AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,96

sur 71 notes
5
3 avis
4
5 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Lorsqu'on lui demandait pourquoi il n'écrivait pas l'histoire de sa vie, le compositeur magyar Franz Liszt répondait « c'est bien assez de la vivre » !

Je n'étais pas loin de penser comme lui, mais je dois avouer qu'avoir sa bio signée Stefan Zweig, ça a de l'allure…

Ces trois destins germains n'ont à priori que peu de rapport, Kleist, dramaturge excessif et subversif, Hölderlin, barde de l'hellénisme version teuton et Nietzsche le philosophe super héros prussien mais équinophobe.

Et pourtant, ces trois hommes n'ont choisi ni la tranquillité de l'esprit ni le repos de l'artiste. Contrairement à Goethe ou Schiller, sans doute sauvés par leur vertige, ils ont choisi, comme Faust, de pactiser avec le démon, de plonger tête bêche dans l'infini, sans compromis, sans recul mais en connaissance de cause.

Nous sommes tous agités par des formes de pulsions, des désirs ou d'autres ressorts psychologiques ou tendances de vie qui, nous le savons, avec le temps, jouerons contre nous. L'écrivain autrichien appelle cela métaphoriquement le “démon”. Ces trois âmes allemandes vont entrer en duel avec leur démon. Elles ne peuvent échapper à leur destin, autant essayer de couper de l'eau avec un couteau.

« La folie a creusé de trépidants ravins dans les refrains de la vie » écrivait le poète Tzara. le démon de l'infini, les poussent à surcharger de poids, sur la balance de leur vie, le plateau de leur oeuvre. Au bord du précipice, refusant les mains tendues par une vie trop prosaïque et – pour reprendre Tristan Tzara à nouveau - “la raison sans issue”, ils finissent tragiquement par chuter sous le poids de leur oeuvre, avalés par leur génie, et sont ainsi cueillis par le démon.

***

“L'Homme ne peut pas supporter tous les coups, et celui que Dieu frappe a, je pense, le droit de mourir”. Kleist souffre de ses excès, il n'a aucune mesure. Lorsqu'il a une passion, le démon s'empare de lui et lui donne une énergie démoniaque seulement pour là lui retirer dès que la passion s'affaiblie. Ereintant sa vie, au fil des tumultes de ses passions, le conduisant à brûler ses propres manuscrits, il finit par n'avoir plus que celle de la mort. Ainsi son démon, après l'avoir épuisé, tourmenté, isolé, car trop dangereux pour les autres, et lui avoir refusé le succès de son vivant, le conduit fatalement à s'ôter la vie.

“Ce n'est que pour de courts instants que l'homme peut supporter la plénitude divine. Ensuite la vie n'est que le rêve de ces instants.” Pour Hölderlin, les choses sont plus insidieuses. Ainsi le jeune poète, icône romantique au même titre que Novalis, Lord Byron, Lamartine et Keats, refuse catégoriquement, comme ses comparses, une vie sociale avec tout ce que cela implique de travaux alimentaires, de compromissions mondaines, et d'érosion du corps et de l'esprit. Il est poète et c'est tout. Son seul but dans la vie est d'apporter aux hommes la parole divine. Hypérion et Empédocle sont les héros de ce jeune Prométhée. Si ces premières années lui apportent une certaine notoriété il est vite incompris, sa poésie manque de chair, elle est hors sol, lui qui refuse tout expérience terrienne, et Goethe et Schiller lui tournent le dos. Mais, là où le démon avait poussé un Kleist, en conscience, à se supprimer, Hölderlin n'en fait rien. le démon lui retire lentement mais sûrement la raison, de sorte que ce jeune éphèbe aux boucles grecques continuera à vivre pendant plus de quarante ans, esseulé, embrumé, après sa mort sociale, oubliant jusqu'à son propre nom. Sa légende se muera en raillerie pour les jeunes étudiants prussiens.

“Si tu regardes longtemps dans un abîme, l'abîme regarde aussi en toi.” Enfin, Nietzsche, le sur-homme, en réalité très chétif, est sans cesse attiré par l'épicentre du séisme, le cratère du volcan, l'oeil du cyclone. Il encourage les philosophes à vivre sur un volcan, à penser dangereusement. Il ne veut pas d'un repos solennel et bourgeois comme Hegel, ou d'une vie momifiée et statufiée comme celle de Kant. Il veut penser jusqu'au bout, soigner son mal par une philosophie forte, il frappe désespérément sur l'enclume de sa chair maladive à la seule force de son marteau philosophique. le prophète dément annonce les guerres à venir, se fait son propre disciple dans la solitude de Sils Maria.

