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Nicole Roche (Traducteur)Jean-Michel Palmier (Préfacier, etc.)
EAN : 9782742773589
688 pages
Actes Sud (06/03/2008)
4.34/5   104 notes
Résumé :
Né en 1906, Klaus Mann, le fils aîné de Thomas Mann, fut un écrivain précoce qui, à dix-huit ans, avait déjà publié une pièce de théâtre et un recueil de nouvelles.

Seul ou avec sa sœur Erika, il commença dès ce moment à parcourir le monde- Europe, Asie, Etats-Unis...

Mais, très vite, cette vie insouciante et libre de dandy des Années folles - drogue dure, sexe, homosexualité affichée - fut interrompue par la montée du nazisme, auquel... >Voir plus
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« Les souvenirs sont faits d'une substance étrange – ils sont trompeurs et pourtant impérieux, puissants et impalpables. On ne peut pas se fier au souvenir et pourtant, il n'y a pas d'autre réalité que celle que nous portons dans notre mémoire. Chaque instant que nous vivons doit son sens à l'instant précédent. le présent et l'avenir seraient inexistants si la trace du passé s'était effacée de notre conscience. Entre nous et le néant, il y a notre capital de souvenirs, rempart assurément quelque peu problématique et fragile ».

Ainsi commence le premier chapitre de l'autobiographie de Klaus Mann, intitulé « Les mythes de l'enfance » qui coure de l'année 1906 à l'année 1914. Klaus, de son nom complet Klaus, Heinrich, Thomas Mann est né le 18 novembre 1906, très peu de temps après la naissance de sa soeur Erika, dans une famille d'esthètes, très cultivée, bourgeoise mais à l'esprit un peu bohême. Il est le fils aîné de Thomas Mann et de Katia Pringsheim - ou si vous préférez du « Magicien et de Meilein ». Son enfance est très heureuse, il en parle avec beaucoup de tendresse, il associe le berceau à une barque magique comme la voiture d'enfant, au paradis perdu. Déjà, dans ces très belles lignes, on sent poindre quelques tourments :

« Peu à peu cependant, le berceau a changé de forme ; il est devenu plus long et plus étroit. le bateau qui m'emporte à présent jusqu'au port de l'oubli est d'un matériau plus dur et d'une couleur plus triste et plus sombre. Berceau et cercueil, tombe et sein maternel – notre coeur les confond et, pour finir, ils se ressemblent presque. »

La qualité de l'écriture est constante pendant les douze chapitres dont le dernier porte le titre LE TOURNANT et s'étend de 1943 à 1945. C'est un petit pavé de la collection Babel de 700 pages qui vous captive de bout en bout même si je me suis essoufflée, parfois, lorsque l'auteur décrit, au fil de ses pérégrinations, les portraits de certains artistes qui me sont inconnus.

Klaus Mann, malgré l'ombre de son Nobel de père, possède un véritable talent d'écrivain qui m'a particulièrement fascinée. C'est un écorché vif, un penseur, un être particulièrement intelligent et surdoué. Il a quatorze ans lorsqu'il commence à écrire :

« J'avais à peu près quatorze ans lorsque j'ébauchai un assez long traité grâce auquel je voulais démontrer une fois pour toute la non-existence de Dieu. »

Pour un garçon, vivre avec un père écrivain et nobélisé, ce doit être une véritable épreuve que de surmonter une telle présence imposante, vénérée. Il faut une force intérieure puissante pour trouver sa place surtout si les aspirations des deux chemins sont communes.
Malheureusement, il devra faire face à la comparaison des lecteurs ce qui petit à petit lui portera un réel préjudice.

« Lettre de Thomas Mann à Hermann Hess le 6 juillet 1949, évoquant le suicide de son fils :
Mes rapports avec lui étaient difficiles et point exempts d'un sentiment de culpabilité, puisque mon existence jetait par avance une ombre sur la sienne (….). Il travaillait trop vite et trop facilement ; ce qui expliques les quelques taches et négligences dans ses livres ».

