Histoire, dans ce court roman.
Hardo est un résistant à l'occupant nippon, à la toute fin de la Seconde Guerre Mondiale. La redoutable police japonaise, la Kempeitei est à ses trousses. Durant 48 heures, il chemine, se cache, espère, et dialogue. L'écrivain aime parfois à se répéter, ce qui peut être troublant, pour restituer des dialogues qui parfois ne vont nul part, où chacun campe sur ses positions, mais où au milieu de l'insignifiance, vient se cacher un petit détail, qui fait que l'on sent d'instinct que l'interlocuteur est un allié ou un bien un traître.
"Nous donnons une part de notre vie aux sentiments, une autre à la sagesse, une autre encore à la bêtise ! Et après tout cela, notre vie... après tout cela nous l'abandonnons à la mort. Et tout le monde fait comme ça."
Un livre sur la puissance de la volonté, la force de la détermination, prophétique d'un jeune auteur qui endurera, sa vie durant, censure, traque et détention sans jamais renier ses écrits et ses prises de positions.
Qu'en pensez-vous ?