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EAN : 9782021426243
448 pages
Seuil (02/01/2020)
4.34/5   122 notes
Résumé :
Retraçant les vies passées et présentes des habitants d’un immeuble du Xe arrondissement de Paris, Ruth Zylberman livre un magnifique récit. Là se sont succédé, depuis les années 1850 jusqu’à nos jours, des générations d’habitants. Là, l’ordinaire du quotidien a côtoyé l’extraordinaire du fait divers et des violences de l’Histoire. Ruth Zylberman propose une réflexion bouleversante sur les traces du passé, les lieux où se loge la mémoire, et le lien invisible entre ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
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J'avais été bouleversée par le documentaire Les Enfants du 209 rue Saint-Maur, Paris Xème, sorti en 2017. Ruth Zylberman y racontait le destin d'enfants juifs sous l'Occupation. Ce livre est son prolongement, toujours centré sur la période 1940-44 mais cette fois en élargissant les bornes temporelles pour remonter à 1850 et aller jusqu'aux attentats de 2015.

Comme une concentration de la l'histoire de France à travers l'autobiographie d'un immeuble de rapport comme il en existe des milliers, dans une rue banale, une porte cochère bleu, une cour pavée surmontée de quatre façades en carré. Une histoire en mouvement, des ouvriers communards ( déjà déportés, vers la Nouvelle-Calédonie ) aux différentes vagues d'immigration, juive d'Europe de l'Est, portugaise, maghrébine. Une histoire à hauteur d'homme qui bruissent de vie.

Ruth Zylberman est partie d'une carte établie par le géographe Jean-Luc Pinol à partir des données collectées par Serge Klarsfeld sur les enfants parisiens déportés entre 1942-44. Puis du choix d'une adresse, le 209 rue Saint-Maur avec ses neufs noms d'enfants. S'ensuit un formidable enquête de détective sur plusieurs années pour retrouver les survivants de cette époque ou leurs descendants, en compulsant les annuaires, les recensements, les archives jusqu'au miracle des rencontres. L'auteure nous fait comprendre tout son processus d'écriture, ses coulisses, au gré des hasards et des coïncidences, des Etats-Unis à Israël en passant par l'Australie, glanant, creusant, grattant la moindre piste qui s'ouvre à elle.

Le livre se fait souvent récit personnel lorsque Ruth Zylberman, elle-même fille d'une déportée, dévoile son ressenti, en toute sincérité, sans narcissime aucun. C'est très fort de découvrir les doutes qui l'habitent, son souci délicat face à son pouvoir de déstabilisation, respectant la pudeur de chacun et les mythes construits pour pouvoir survivre à la tragédie de la perte des parents.

Cette émotion à fleur de peau de l'auteure renforce le récit et son «  histoire avec sa grande hache » ( selon les mots de Georges Pérec ) qui s'abat sur la centaine de locataires juifs vivant dans l'immeuble durant l'Occupation : 52 seront déportés. le 209 est à la fois un piège pour ses occupants lorsque des voisins dénoncent, mais aussi un refuge pour les enfants qui seront cachés par les Justes de l'immeuble. L'intérêt de l'échelle d'un immeuble est justement de laisser voir la collectivité et ses interactions dynamiques, bien au-delà de l'histoire familiale de chacun. Un peu justement comme dans La Vie mode d'emploi de Pérec, déjà une autobiographie d'un immeuble parisien.

Et puis, il y a ces moments inoubliables, exceptionnels de densité, leur souffle romanesque saisit le lecteur qui chavire quasiment à chaque page tellement ça palpite de vie et de dignité.

Lorsque le couple Dinanceau cache dans une pièce de 6m2 une famille juive qu'il connait à peine, pendant 2 ans, à la barbe de leur fils engagé dans les LVF ( Légions des volontaires français, section combattant aux côtés de la Wehrmacht ) ... lorsque le père menace son fils de mort s'il ose les dénoncer ...

Lorsque Henri, caché dès la rafle du vel d'hiv', orphelin élevé dans une famille d'accueil américaine, revient au 209 à plus de quatre-vingt ans, encore plein de colère face à son enfance volée ... lorsque le vieux monsieur redevient un enfant, bouleversé par la poignée d'une porte que ses parents auraient pu toucher ... lorsque ses souvenirs, enfouis, occultés par une volonté radicale, resurgissent ...