Lorsque Klaus relate ses années après la Grande Guerre, il ne cache pas qu'il lui a fallu du temps pour qu'enfin, la voie qu'il avait choisie lui apparaisse clairement. Il a papillonné un peu dans cet après guerre ; à la fois période de tous les excès mais période d'une grande richesse culturelle. La voie littéraire lui est apparue comme une évidence, il était prêt à relever le défi.
Aucun propos désobligeant à l'égard de son père ne vient entacher son récit. Bien au contraire, l'intimité de la famille est décrite avec beaucoup d'affection. Klaus assume son homosexualité mais n'en fait pas un sujet du livre. Elle se manifeste très discrètement comme ses écarts liés à la drogue. de ces lignes, il se dégage l'image d'un Klaus d'un être particulièrement attachant. Son écriture, sa pensée, son regard sont tout ce qu'il y a de plus profond, d'intense et de lucide sur une période qui a dû être une souffrance pour lui quand on connait ses idéaux. Sa culture, la ville de Munich, le bonheur au sein de la famille Mann, son éducation et les écoles fréquentées, transparaissent dans ses écrits. Si l'écriture est vraiment très belle – et c'est d'une telle évidence - la subtilité de ses réflexions a retenu toute mon attention.

Sa propre histoire se mêle à l'histoire de son pays. Après avoir traversé la guerre de 14/18, vécu la révolution des conseils de Bavière, expérimenté les désordres terribles de l'inflation, L'Allemagne a la « gueule de bois » : plus d'empereur, plus d'argent, plus d'Alsace, plus de flotte, plus de colonies, plus d'illusions.

Klaus a 18 ans et se lance dans une carrière littéraire. Accompagnée de sa soeur Erika, ils voyagent. Paris leur tend les bras, ils découvrent la ville Lumière et tous ses artistes qui à cette époque, sont légion, venus de tous les coins du monde. Il y a des pages magnifiques sur Cocteau, sur Gide, sur Chagall, c'est à ce moment qu'il fait la connaissance de René Crevel. La lecture devient étourdissante dans ce Paris des années 20 où l'on y parle de Kafka, d'Oscar Wilde et où la présence amicale de Stefan Zweig imprègne le récit.

Le retour en Allemagne se fait moins enthousiaste. le nazisme voit le jour, il prend de l'importance mais Klaus n'y croit pas, cette maladie ne peut pas contaminer l'Allemagne. le jeune « dandy » se transforme en ardent défenseur de la démocratie et de l'esprit européen à l'image de Zweig. Il combat la doctrine nazie, cherche à éveiller les consciences, il s'expose, mais il lui faudra à un moment donné s'exiler et rejoindre sur la Cote d'Azur tous les apatrides venus d'Allemagne et d'Autriche. Au cours de cette période, l'auteur se confronte à la souffrance, à la douleur d'être un exilé, à la frustration, à l'humiliation mais c'est aussi à ce moment là que l'écrivain se bonifie.

« Manfred Flügge a écrit un livre sur Amer Azur, artistes et écrivains à Sanary.
Après 1933, Thomas Mann, Lion Feuchtwanger, Franz Werfel, Alma Malher-Werfel, Franz Hessel , Bruno Franck, Wilhem Herzog, L, Joseph Roth, Stefan Zweig, Luddwig Marcus, Heinrich Mann, René Schickele.

Sanary devient la capitale de la littérature allemande en exil selon Ludwig Marcus : une plaque commémorative est apposée sur l'Office du tourisme et la médiathèque posséde un fonds important sur ces auteurs de langue allemande exilés à Sanary. »

Dans ces années d'exil, Klaus ne lâche pas son militantisme. Il crée une revue « Die Sammlung » qui est éditée par les Editions Querido à Amsterdam. Il est particulièrement soutenu par Bruno Franck. Les auteurs seront Bertolt Brecht , Max Brod, Cocteau, Gide, Einstein, Hemingway, Aldous Huxley, Ernst Toller pour n'en citer que quelques uns.

Exilé aux Etats-Unis, il revient en Europe après la Seconde guerre mondiale. Il se suicide le 21 mai 1949 à Cannes.