***

Zweig signe une triple biographie érudite, mieux construite que le triptyque précédent (« Trois Maîtres : Balzac, Dickens, Dostoïevski »), parfois emphatique et lyrique, mais surtout captivante, par la précision de sa plume, la clarté de son propos et la richesse de sa langue. le grand écrivain viennois assume sa subjectivité et ses interprétations. Il réussit à démasquer le démon qui est à l'oeuvre en chacun de nous et rend hommage au destin tragique des indomptables qui l'ont suivi.
Commenter  J’apprécie          8412
J'adore Stefan Zweig. J'ai lu ses classiques, et durant le confinement, trois de ses biographies réédités en un gros pavé (Les grandes Vies - je ne sais plus quelle édition): Magellan, Marie Antoinette, Marie Stuart, fouché. J'avais surtout aimé celle de fouché. En regardant un peu jusqu'à qui l'avait porté son talent de biographe, voila-t-y pas que je tombe sur Nietzsche, un de mes auteurs préférés, dont j'ai déjà parcouru la biographie par Karl Jaspers. Ni une ni deux, je fonce voir si je trouve ça quelque part. Et non, c'est dur !
Je mets une alerte sur je ne sais plus quel site pour voir si une occasion ne passe pas de temps en temps... et en quelques mois, voilà une librairie qui envoie ce beau lièvre dans mes rets ! Banco !
Je ne cherchais que Nietzsche, mais j'ai eu aussi Kleist et Hölderlin. Je connais bien sur le philosophe, mais j'apprécie aussi l'autre Friedrich, mais ignorais tout sauf le nom de Kleist. Ce fût donc d'abord une découverte de cette comète, puis d'une autre, et d'une dernière. Car tous trois ont eu une vie intellectuelle aussi intense que courte, et une fin violente. Trois hommes possédé par un "démon", qui provoqua aussi bien leur géniale oeuvre que leur douloureuse chute, incapables qu'ils furent de gérer ce monstre en leur sein.
Ce démon aujourd'hui on le nommerais autrement, avec l'aide de la psychiatrie, de la psychologie, des neurosciences. Mais tout cela n'existait ni à l'époque de Kleist ni à celle de Zweig, et tant mieux ; on a ainsi l'interprétation toute littéraire de l'auteur car il n'avait que cela sous la main, et tout son art et d'en tirer trois portraits brillants, puissants, réalistes sûrement et qui donnent envie de lire ces auteurs.
Le style est net, concis, précis, assez peu romanesque mais sans prétention journalistique ou sensationnaliste. On lit donc avec plaisir et sans être agacé par des effets de manches. Un pur régal, car ces vies sont largement assez romanesques par elles-mêmes !
J'ai été frappé par la vision très particulière et assez peu biographique finalement de Nietzsche, que je connais mieux: rien sur son enfance, sa famille, sa formation, ses début: tout est concentré sur l'oeuvre et sur la façon dont son démon l'a amené à être le penseur libérateur qu'il fût ! Un travail plus de critique littéraire qu'autre chose, finalement. Mais avoir le regard acéré est précieux pour le lecteur de moindre qualité que je suis.
Commenter  J’apprécie          210
Super livre!!! Un ouvrage de réference et une introduction passionnante sur le romantisme allemand.
Aprés les romans et les nouvelles, Stefan Zweig aborde le genre biographique, toujours sous l'angle de la psychanalyse.Il s'agit d' "accorder plus d'importance à l'homme qu'à l'oeuvre, ne voir dans celle-ci qu'un auxiliaire pour mieux pénétrer la psychologie de son auteur."
Je n'ai qu'une hâte, c'est de me plonger dans les oeuvres de ces auteurs que je viens de redécouvrir sous un jour nouveau!
"Il n'existe pas de grans art sans la présence du démon...Il n'y a pas de grand art sans inspiration et toute inspiration émane d'un au-delà inconscient, d'une intuition qui dépasse l'intelligence.(...)Tout esprit créateur est inévitablement amené à entrer en lutte avec son démon, et c'est toujours un combat passionné, héroique, le plus magnifique de tous les combats.
Holderlin, Kleist et Nietzsche sont les types allemands les plus représentatifs du poète terrassé par le démon...Nous appelons démon l'inquiétude primordiale et inhérente à tout homme qui le fait sortir de lui-même et se jeter dans l'infini, dans l'élémentaire..."
Commenter  J’apprécie          200
Ainsi que l'explique l'éditeur dans son introduction, le combat contre le démon qu'évoque Stefan Zweig dans ce livre, concerne Kleist, Hölderlin et Nietzsche, dont la force d'écriture est aussi puissante que passionnée. En effet, ces auteurs allemands ont non seulement pour point commun leur patrie mais plus encore : leur énergie créatrice animée par une force indomptable, les contraint sans cesse à combattre leur démon : celui de l'écriture comme un moyen de survie. Solitude et souffrance sont également ce qui les réunit. Comme à son habitude, l'auteur nous brosse avec verve et talent, ces trois portraits d'écrivains dont la démesure et la folie, a marqué les destins. Ce qu'on retiendra, c'est que l'écriture est pour chacun d'entre eux, un exercice vital qu'ils ont pratiqué passionnément tout au long de leur vie dans la lutte et l'acharnement. Certes avec chacun son propre style. Ainsi Heinrich Kleist représente t-il selon Zweig, l'auteur tragique par excellence, Friedrich Hölderlin, l'éternel éphèbe de la poésie allemande et Friedrich Nietzsche, le nomade de la pensée assassin de Dieu.