Lorsqu'Odette fait le cadeau à Ruth Zylberman de lui montrer une vieille lettre racornie, la dernière écrite par ses parents à Drancy avant leur extermination à Auschwitz ... lorsque la lettre dit «  nous sommes vivants » et que Odette la reçoit en le croyant et qu'aujourd'hui, elle trouve cela de plus en plus insupportable, cette lettre, en fait sans espoir ...

Histoire totale, histoires extraordinaires d'un immeuble ordinaire, des voix qui s'élèvent pour dire, pour rappeler, avec force et douceur. Un livre empli de lumière, qui redonne foi en l'être humain. Magnifique, absolument magnifique.

PS : Je vous conseille vivement la lecture de ce formidable récit ainsi que du documentaire qui l'a précédé, Les Enfants du 209, rue Saint-Maur, Paris Xème, disponible gratuitement sur Arte Tv : https://www.arte.tv/fr/videos/065861-000-A/les-enfants-du-209-rue-saint-maur-paris-xe/
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« Je crois à la mémoire des pierres. Elles absorbent l'écho des conversations, des pensées. Elles incorporent l'odeur des hommes. Les pierres sauvages des grottes et les pierres sages des églises rayonnent d'une force mantique. On est toujours saisi quand on pénètre sous une voûte de pierre qui a abrité des hommes. » Citation de Sylvain Tesson.

La sensibilité de Sylvain Tesson rejoint mon ressenti. Pénétrer dans un espace sacré, dans une grotte, dans une maison, c'est un peu comme pénétrer dans un livre. Les pierres nous racontent une histoire, elles peuvent nous émouvoir, nous attrister, nous angoisser, nous procurer du bien-être, nous communiquons avec elles.

C'est ainsi qu'au détour de l'une de ses multiples déambulations, dans la quête d'une forme de terre natale où Ruth pourrait poser sa caméra, parmi tous ces immeubles parisiens, qu'elle s'est arrêtée devant une porte cochère bleue. Pourquoi cette porte plutôt qu'une autre ? Elle était entrouverte, un peu comme une invitation. Elle est entrée, s'est glissée sous une voûte et s'est retrouvée au milieu d'une cour pavée surmontée de quatre façades en carré. C'est à ce moment là, dans cette cour, qu'elle a réalisé qu'elle avait enfin trouvé « son Amérique » : le 209, rue Saint-Maur Paris Xème.

De retour chez elle, elle consulte une carte éditée par Serge Klarsfeld. A cette adresse, ce sont neuf enfants juifs qui ont été déportés. Il lui faut reconstituer l'histoire de cet immeuble, redonner vie à tous ces êtres disparus et dont les pierres conservent le souvenir : ce palimpseste d'êtres de chair et de sang, gorgé de sentiments. Les pierres ont tant de choses à raconter, sur le combat des êtres humains, sur leur lâcheté, sur leur idéologie, sur leur solidarité et leur fraternité.

Ruth Zylberman a effectué une enquête titanesque sur cet immeuble. C'est passionnant. Elle remonte rapidement à la naissance de la rue Saint-Maur. Parcourt les Plans, les Archives Nationales - des photographies figurent dans le livre - et c'est ainsi que nous partons de 1840, où le 209 n'était encore qu'un jardin. Elle va rechercher l'origine de la propriété afin de pouvoir contacter les héritiers des propriétaires de l'époque, et reconstituer ainsi l'histoire du 209, rue Saint-Maur.

Ce quartier a toujours hébergé des ouvriers, des artisans, des immigrés. Avec ses retranchements, ses passages, ses ateliers, ses cours qui « deviennent les jours de lutte, autant de réduits pour des « coups de main », l'arrondissement favorise la rébellion. Foyer d'agitation en juin 1848, coups de feu avec les barricades de la Commune, atrocités de la guerre de 1870, celle de 1914/1918, pour parvenir à la seconde guerre mondiale, la rafle du Vel d'Hiv jusqu'à nos jours, c'est plus d' un siècle et demi de l'Histoire du Xème que nous murmurent les pierres. Magnifique ouvrage où nous sommes accompagnés et où nous accompagnons la présence de tous ceux qui ne sont plus. Hommage à ceux qui ne sont rien au regard de l'immensité de l'Univers mais qui sont tout au regard de ceux qui les aiment.