Ce récit est un témoignage remarquable. Klaus Mann parle très peu de lui. Il brosse surtout le portrait de toute une époque en y portant son regard perspicace. Ce livre fait l'objet d'un premier récit édité en 1942 pendant sa période américaine. La version « Babel » a été largement augmentée avec, notamment, des pages de son journal intime. Ce livre s'adresse aux amateurs d'histoire, il dépeint les milieux artistiques et surtout littéraires de ces années « folles », mais aussi d'une certaine jeunesse engagée et se voulant libre, de la douleur de l'exil mais aussi d'une certaine réalité qui n'est pas toujours celle dont on rêve.

J'admire la littérature allemande du XXème siècle qui nous offre les grands noms de la littérature germanique, ces noms qui figurent aussi en tête des grands noms de la littérature en général. Klaus Mann fait partie de ces grands noms, il était juste de lui rendre cet hommage et de continuer sa découverte avec « le Volcan ».

Vous voudrez bien m'excuser pour la longueur de mon commentaire.

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Les autobiographies sont souvent l'occasion pour des gens connus pour remettre les pendules à l'heure, rectifier, s'expliquer, et même se justifier envers et contre tous. Ou tout ça à la fois, même inconsciemment. Pire, c'est parfois même un exercice d'égocentrisme, pour parler d'eux, encore et encore, en abreuvant les lecteurs d'une ritournelles d'événements anodins et d'informations insipides. C'est pourquoi j'en lis très peu. Toutefois, le tournant est une exception à la règle. Dans cet ouvrage, Klaus Mann dépasse le « moi, je ». Bien sûr, il doit parler de lui, mais bien souvent à travers ou en réaction à des événements qui le dépassent. Toujours d'une façon à impliquer le lecteur. Il commence par aborder ses années de jeunesse, ses parents (qui ne voudrait pas savoir à quoi ressemblait une enfance dans la maison du grand prix Nobel de littérature, Thomas Mann ?), l'Allemagne, Munich au début du 20e siècle.

Klaus Mann est un enfant comme les autres, les échos de la Première guerre mondiale viennent jusqu'à lui, puis les opinions anti-nationalistes de son père et de son cercle d'amis. Je passe vite sur le reste de ces années de jeunesse, il suffit de dire qu'il devient très proche de sa soeur Erika et que, adolescent, il démontre un intérêt vif pour la littérature. Ce qui marque surtout cette période, c'est la montée du nazisme. À partir de ce moment, les événements importants que la vie de Klaus seront toujours mis en perspective avec la nationalisme qui frappe l'Allemagne. C'est le tournant : Histoire d'une vie. Selon moi, c'est là un des intérêts majeurs du livre : outre montrer les aélas d'un jeune auteurs des années 1930, c'est donner le point de vue, une voix, à tous ces hommes et ces femmes de courage qui ont tourné le dos au nazisme. Et qui l'ont même combattu à leur façon.

Les Mann se sont opposés rapidement au nazisme avec leurs écrits (Klaus a même fondé une revue antifasciste), avec leur théâtre, mais ils ont dû fuir en exil pour éviter la persécution. Plus tard, pendant la Deuxième guerre mondiale, le jeune homme l'a fait avec les armes. Émigré aux Etats-Unis, il s'est enrôlé dans l'armée américaine et, après des combats en Italie, a foulé à nouveau le sol de sa patrie du côté des vainqueurs. La partie du bouquin qui relate ces années de guerre sont des entrées de son journal intime, qu'il tenait même sur le front. Mais le retour à la vie civile fut difficile. Écrivain prometteur, il eut toujours à vivre avec le fait d'être le ‘'fils du génie'', de n'être qu'une ombre de son père. Il s'enleva la vie quelques années plus tard, à 42 ans.