Si tout le monde connaît plus ou moins Nietzsche, il est plus rare que les gens aient déjà entendu parler de Kleist ou Hölderlin. Pourtant, ces derniers ont bien marqué la littérature allemande. Pas de leur vivant, et c'est aussi l'une des raisons pour lesquelles Zweig leur a dédié ces textes, mais de façon posthume. Personnalités sombres et complexes, les auteurs ici étudiés par Zweig, intriguent. Personnellement, j'avais déjà vaguement entendu parler d'eux sans avoir jamais rien lu. C'est pourquoi, je me suis lancée dans cette lecture. Autant pour le style de Zweig que j'affectionne particulièrement, que pour découvrir ces auteurs allemands méconnus que sont Kleist et Hölderlin. Il me fallait donc essayer de comprendre ce point commun (le démon) qui caractérise nos trois « torturés ». A la lecture de ce livre, je constate que l'angle d'étude proposée par Zweig se justifie : « Pour ces errants, à peu près ignorés de leur vivant, la pensée ou la création ne sont pas cette sereine construction d'un idéal d'harmonie et de raison dont Goethe donne l'exemple accompli ; elles ne peuvent naître que dans le corps à corps avec un démon intérieur qui fait d'eux les fils de Dionysos, déchiré par ses chiens ». Extrait de la 4e de couverture. L'affection portée par Zweig au génie, à la folie et à la création artistique des trois auteurs est le dénominateur commun de ces textes. Et j'ai trouvé l'hommage brillant, si ce n'est l'écriture de Zweig que pour une fois, j'ai trouvé « trop lyrique ». Il est certes question de poésie et de tragédie mais pour moi, les métaphores compliquées et les comparaisons à outrance m'ont lassée (exceptée l'étude sur Nietzche). Et le livre a bien failli me tomber des bras plus d'une fois. C'est bien dommage d'ailleurs, car le tryptique constitué de l'auteur, des sujets et de la thématique, m'avait semblé séduisant. Malheureusement, bien que cette lecture m'ait permis de percevoir le sombre génie créateur des intéressés, je l'ai trouvée à force de formules trop imbriquées, ennuyeuse... Ceci dit, pour découvrir le portrait complet de Nietzsche par Stefan Zweig, n'hésitez pas à lire le livre du même nom.

Kleist fuit son démon dans les voyages. Peu importe sa destination, il court le monde pour échapper à son trop plein passion. Avec lui, c'est tout ou rien : entre exaltation et refoulement, sa dualité a fini par le conduire au suicide.

Sa quête de pureté l'abandonnant à son orgueil inavoué, il s'enferme dans sa bulle, qui lui laisse libre cours à ses tourments. Conscient de son talent, il préfère s'effacer pour ne pas s'abîmer au vulgaire monde matériel. Pourtant, il sait que cette décision sera fatale à sa poésie. Peu importe, il se sacrifie pour la pureté de son art même si pour cela, il doit passer pour un faible. Il finira sa vie oublié de tous sous les traits de Scardanelli.

Nietzsche est le philosophe de la liberté et de la vérité. Combattant ses démons par un travail sans relâche, Nietzsche « accouche » de sa pensée dans la souffrance et la solitude. Si ce qui le tue pas le rend plus fort, ce philosophe martyre assassin de Dieu, nous prouve par son combat contre le démon que l'homme et son art ne font qu'un.
Lien : http://livresacentalheure-al..
Commenter  J’apprécie          180
Ce livre ne se lit pas d'une traite, ouf j'ai terminé, mais que de culture il apporte.

