Nick Toshes prend plaisir à déchirer le sacré : il imagine la découverte d'un manuscrit du Ier siècle qui confirme l'existence de Jésus, mais un Messie auquel il ôte volontiers sa Sainte Couronne. Il en fait un voleur minable qui, sous l'impulsion d'un aristocrate romain en disgrâce, joue les faux prédicateurs en utilisant habilement les prophéties de l'Ancien Testament pour collecter de l'argent le jour et faire la fête la nuit.
L'auteur prend donc beaucoup de liberté avec l'histoire enseignée dans les Évangiles, mais son fantasme me plait bien. D'abord parce que le récit prend la forme d'une confession crépusculaire voire testamentaire du créateur de la supercherie. L'occasion pour l'ancien maître d'art oratoire de se débarrasser de tous les oripeaux et les faux-semblants pour apparaître nu face au lecteur et dévoiler tous les ressorts naturels de la croyance et son exploitation par un binôme habile doté d'une acuité psychologique mordante et d'une clairvoyance intellectuelle.
Nick Toshes n'hésite pas ainsi à faire des miracles des phénomènes de fête foraine et à mettre dans la bouche de Jésus des absurdités perçues comme des énigmes profondes à méditer.
Il y a donc beaucoup de cynisme dans ce texte mais ce qui maintient l'intérêt et donne du poids à cette histoire est certainement l'évolution de cette étrange association qui lie un maraudeur juif à un riche romain. L'auteur américain parvient à introduire de l'incertitude lorsque l'entreprise des débuts échappe à son instigateur et voit Jésus enrichir les discours appris de paroles investies d'une sagesse digne d'un prophète...
Ce n'est donc pas une enquête, l'auteur ne cherche pas à traquer la trajectoire du Christ. Ce n'est pas non plus un texte halluciné, l'écrivain balayant d'un revers de la main toute dimension spirituelle. C'est un pur exercice d'écrivain, divertissant, avec l'ambition de montrer le pouvoir des histoires que l'on raconte et que l'on se raconte. Son tranchant subversif jaillit à l'occasion lorsqu'il s'agit de pointer la duplicité de l'être humain, mais ça se lit comme une sucrerie que l'on s'autorise parfois.
La lecture est d'autant plus enthousiasmante que Nick Toshes parvient non seulement à adopter le ton épique romain, langue sophistiquée et triviale, mais à écarter également la narration contemporaine avec sa psychologisation moderne des personnages qui nuirait à « l'authenticité » de la confession. Alors ce choix affecte certainement l'intensité des événements rapportés mais le plaisir se retrouve dans les dialogues où se manifeste le jeu subtil de l'auteur entre provocation lyrique et vérité maquillée.
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Nul besoin de perdre son temps à apprendre l'histoire politique de notre monde. C'est toujours la même chose qui se répète sans cesse. D'autres noms, d'autres visages, mais toujours la même broderie, où seuls varient les détails superflus. Il suffit d' apprendre une brève période, et de la bien connaître, pour comprendre l'éternité. Car éternelle est la nature de la tromperie, de la cupidité et de la faim bestiale de pouvoir qui, sous des dehors plus raffinés, constitue l'essence et la somme de la politique.
Là où l'on trouve du malheur, il y aura de l'espoir et là où l'on trouve de l'espoir, il y aura du malheur. Les forts ont leur paradis dans cette vie. Et, malgré toute sa cupidité, toute sa corruption, toute sa vilenie, son injustice et sa bassesse, ce monde est tout ce que nous connaîtrons jamais du paradis.
Les hommes se plaignent lorsqu'ils sont démunis. Les hommes se plaignent lorsqu'ils sont riches. Telle est la définition de l'homme. C'est une créature qui se plaint. Un être fini habité d'une infinité de doléances.
Mais il n'est pas non plus dans la nature de toutes choses d'être comprises. Par les brises éternelles, peut-être, mais pas par nous; pas par nous qui naissons et mourons et dont la somme des envies, des désirs, des inspirations, des voyages, des soupirs et de l'or se réduit au parfum du romarin brûlé.
Votre Dieu est un professeur, un porte-parole mercenaire à la solde des intérêts personnels d'hommes apeurés qui l'ont créé de façon à pouvoir se cacher derrière lui. Ses inventeurs ont été oubliés, mais pas lui, et l'imaginé est devenu plus grand que ceux qui l'ont imaginé.
François Guérif nous parle de l'arrivée de Nick Tosches au sein de la collection noir.