Le tournant offre un éclairage intéressant sur cette période troublée. C'est enrichissant à plus d'un point de vue et, pour cette raison, il mérite d'être lu et relu. C'est une lecture ambitieuse, tout un pavé, mais ça vaut le coup. C'est que ce chef d'oeuvre est passionant et pas seulement instructif. Klaus Mann était un individu complexe et marquant. Ses réflexions sur la nature de l'homme (teintée par son expérience du totalitarisme) apportent un éclairage nouveau sur sa personne mais aussi sur la société en général et tout un chacun.
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Der Wendepunkt, Ein Lebesnbericht
Traduction : Nicole Roche avec la collaboration de Henri Roche
Préface : Jean-Michel Palmier

ISBN : 978742773589

Deux extraits de ce livre paraîtront sur Babelio.


Si vous n'avez jamais rien lu de Klaus Mann, ni essai, ni roman, si vous ne saviez même pas jusqu'ici qu'il était le fils de l'auteur de "Mort A Venise" et de "La Montagne Magique", Thomas Mann, ainsi que le neveu de Heinrich Mann, auteur moins connu mais tout aussi prestigieux de "Professeur Unrat", le livre dont Joseph von Sternberg tira son inoubliable "Ange Bleu", "Le Tournant, Histoire d'Une Vie" est probablement l'ouvrage que vous devez lire en premier pour faire la connaissance de cet écrivain tourmenté et humaniste, dont la profondeur et la richesse valent beaucoup mieux que la réputation de "fils de génie" qu'il traîna toute sa vie - et qui contribua à le mener au suicide. Klaus Mann choisit en effet de se donner la mort à Cannes, le 21 avril 1949, quelques semaines après avoir achevé la postface du "Tournant."

"Le Tournant" relate non seulement l'existence de Klaus Mann depuis sa naissance jusqu'à son retour à la vie civile, après la Seconde guerre mondiale mais aussi l'histoire de la famille Mann au grand complet (avec de très intéressants aperçus sur les grands-parents et les tantes et oncles de l'auteur, où l'on compte déjà au moins une suicidée, la tante Carla, comédienne qui avala de l'acide et mourut dans une agonie qu'elle tentait d'apaiser en buvant de l'eau) et, bien sûr, l'histoire de cette Allemagne, déjà sous l'influence nationale-socialiste, que Mann abandonna en 1931 et qu'il retrouva en 1945, dévastée par les bombardements alliés et la folie perverse d'un mégalomane.

Alors, c'est passionnant, éblouissant, enrichissant au possible et on ne s'ennuie pas une seule minute. Et pourtant, l'ouvrage comporte près de six-cent-quatre-vingt pages en format poche (chez Babel-Actes-Sud). Et par dessus tout, compliment suprême à adresser à l'oeuvre d'un mémorialiste, cela palpite de vie à chaque page. Cette Allemagne depuis longtemps morte et enterrée, ce cosmopolitisme et cet éclat qui caractérisaient la vie littéraire et intellectuelle des pays germanophones d'Europe centrale, la superficialité tout aussi éclatante et déjà bien envahissante que l'écrivain en exil nous fait voir lors de son passage en Californie, tout cela nous apparaît bien réel et nous parle au présent tout au long de notre lecture, et ceci bien que nous sachions que nous sommes là en plein passé et même dans les souvenirs d'un homme depuis longtemps retourné à la poussière lui aussi.

Le souffle qui s'épuise trop souvent chez lui dans ses oeuvres de fiction, cette sûreté dans le trait et dans l'idée qui s'évanouit brusquement dans "Le Volcan" avec l'Ange des Exilés pour réapparaître quelques chapitres plus loin, cette puissance enfin que, jusqu'au bout, l'écrivain, aura douté de posséder, sont ici au rendez-vous pour proclamer que oui, Klaus Mann fut un grand écrivain, aussi grand que son père et que son oncle. Mais, contrairement à eux, il eut le malheur de naître, comme il le dit, "fils de génie."

Avec une pudeur qui prouve combien il aimait son père - "le Magicien" ainsi que l'avaient surnommé les membres de sa famille - Klaus Mann passe ici sous silence tout ce qui a pu les opposer. Bien qu'il admette çà et là que le Magicien n'avait peut-être pas un caractère très aimable, c'est la silhouette du héros de sa petite enfance qu'il nous dépeint avec tendresse, douceur et fierté. Fierté d'autant plus généreuse qu'on n'est pas du tout certain que Thomas Mann la rendît à son fils et à ses écrits, en tous cas au même degré.

