Fervent amateur des aventures de Carvalho - en français - je me suis risqué à la lecture de cette édition bilingue. Eh bien, heureusement qu'il y a la traduction sur la page de droite, car mon petit niveau d'espagnol ne suffit pas pour apprécier l'écriture originale, un peu alambiquée. J'ai préféré "Ces années-là" et "L'exhibitionniste" aux deux autres nouvelles, même si l'ensemble est assez réussi.
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Cette femme-là avait entre trente ans et un jour et quarante ans et une nuit. La nuit, surtout la nuit, plombait ses cernes de deuil lent, ainsi que la démarche de ce corps sans doute robuste, imaginé seulement car elle le cache pratiquement sous une gabardine de héros de film français des années trente, un port, la brume, Jean Gabin, le bord du chapeau rabaissé sur les yeux. Ce pourrait être aussi la gabardine de la triste héroïne de Milord, dans ce cas où le personnage de la chanson de Piaf avait une fille du trottoir en gabardine. Calvalho l'avait toujours imaginée ainsi et il se laissa pénétrer de la présence de la nouvelle venue, lui offrit la lassitude d'une journée inutile ajoutait a d'autres journées inutiles consacrées a pourchasser des mais infidèles; mais ce n’était plus des filatures à la mode ancienne, commandées par l'amour et la jalousie, la possession et la peur de perdre le sens du destin.
De nos jours les femmes font surveiller leurs maris au cas où ils attraperaient le sida ou pour prendre de l'avance avec leur avocat dans la procédure du divorce, presque toujours dans l'intention de conserver la villa, cette villa minable éloigne de cinq ou six pâtés de maisons de la plage.
Mais la femme est régie par d'autres cheminements culturels et la seule chose qui l’intéresse, c'est de savoir.
« Vous parlez français ?
Carvalho chante :
- Auprès de ma blonde,
fait bon, fait bon.....
C’était le matin du vingt-quatre décembre et dans la marmite en aluminium de la vaisselle super astiquée de Biscuter débutait la cuisson des viandes de base du pot-au-feu. On approchait de ce moment où l'os de jambon commence à imposer son arôme avant d'atteindre cette synthèse d'odeurs et cette offrande du fumet définitif de ce plat le plus convivial du monde.
[...]
Les bourres-anesses à la carthagenoise et surtout comme le faisait la grand-mère de Carvalho, se préparent en faisant cuire des pommes de terre, de la morue, de l'ail et des poivrons secs. On pile le tout dans un mortier, avec plus ou moins d'ail suivant la nature plus ou moins celtiberique du palais concerné et on monte avec de l'huile et du citron une masse épaisse jusqu’à ce qu'on obtienne une sorte de purée rougeâtre au gout acide et fort, toute imprégnée du bouquet final de la morue dessalée. Quand a la dinde, désossée et bien nettoyée, elle a droit à une farce faite de saucisses, de jambon en petit dés, de prunes et d'abricots secs ébouillantés, de truffes, de marrons cuits à l'eau, de pignons, de sel, de poivre, de cannelle, de persil, de vieux vin et on fait rôtir le tout dans une cocotte graissée au saindoux et en plus aromatisée de cannelle, laurier, origan, vin vieux et on ajoute un peu d'eau pour que la sauce ait au final l’onctuosité suffisante et requise.
La femme lui accorda un instant d'admiration, la même admiration que l'on accorde à n'importe quel participant d'un jeu télévisé capable d'énumérer en trente secondes quinze capitales d’Asie ou le nom de tous les maris d'Elizabeth Taylor.
Plus de trente années ont passé, au cours desquelles souvent ma biographie a tout simplement cheminé aux côtés de l'Histoire de l'Espagne, non comme le fruit du déterminisme historique mais comme le résultat de mon libre choix.
(p.95)
Je n'ai jamais raconté à ma femme mes amours éphémères avec une comtesse. Ma femme a un grand esprit de classe et, de toutes les classes sociales, celle qu'elle supporte le moins c'est l'aristocratie.
(p.107)
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