Zweig est vraiment un génie dans tous ses écrits. La littérature allemande qui était pour moi une totale inconnue l'est un peu moins.

Commenter  J’apprécie          70
Quelle dose de vérité un homme peut-il supporter ? F Nietzsche le Gai Savoir

Ce texte de Stefan Sweig (1881-1942), der kampf mit dem dämon, édité pour la première fois en 1937, traduit par Alzir Hella, utilise la figure de style des Vies parallèles de Plutarque, en proposant d'exposer trois figures héroïques : Hölderlin, Kleist et Nietzsche. Tous trois projetés hors de leur moi par une puissance formidable, supraterrestre, un cyclone de passion et qui finissent prématurément dans le suicide et la folie. Des météores, incompris de leur génération, rayonnant dans leurs brèves missions. “Eux-mêmes ignorent ce qu'ils sont et le chemin qu'ils prennent parce qu'ils ne font que venir de l'infini, pour aller à l'infini : c'est à peine si dans l'ascension et la chute rapides qu'est leur vie ils frôlent le monde réel.”

J'ai lu pour l'heur la partie consacrée à Frédéric Nietzsche. Ce texte dense de 90 pages possède une force de pénétration stupéfiante qui n'étonnera pas les connaisseurs de Sweig. Que l'on soit lecteur ou non de Frédéric Nietzsche, nul ne saurait passer à coté de ce monument de compréhension intime du philosophe qui vous imposera une nouvelle plongée dangereuse dans Zarathoustra, Ecce Homo ou le Gai Savoir. L'ami de Freud décrit l'homme en ses multiples dimensions, psychologique en digne ami et disciple du grand viennois, et celles du philosophe ou plutôt du philalèthe, ami de l'Alètheia plutôt que de Sophia, et bien sur de l'écrivain.

lire la suite sur www.quidhodieagisti.fr
Ne manquez pas ce moment d'élévation dans notre monde gris et vulgaire.

Lectori salutem, Patrick

Lien : http://www.quidhodieagisti.fr
Commenter  J’apprécie          60
Lu à la suite de Michael Kohlhaas, Enfin, je n'ai lu que la partie concernant Kleist que j'ai découvert récemment.
Zweig avec sa culture immense, son esprit de finesse, son éclairage freudien, ne me déçoit jamais.
Seul bémol, Zweig écrit pour ceux qui possèdent une bonne culture allemande, ce qui n'est pas mon cas. Beaucoup de références me manquent il faut que je complète mes lectures de Kleist pour apprécier encore plus l'analyse.
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
Commenter  J’apprécie          50
Stephan Zweig donne dans cet ouvrage une face étonnante de sa littérature: il dresse le portrait de trois poètes maudits, tous morts de façon tragique. Pourquoi se sont-ils engouffrés dans un tourment aussi désolé? Comment de si grands écrivains ont ils eu des vies si tristes et
désespérées? Tout en répondant à ces questions, Stephan Zweig détaille et décrit le style de ces trois grandes figures de la littérature allemande.
Commenter  J’apprécie          20
J'ai toujours aimé Stefan Zweig, tant ses romans (Le Jour d'Echecs est un de mes livres préférés) que ses essais - notamment ses biographies de Marie Stuart ou de Marie-Antoinette - et j'ai découvert ce livre dédié à trois écrivains allemands aux destins tragiques - Kliest, Hölderlin et Nietzsche - avec curiosité.
J'ai été fasciné par l'analyse que propose Zweig du rapport de l'artiste-créateur avec l'inspiration, un phénomène irrationnel, largement incontrôlable qui met en jeu le "monde des esprits". le livre évoque trois exemples d'artistes dépassées par leur inspiration - qualifiée de démoniaque d'où le titre du livre - et qui finissent par en être victimes et les opposent à des contemporains - notamment Goethe - qui sont eux parvenus à maîtriser le flux dangereux de cette inspiration et à bâtir une oeuvre raisonnée.
Le livre est cependant très long du fait de multiples redites, certes poétiques, mais lassantes. La meilleure partie est pour moi celle consacrée à Nietzsche peut-être parce que son inspiration concerne la philosophie et non la poésie comme Kleist et Hölderlin. L'analyse que fait Zweig du parcours extraordinaire de Nietzsche et de sa volonté de ne pas bâtir un "système philosophique", mais au contraire de remettre systématiquement en cause ses propres découvertes, est magnifique et n'est pas sans rappeler l'approche des Francs-Maçons pour qui la connaissance de la vérité n'est jamais définitive.
Commenter  J’apprécie          10
Zweig nous livre aussi, comme il l'avait fait pour d'autres écrivains comme tolstoï, Dickens, et Balzac, une fenêtre d'entrée privilégiée, pour comprendre trois constellations allemandes durables malgré la fugacité de leur existence. Je dois signaler tout de même, qu'il faut apprécier Kleist, Nietzsche et Hölderlin avant de se lancer dans pareil essai. On a affaire à un essai fortement emphatique, pour ne pas dire dithyrambique. Autrichien de nationalité, Zweig connaissait aussi bien l'allemand que le français ou encore l'anglais. D'ailleurs, il a aussi été traducteur, notamment pour certaines oeuvres du français à l'allemand de Romain Rolland, son ami et maître, avec qui il a entretenu une riche correspondance.
Revenons maintenant à son essai « le combat avec le démon ». Zweig, bien documenté et connaisseur des trois auteurs allemands, nous livre ici, non pas un essai ardu d'universitaire, mais une analyse d'un artiste et écrivain, à propos d'auteurs qui ont connu, de leur vivant, une existence non enviable (Nietzsche et Hölderlin devinrent fous, et Kleist s'est suicidé). L'essai, par sa lucidité offre au lecteur un panorama intéressant, subjectif, sur ces trois figures, surtout celles de Kleist et Hölderlin, assez peu connues chez le grand public.