En ce sens, "Le Tournant" est aussi une déclaration d'amour filial qui, pour s'exprimer, oublie tout ce qui pourrait jeter une ombre fâcheuse sur ce père encensé par le monde littéraire et Prix Nobel, et, bien sûr, l'influence qu'il eut, volontairement ou non, sur la vie sexuelle du fils. Sur ce plan aussi, Mann reste très pudique - et on ne peut que le respecter pour cela - mais à lire ses analyses du sentiment amoureux, le lecteur comprend mieux la nature d'écorché vif qu'il dissimula longtemps avec brio sous sa défroque de jeune dandy.

Mais le pire, dans cette relation, c'est que Klaus Mann n'osa jamais affronter son père dans le domaine où celui-ci excellait : le roman. En aurait-il été capable ? La subtilité, l'énergie, la grâce avec lesquelles il nous invite à négocier avec lui ce "Tournant" le prouvent largement mais il est malheureusement plus que certain que lui-même, s'il en avait bien une conscience timide, ne parvint jamais à l'envisager.

Docilement, parce que le milieu dans lequel il baignait depuis l'enfance avait favorisé ses débuts dans la littérature, il accepta cette étiquette de "fils à papa" que les jaloux et ceux qu'agaçaient sans doute certaines maladresses de sa part dues à sa jeunesse lui collèrent sur le dos pratiquement dès ses premiers écrits. L'attitude du père en rajouta encore, lui qui soupirait en constatant que son fils écrivait "vite et facilement" - et en sous-entendant que ce qui s'écrit vite et facilement n'est pas de la "vraie" littérature. Toutefois, quand il était question de document, de biographie ou de mémoires - et comme son "Magicien" de père n'était pas un foudre de guerre en la matière - Klaus Mann se sentait revivre - et son talent, au moins égal à celui de son père, redressait alors la tête. C'est tant mieux car, sinon, nous ne pourrions pas nous plonger dans cette "Histoire d'Une Vie" que n'aurait pas reniée le Stefan Zweig du "Monde d'Hier." Notons au passage que le grand écrivain autrichien fut l'un des rares justement à ne jamais douter de Klaus Mann, qu'il ne cessa d'encourager jusqu'à son propre suicide.

"Le Tournant" est la parfaite antithèse des "Mémoires de Hongrie" dont nous parlions récemment. Là où Sándor Márai fait du monde et de la Seconde guerre mondiale deux phénomènes dont il est l'axe principal, Klaus Mann, tout en s'exprimant lui aussi à la première personne et sur un contexte proche de celui du Hongrois, ne se perçoit que comme un maillon dans la vaste chaîne de celles et ceux qui traversèrent la Grande guerre, la République de Weimar et la Seconde guerre mondiale. Sándor Márai nous donne à voir encore et toujours Sándor Márai, victime première - ah ! bon ? parce qu'il y en a eu d'autres ? - d'un monde frappé de folie. Ses réflexions ne concernent que Sándor Márai et les sentiments de Sándor Márai - et ça s'arrête là. Alors que Mann part du point fixe qu'il représente dans la tempête pour nous faire découvrir le monde qui l'entoure et la folie qui, peu à peu, sournoisement, s'empare des êtres et des choses. Mann craint pour l'Homme et s'épouvante de ce qu'il peut faire quand il laisse le Mal et l'Egoïsme l'envahir. A la fin de son parcours, le dégoût l'emporte même mais c'est toujours l'Autre qui l'intéresse et l'inquiète.

En résumé, "Mémoires de Hongire" est la vision bornée qu'a du monde un esprit égocentrique et l'on pourrait sans problème rapprocher leur auteur de ces silhouettes d'Allemands bon teint qui affirment en 1945 à un Klaus Mann au bord de la nausée qu'ils n'ont jamais soutenu Hitler : leur petit monde passe avant tout le reste et, pourvu que ce monde - et son confort - ne soient pas dérangés, les autres peuvent bien aller se faire tuer ou torturer. "Le Tournant" au contraire est celle d'un Humaniste qui voudrait bien ne pas désespérer de l'âme humaine mais dont la générosité innée vient buter sur cette triste constatation que l'Homme ne renonce le plus souvent à une folie que pour en épouser une nouvelle ...