De ces neuf enfants déportés comme des habitants de l'immeuble, Ruth va parvenir à retrouver des survivants qu'elle va réunir au 209, rue Saint-Maur comme Odette de Tel Aviv, Albert de Nevers, ou Henry aux Etats-Unis. C'est une lecture particulièrement intense, dotée d'une très belle humanité. Ce récit résonne de toutes ces voix qui ne sont plus, de tout ce passé mêlant beauté et laideur, et nous vibrons avec elles.


« Nous autres du 209, les pauvres, les morts et les vivants, les disparus et les revenants, nous autres les communards et les artisans, les résistants et les dénonciateurs, nous autres les jeunes filles amoureuses et femmes de mauvaise vie, nous autres les Kabyles et les Polonais, les Juifs, les Portugais et les Bretons, les Marocains et les Italiens, nous autres, Odette, Albert, Henry, Charles, et les autres – Nous autres du 209 – c'était la forte et fière affirmation d'une patrie imaginaire dont l'étendard serait ce toit de ciel découpé en carré au-dessus de la cour." Tous ils ont été en quête d'une terre, d'une grande famille au 209, rue Saint-Maur.

Je remercie Kirzy pour son billet si sensible qui m'a incitée à lire ce livre et à regarder le documentaire, tourné par Ruth Zylberman, sur le 209, rue Saint-Maur. A la suite de sa chronique, j'ai regardé le documentaire une première fois puis une seconde fois après la lecture de ce livre. Ils sont indissociables et complémentaires. le documentaire est toujours visible et il permet de mieux s'imprégner de l'intensité des retrouvailles.


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Quel livre magnifique! Je remercie tout de suite Babelio et les éditions Seuil en collaboration avec Arte pour ce récit qui suit le documentaire Les Enfants du 209 rue Saint-Maur.
Comme Perec qui avait choisi plus ou moins arbitrairement le 23 juin pour suivre les personnages de l'immeuble de la Vie Mode d'Emploi, Ruth Zylberman a choisi, elle, le très réel 209 rue Saint-Maur, dans le Xème, pour retracer leurs histoires en parallèle à la grande.
Le 209 est composé de quatre bâtiments de six étages qui se font face autour d'une cour intérieure, et il a été construit pendant le XIXème siècle. Aujourd'hui partagé entre petits appartements logeant des locataires immigrés et d'autres appartements réaménagés en lofts par de jeunes couples propriétaires, il garde la trace du temps passé et des petites gens qui y ont vécu, se succédant les uns aux autres au cours des décennies, descendant les mêmes escaliers, fréquentant les mêmes pièces communes, s'interpellant et s'épiant d'une fenêtre à l'autre tandis que des générations d'enfants jouaient à se cacher dans les longs et étroits couloirs sombres des bâtiments.
Ruth Zylberman, au cours de ses recherches minutieuses, retrouve des traces de certains locataires, photos ou articles de journaux à l'appui retraçant des moments de gloire, de bonheur, mais aussi de souffrance et de violences touchant aux faits historiques qui ont marqué leur vie de manière indélébile, la Commune et ses barricades, la grande guerre, la deuxième guerre mondiale, les vagues d'immigration, l'attentat du 13 novembre 2015.
Tous ces récits, cependant, sont largement dominés, presque étouffés par ces cinq années qui ont bouleversé à jamais la vie d'un nombre incalculable de victimes, les années 39-45. L'immeuble en effet a été habité par des résistants, des collabos mais surtout par une centaine de Juifs, des familles pour la plupart et donc, des enfants, les enfants du documentaire. Ruth parvient en tirant les fils des rencontres, à retrouver la quasi-totalité des enfants ayant survécu, et encore vivant au moment de la réalisation du documentaire. Exilés, orphelins, meurtris, ces enfants ont 75, 80 ans et ont fui le 209 rue Saint-Maur après la guerre. Ruth les rencontre, attrape des bribes de souvenirs refoulés souvent, et avec une patience incroyable, réécrit la vie de ces personnes qui ont vécu l'une des plus grandes tragédies ayant jamais existé. Etre témoin des refoulements et des stratégies mises en place pour survivre à la mort de familles entières est terriblement bouleversant. Ces personnes ont encore dans leur regard une fragilité d'enfant et une profonde tristesse, et sans aucun doute un sentiment de solitude impossible à combler.
Sous les témoignages, le 209 prend peu à peu vie. C'est une lecture étourdissante car les générations finissent par se mélanger et à vivre en parallèle les unes autour des autres, les appartements se décloisonnant, certaines portes disparaissant, des chambres ayant caché des familles entières aussi au gré des rénovations.
Les pas entendus dans l'escalier ne sont pas les mêmes pour tout le monde, ils peuvent apporter la joie et le réconfort de savoir que le père ou le mari rentre du travail tout comme ils peuvent provoquer la terreur des rafles nazis sous leur bruit de bottes.
C'est un documentaire d'une densité effroyable si on pense que ces vies ont vécu dans un seul et même immeuble: qu'en est-il de l'immeuble voisin et de ceux des rues voisines, ceux des autres arrondissements, des autres villes françaises, européennes, et du monde?
C'est un travail de rechercher incroyable que Ruth Zylberman a fait là, juste à temps avant que toutes ces mémoires directes ne tombent dans l'oubli. En lisant ce livre, j'ai vécu une expérience intense.
Merci encore à Masse critique.
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Un lieu comme une réserve où puiser des innocents : bouleversant chef d'oeuvre.

