Comment dire que ce qui m'a attiré l'oeil sur ce livre, c'est la créature blonde et les bras en l'air, très déshabillée, sur laquelle est juxtaposé le nuage formé par l'explosion d'une bombe atomique ? J'ai pensé aux blondes atomiques du cinéma des années 50, j'ai ouvert le livre et même si ce n'était pas le sujet du livre, c'était parti : je ne l'ai plus lâché.
Disons en gros qu'il s'agit du film le plus débile tourné par Marion Robert Morrison, alias Duke Morrison, alias John Wayne, le symbole de l'Amérique : "le conquérant".
Ce film fut financé par Howard Robard Hughes, le milliardaire qui deviendra fou, par sa peur pathologique des microbes, et finira ses jours tout nu avec des ongles de plusieurs centimètres de long dans un de ses hôtels loin de Vegas, entouré par des mormons, qui seuls pouvait l'approcher en encore, de loin.
"Le conquérant" est un navet de 1953 consacré à Gengis Khan avec John Wayne,
Susan Hayward, l'une des rousses du cinéma, Agnès Moorehead (qui deviendra la fameuse belle-mère de "Ma sorcière bien aimée") et Dick Powell, ex acteur, reconverti réalisateur. Sa particularité, c'est qu'il fut tourné dans le désert du Nevada et que si le coin est célèbre pour ses mormons (vêtus de noir, qui vivent comme au XIXème siècle et qui ont des familles prolifiques, prônant l'amour de Jésus, mais seulement si il est blanc, bien sûr, donc, légèrement racistes, si c'est possible), il l'est aussi pour une autre raison : ses essais atomiques réalisés sous couvert de combattre le communisme (merci le projet Manhattan qui permis l'explosion des bombes nucléaires d'Hiroshima et Nagaski).
En 1953, officiellement, les bombes atomiques ne faisaient des dégâts que dans un périmètre très limité (les radiations ne vont pas bien loin, c'est connu), mais le gouvernement américain ment à ses concitoyens tout en leur faisant prendre des pilules d'iode. Et c'est Boxcar, bombe atomique tirée en sous-sol, qui va enclencher la démission de
Richard Nixon en 1974 par le biais de
Howard Hughes qui se venge ainsi de la trahison de celui qu'il pensait avoir acheté.
Dans le prolongement du site de Snow Canyon Utah, le Nevada Test Site s'installera, suite logique du Projet Manhattan. Il deviendra dans les années 70, le Nevada Proving Grounds et sera toujours sous le contrôle de l'AEC - Commission Énergétique Atomique.
Les noms de Diane Gofman, Elmer Pickett, Kenneth Peterson, Peter Fisher, des éleveurs, des mormons, des Indiens Paiutes comme Sammy Bullcreek, Donnita , son épouse, Albert, qui brille dans le noir, sont moins célèbres que ceux d'acteurs de cinéma, mais eux vont subir les effets des radiations sur le long terme,dans ce coin de l'Utah, mourir de cancer, de maladies totalement improbables. le bétail, la flore, la faune vont eux aussi mourir au rythme des explosions toujours plus puissantes, mais le patriotisme vaut bien quelques dégâts collatéraux.
En 1989, une journaliste française rencontre Sammy devenu vieux. Il a survécu à son épouse, Donnita. A la mort de John Wayne, 10 ans auparavant, d'un cancer après celles de nombreux participants du film "Gengis Khan", la question de l'influence des essais atomiques sur la santé des individus refera surface en Angleterre. La mort de celui qui incarnait l'Amérique, va enfin soulever le couvercle que des années de combat des habitants du Nevada regroupés en association "The Downwinders" 'en référence au fait d'être sous le vent du souffle atomique) n'avaient réussi qu'à entrouvrir.
Ce roman m'a fait découvrir un versant peu connu de l'époque post seconde guerre mondiale aux USA. Derrière l'Amérique prospère, il y a des monstres venus avec la guerre : les militaires, les scientifiques, qui se prennent pour Dieu dans le désert du Nevada, qui jouent un jeu bien plus dangereux que le blackjack, la roulette, le Poker ou le bandit manchot. Ils jouent avec d'infimes particules : uranium, plutonium, radium. Il est terrible ce livre, terrible parce qu'ainsi que le faisait remarquer un rapport en 1980, la seule victime des bombes atomiques depuis la seconde guerre mondiale étaient des américains eux-même, mais pas ceux qui avaient le pouvoir, non les ordinaires, les pas connus, les cobayes de l'Amérique des puissants, victimes d'un jeu de dupes du XXème siècle.
J'ai franchement été impressionnée par toutes ces personnes qui se sont battues pour que soit connu la vérité, ces personnes qui quelque soit leur religion, leur couleur de peau, n'ont jamais eu la reconnaissance de ce qu'ils avaient subi dans cette époque étrange qu'était la guerre froide au USA, qui a pris les couleurs d'un champignon atomique. Ce livre est un hommage, mais aussi une reconnaissance de ce qui s'est passé. Il rend très concret la méconnaissance du nucléaire à l'époque. Il est très ironique qu'un indien Paiutes fasse partie des derniers témoins : ces mêmes indiens massacrés lors de l'arrivée du progrès, incarné par les européens.