Un livre à lire et à relire. Un livre qui vous permettra de découvrir à sa juste mesure l'immense talent qui fut celui de Klaus Mann. Allez-y de confiance - plus encore si vous aimez, comme nous, les mémoires. ;o)
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Autobiographie de Klaus Mann, 1906 – 1949.
J’ai été fascinée par la lucidité de Klaus Mann, sa capacité à anticiper les évènements. Exilé de la première heure, prophète du malheur, il a dû patienter des longues années avant que ses mises en garde et celles de nombreux autres témoins du Troisième Reich trouvent audience. En avance sur son époque, il a vécu le désespoir de ne pas être compris.
Son destin me fait penser à Stefan Zweig. Cependant, pour Zweig la menace venait de l’extérieur, alors que pour Klaus Mann elle était issue de son propre pays.
Un autre aspect frappant - une sensibilité particulière pour les destins ou les figures tragiques : par exemple le portrait son ami Ricki p363 ou celui de Julien Green p 309.
Dans la préface il est question de la difficulté de Klaus Mann de se faire un nom en tant qu’écrivain dans le sillage de son génie de père. Mais il reste discret sur ce sujet.
Les trois fils conducteurs de cette vaste autobiographie :
-- L’apprentissage, la vocation littéraire et la genèse de ses écrits ; la construction de soi en exil
-- La vie intellectuelle, le climat, ses acteurs, nombreux portraits d’écrivains
-- Le combat contre le régime nazi de 1933 à 1945