Au 209 de la rue Saint-Maur, Paris X ème. Un immeuble de 300 âmes.
Mais il y a déjà si longtemps, si longtemps que la mémoire se froisse...

La vie s'est arrêtée le 16 juillet 1942...La vie a repris pour ses derniers locataires le 19 août 1944.


Les fenêtres se sont refermées une à une
depuis le jour où la police
déclencha la rafle du Veldiv.
Ils sont vieux, ils sont jeunes, ce sont des artisans, souvent des étrangers.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre un carré de tissu blanc
est abandonné dans le noir.



Ils étaient venus chercher l'espoir,
la liberté, la bienveillance,
Paris pour eux avait un goût de paradis,
de délivrance. Ils nous faisaient confiance.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre un carré de tissu blanc
est délaissé ce soir encore.



Certains avaient passé avec la concierge
un pacte, une surveillance.
La fenêtre a secoué son balai.
La police parisienne a refait son ménage.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre un carré de tissu blanc,
trône encore comme un mouchoir.



La folle ronde des jours grince
en contrepoint la dissonance des noms rayés.
la Muette sillonne les couloirs,
les locataires vont s'emmurer.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre un carré de tissu blanc
s'égoutte dans la nuit.


Il y a déjà si longtemps
ma soeur aînée avait quatre ans.
Un visage incrusté dans un carreau
fixe la cours où l'on recherche des survivants.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre
on distingue Ruth Zylb...Toujours lisible sur le carré de tissu blanc .
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Lorsque Ruth Zylberman tombe un peu par hasard sur la carte des enfants habitant Paris qui ont été déportés entre 1942 et 1944 (carte éditée par Serge Klarsfeld et Jean-Luc Pignol, géographe lyonnais), elle ne se doute pas que cela l'entrainera dans un long, passionnant et dévorant travail de recherche.
Quand elle pousse, pour la première fois, la porte du 209 rue Saint-Maur, elle est loin de s'imaginer qu'elle va entrer dans les méandres de toutes les vies menées dans cet immeuble, somme toute banal en apparence, et que "comme un oignon, couche par couche , elle va creuser" ces murs témoins de vies volées.
Quand, poursuivant ses recherches, elle n'imagine pas que la chance, le hasard, va la mener, de Tel Aviv , Melbourne à New York, à la rencontre des anciens locataires du 209.
Cette enquête a fait l'objet, en 2017, d'un magnifique documentaire, pour lequel l'auteur-cinéaste a récolté de nombreux prix.
Épilogue logique, Ruth Zylberman a adapté son documentaire par un récit magnifique sur les traces du passé.
Exemplaire et indispensable.


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critiques presse (2)
Liberation
16 janvier 2020
Le destin des enfants juifs de l’immeuble reste le cœur battant du livre, mais l’immeuble prend davantage corps aux yeux du lecteur grâce aux éclairages historiques. [...] L’auteure mène un véritable travail de détective.
Lire la critique sur le site : Liberation
LaCroix
16 janvier 2020
À travers cette « autobiographie » se dévoile un monde en soi : un immeuble comme synecdoque de la grande Histoire, décrite sans angélisme, des barricades en 1848 à la misère encore abritée dans les chambres de bonne.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
Albert ne comprend pas à quoi peuvent servir ces détails si personnels. Pour lui, parler c'est dénoncer un système qui l'a condamné à mort. Au camp de Buchenwald, Albert a été sauvé par les communistes. Il l'est longtemps resté après la guerre. Sa tragédie personnelle, il veut la transmettre dans sa dimension collective, politique, universelle : "Plus jamais ça" n'est pas pour lui un mantra vide de signification, c'est une raison de vivre et c'est bien pour ça qu'il a accepté de me recevoir malgré la fatigue et la maladie. La fameuse phrase de Camus, elle aussi galvaudée, retrouve sa force quand Albert me la rappelle en se tenant si droit : "Qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime, si ce n'est l'obstination du témoignage?".

