C'est le drame des hommes, ce besoin de s'entendre dire qu'ils sont de grands calbarhéros. Même ceux qui ont Coquette à peine plus grosse qu'une cacahuète espèrent les coups de sifflets admiratifs. Faut leur applaudir leur coït, sinon ils restent insatisfaits. Les bergères, reconnaissons-le, sont beaucoup plus pudiques malgré leurs impudeurs excessives. J'en ai rencontré des rapides, des expansives, des frénétiques, des inventives, des pas-dégoûtables, des qui-ne-reculaient-devant-rien, des qui-se-baissaient-pour-en-reprendre, des infatigables, des trousseuses, des détrousseuses, des retrousseuses, des redresseuses de tors, des qui-ne-s'occupaient-pas-de-l'heure, des qui-ne-remarquaient-pas-que-le-plafond-avait-besoin-d'être-repeint, des qui-n'allaient-pas-voir-ailleurs-si-j'y-étais, des qui-ressuscitaient-les-Maures, des qui-suscitaient-des-évacuations-sacerdotales, des inoubliables, des formidables, des qui-mouillaient-dans-chaque-pore, des ravageuses de sommier, des arracheuses de boutons, des qui-faisaient-trépied-et-des-mains, des gyroscopeuses, des sensationforteuses, des distilleuses et des alambiquées. Aucune, jamais, après une séance extradry n'a sollicité mes compliments, attendu mes applaudissements ni même ne les a sollicités. Toutes avaient la modestie de la chair. Pas une seule qui m'ait murmuré avec un éclat orgueilleux dans l'œil : « Et ça, c'est du poulet ! » L'homme, non. Il lui faut la claque, il a la tête à ça. Il veut que ça trépigne dans les tribunes. Il a besoin de rappels. Il a pas le don anonyme.
— Je voudrais vous demander la permission de fouiller votre bureau, monsieur le directeur, poursuis-je.
C'est trop fort pour sa dignité. Ça le prend au dépourvu. L'Amidonné de la raison sociale. Du coup, il ne sait plus que dire ni que faire. Ça échappe à son self-control. Il avait envisagé tous les cas d'exception, le Tondu : qu'on lui dise merde, qu'on le gifle, qu'on balance une grenade à manche dans son bureau, qu'on lui fasse pipi contre, qu'on renverse une poubelle sur sa moquette, qu'on lui fasse voir son derche, qu'on lui trempe sa rosette dans de l'encre de Chine, qu'on le chine, qu'on entre chez lui sans frapper, qu'on verse du fluide glacial sur son bureau, qu'on le déculotte, qu'on démissionne, qu'on lui pète au nez, qu'on lui parle sans faire concorder les temps, qu'on l'appelle Cul-d'œuf, qu'on le fasse asseoir dans de la blanquette de veau, qu'on lui crie « mort aux vaches ! », qu'on moque la République sans être président de la République, qu'on le mette à la retraite, qu'on glisse un munster dans le tiroir de son burlingue, qu'on ne s'essuie pas les pieds avant de passe sa porte, tout, vous dis-je ! Il a prévu les brimades et les incongruités les plus raffinées, les impertinences les plus osées, les inconvenances les plus inconvenantes ; et il a étudié pour chacune une attitude, envisagé une sanction. Il se croyait paré, caparaçonné ; en un mot, prêt à tout. Mais il n'avait pas conçu ça, le dirlo. Qu'un de ses subordonnés lui demande la permission de fouiller son cabinet de travail, cette espèce de chapelle Sixtine, ce sanctuaire, ce mausolée, ce P.C., ce Q.G., cette passerelle, cette tour de contrôle, cette salle du Trône, cette Coupole, ce laboratoire, ce Cap Kennedy, ce phare, cette mosquée où le visiteur, grâce à un excès d'indulgence, peut entrer sans se déchausser.
Moi qui raffole de la cuisine au beurre, j'aime que mes enquêtes baignent dans l'huile. Quand ça s'harmonise d'emblée, c'est bon cygne, comme disait Saint-Saëns (dont le plus développé était celui de l’ouïe).
Ils en auront de la veine, nos mômes, quand ils seront vieux cons ! Déjà, ils ont pas à se plaindre. Voyez les parkings des lycées. Vous avez tout de suite trois cents bagnoles et douze vélos. Les bagnoles sont aux élèves et les vélos aux profs. Ça bascule, je vous dis !
Il est fréquent (dans les romans en tout cas) que des espions arrêtés se donnent la mort pour couper aux interrogatoires. En tout cas si nous ne sommes pas crus, nous sommes cuits.
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
San-Antonio, _Réflexions définitives sur l'au-delà,_ morceaux choisis recueillis par Thierry Gautier, Paris, Fleuve noir, 1999, 120 p.
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