Si par contre, vous connaissez assez bien ces trois auteurs, l'intérêt de cet essai s'amoindrit. Ce n'est pas un essai portant sur des perspectives inédites, ou un rapprochement entre les trois écrivains allemands, dans la tradition de la littérature comparée. L'érudition de Zweig est agréable à parcourir, mais ne va pas forcément intéresser les littérateurs et les universitaires, surtout s'ils sont versés, peu ou prou, dans le 19e siècle allemand.

Mais qu'importe ! « le combat avec le démon » est un excellent essai regroupant trois biographies passionnantes, d'un biographe qui excelle dans la matière (son essai sur Marie Antoinette est toujours une référence). Avec une plume extatique, fiévreuse par moment, Zweig ne se contente pas de relater les événements marquants de la vie des trois auteurs, mais analyse aussi les oeuvres et le contexte de leurs compositions etc. C'est très passionnant sans tomber dans le pittoresque ou dans le pompeux. C'est un essai qui ne souffre pas de cette rigidité qu'on peut rencontrer à la lecture de certains germanophones, et qui se ressent dans le ton doctoral. L'essai sur Nietzsche, particulièrement, m'a saisi par sa majestueuse analyse, aussi bien sur l'homme que sur son oeuvre. Hölderlin, poète de l'impossible, frère germain d'un Rimbaud, n'a jamais cessé d'exalter la pureté de l'âme qui était difficilement conciliable avec une époque corrompue.

« Les hommes ont de la peine à reconnaître les purs », est une citation tirée de la mort d'Empédocle, pouvant à elle seule résumer son oeuvre fougueuse à l'image de son Hyperion.

Je vous invite vivement à lire cet essai qui se lit comme un roman. C'est finement écrit, savamment mené par un Zweig au sommet de son art de biographe. Je trouve que cet essai est plus pertinent que celui qui portait sur tolstoï, où Zweig, précipitamment, l'avait mal jugé sur l'oeuvre de sa maturité (notamment dans « Ma confession » de tolstoï). Peut-être que Zweig avait pris le temps nécessaire pour écrire les trois biographies composant le combat avec le démon, contrairement à celle de tolstoï, qui reste solide dans ses propos malgré quelques approximations de temps à autre.

Néanmoins, je ne peux que vous conseiller chaleureusement le combat avec le démon, où la virtuosité de Zweig rend hommage aux trois figures allemandes, avec précision et érudition. Un petit régal dont il serait dommage de s'en passer.


Commenter  J’apprécie          10


Lecteurs (223) Voir plus



Quiz Voir plus

Le joueur d'échec de Zweig

Quel est le nom du champion du monde d'échecs ?

Santovik
Czentovick
Czentovic
Zenovic

9 questions
1884 lecteurs ont répondu
Thème : Le Joueur d'échecs de Stefan ZweigCréer un quiz sur ce livre

{* *}