Albert et ses yeux d'enfant implacable : c'est le tout premier visage que j'ai décidé de filmer. Le premier visage qui se superpose aux fenêtres, aux couloirs, aux escaliers du 209, la terre natale dont il est issu.

Page 84/85
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Ces enfants amenés par des gendarmes français en autobus à Drancy étaient pour la plupart nés en France. Ils ont tous, sans exception, été assassinés à Auschwitz mais ce qu'on leur a fait subir sur le sol français, à quelques kilomètres de Paris et de la rue Saint-Maur, je n'arrive pas à l'écrire. Et ma rage est à ce point intacte que je veux bien, oubliant toute courtoisie et retenue de bon aloi, foutre tout bonnement mon point sur la gueule de ceux qui, aujourd'hui encore, prétendent que Vichy a tenté de protéger "ses" enfants juifs français.

Page 217
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La dernière page du dossier Fuchs est la reproduction d'une lettre écrite en 1954 par le marchand de cycles Henri Descloux (...) qui certifie "avoir très bien connu monsieur Fuchs qui habitait dans l'immeuble et l'avoir vu partir en déportation en 1944".
Je suis frappée par ce terme "vu" (...) ; il y a dans ce "vu" une dimension plus vaste encore : le "vu" du témoin qui me rappelle le "il faut que tu voies" de Désiré Dinanceau à sa fille quand il l'avait emmenée à Drancy. Regarde de tous tes yeux, regarde et vois. Vois, en celui que tu as "très bien connu" ou que tu as juste vu passer au milieu de la cour, le père, le frère, l'ami. Ne détourne pas le regard : vois et reconnais-le. Et que de sa perte, de sa disparition, ton regard soit aussi comptable.
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Les immeubles de Paris sont un peuple vivant. Ils foisonnent et depuis le temps que je marche à leur pied, toujours tête levée, j’ai appris à lire, comme on décrypte une langue, les signes qui distinguent chaque façade d’une autre, comme un visage se distingue d’un autre. Les immeubles de Paris sont un peuple vivant et dans cette foule mélangée, j’ai appris à reconnaître la hauteur dédaigneuse des immeubles en pierre de taille alignés comme à la parade sur le boulevard de Courcelles, l’avenue Henri-Martin ; la familiarité villageoise des bâtisses en plâtre des rues étroites de Montmartre ; la fausse modestie des façades habillées de persiennes, redoublées à l’identique tout au long de la rue Saint -Lazare.
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Je ne dis rien mais je peux comprendre cette peur de s’approprier une douleur qui ne soit pas la sienne. J’ai passé une bonne partie de ma vie à mesurer les traces qu’avait pu laisser en moi (…). Avant même de savoir qu’il y avait des dizaines et des dizaines d’études psychologiques, toutes plus ronflantes les unes que les autres, sur la transmission des traumatismes, que les notions de « 2e » et de « 3e » génération étaient devenues des catégories conceptuelles communes, je sentais depuis toujours que ces traces existaient en moi comme des particules radioactives continuent d’irradier un paysage bien longtemps après une déflagration nucléaire. J’étais pourtant souvent exaspérée par la manière dont était parfois mise en scène (notamment sur la scène psychologique) cette notion de transmission traumatique – j’y voyais (et je ne m’excluais pas d’ailleurs du lot) une façon de s’annexer une souffrance, une histoire exceptionnellement tragique, à bon compte – un manque de dignité envers soi, envers les morts.

Cette question de savoir si ce que je ressentais n’était pas au fond une mise en scène narcissique, un auto-apitoiement complaisant, m’a longtemps taraudée jusqu’à ce que, progressivement, j’en vienne avec un peu de fatalisme à l’accepter puisque c’était là – ni plus ni moins narcissique que nos autres représentations de nous-mêmes, échappant en tout cas à un quelconque jugement moral : là, tout simplement, comme les traces, en nous tous, de tant d’histoires familiales et collectives, ni plus ni moins.
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