Intelligence, sensibilité, humilité et pudeur tout au long de ce témoignage – une brillante réflexion sur une époque. En finissant le livre, j’ai regardé à nouveau les premières pages. Cette autobiographie couvre quarante ans qui ont changé le monde. C’est justement la dimension historique que je vais garder en mémoire.
Extraits
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Berlin, 1923
« [le génie de la ville de Berlin] et sa fonction historique consistent à s’emparer des atmosphères et des tendances latentes en Allemagne, à les absorber, à leur donner une forme dramatique et à les pousser à l’extrême. [ ] Si le Berlin de l’Empire, avec des grands cliquetis de sabre, avait donné le spectacle de la dynamique agressive du jeune nationalisme allemand, le Berlin des premières années d’après-guerre reflétait avec le même éclat l’état d’esprit apocalyptique de la nation vaincue. » p168
« Le romantisme des bas-fonds était irrésistible. Berlin – ou plutôt l’aspect de Berlin que je voyais et que ma naïveté tenait pour le seul qui fût essentiel, [ ] m’enthousiasmait par sa dépravation éhontée. Berlin était ma ville ! Je voulais rester. » p 171
p168
Nidden, 1929
« Nidden [Nida, en Lituanie] était un village idyllique sur la Baltique, célèbre pour une espèce particulière d’élans qui, de leurs corps lisses et massifs, barraient la route sablonneuse au promeneur et à l’automobiliste. N’avaient-elles vraiment qu’une corne, ces créatures douces et rétives, lourdes et gracieuses ? Dans mon souvenir, elles prennent des allures d’animaux fabuleux … Issues d’une ménagerie mythique, victimes d’un enchantement, elles ont des yeux que dore la tristesse, sous de larges fronts brillants et penchés, humbles et menaçants. » p287
New York, 1941
« Cet après-midi, au bar du Bedford. Erika [la sœur de l’auteur] et moi avons suscité l’irritation d’un vieux gentleman en parlant allemand. [ ] « Stop it ! rugit le coléreux vieillard, (c’était très effrayant : il aurait pu avoir une attaque). That damned nazi talk ! Stop it ! Or speak english ! »
Il aurait pu continuer longtemps à vociférer, mais Erika l’interrompit, aimable et grande dame jusqu’au bout des ongles. « Deligted to meet you, Sir ! » Elle dit ces mots avec son accent britannique le plus distingué, ce qui impressionna si fort l’irascible vieil homme qu’il en resta, littéralement, bouche bée. Sa bouche resta ouverte, tandis qu’Erika continuait, avec une grande dignité : « Je comprends votre animosité, monsieur ; je partage votre répulsion devant les horreurs du nazisme. Mais comme l’Amérique ne se décide toujours pas à combattre ou, au moins à boycotter cet horrible régime, à quoi bon boycotter une langue qui, d’ailleurs, sous sa forme correcte et pure, n’a guère de parenté avec le jargon nazi ? »p569
……
« Le nationalisme, tout nationalisme, est à mes yeux l’aberration la plus dangereuse et la plus imbécile de l’homme moderne. Je me suis séparé de ma nation parce que sa forfanterie agressive m’écœurait. Je crois à la civilisation universelle et indivisible à laquelle ce siècle aspire. » p566
Extrait (profession de foi) p565 :
« Quelle sorte d’histoire ai-je donc à raconter ? L’histoire d’un intellectuel entre deux guerres mondiales, celle d’un homme, par conséquent, qui a dû passer les années décisives de sa vie dans un vacuum social et spirituel, s’efforçant avec ferveur – mais sans succès – de s’intégrer à une communauté quelconque, de se soumettre à un ordre quelconque, toujours errant, toujours vaguant sans trêve ni repos, toujours inquiet, toujours en quête…
L’histoire d’un Allemand qui voulait devenir Européen, d’un Européen qui voulait devenir citoyen du monde ;
L’histoire d’un individualiste [ ]
L’histoire d’un écrivain qui, au départ, s’intéresse à l’art, à la religion, à l’érotisme, mais qui, sous la pression des circonstances, parvient à une attitude politiquement responsable et même militante …
Mon histoire – c’est le plus sincèrement, le plus exactement possible qu’il me faut l’écrire [ ] »
Titre en original : Der Wendepunkt. Ein Lebensbericht
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« le sans-patrie, le déraciné qui attend toujours –le miracle du retour au pays ? la catastrophe –est, certes, enclin à considérer son existence comme provisoire ; les années d'errance, les années d'attente, n'ont pour lui aucun poids, elles ne lui semblent pas avoir leur pleine valeur. Et pourtant, comme il pèse lourd, comme il se remplit de ce que l'on vit, ce temps que l'on trouve trop léger, pas assez plein pour compter vraiment ! Cette profusion d'impressions et de problèmes demande à être ordonnée, avant que nous-même, nous ne tombions en poussière.
Je suis assis dans une chambre d'hôtel, à New-York, et je m'efforce de donner une forme épique à ce que j'ai vécu en exil, qui est désordonné, riche, et triste. »

Klaus Mann, fils de Thomas Mann et neveu de Heinrich Mann, deux des plus grands prosateurs allemands du XXè siècle, a terminé d'écrire le tournant un mois avant de se suicider le 21 mai 1949 à Cannes. Ce livre, inspiré d'un premier récit de vie écrit en anglais cette fois, The turning point, est une oeuvre magistrale, brassant la terrible première moitié du XXè siècle avec un oeil intransigeant, passionné et original.
Se décrivant lui-même comme un marginal cosmopolite et citoyen du monde, éternel exilé, Klaus Mann décrit avec une acuité et une sensibilité bouleversante son cheminement intime à travers la grande Histoire. Baignant dès l'enfance dans une vie intellectuelle et artistique intense, il choisira la voie (difficile –il est l'enfant d'un prix Nobel !) de la littérature. Intellectuel et fondateur de deux revues engagées durant son exil- dès 1933- il sera également soldat américain débarquant sur le sol européen pour participer à sa libération, lui, cet allemand de naissance à qui le régime nazi a ôté sa nationalité.
Et l'on perçoit à travers lui l'Allemagne de l'après-première guerre mondiale, la jouissance morbide et la légèreté apparente qui annoncent le pire. Et l'on croise Greta Garbo et la Rapsody in blue de Geschwin, et l'on profite d'une fresque sur l'Amérique de Roosevelt, le Paris des années 20, à travers des portraits extrêmement puissants de R. Crevel, A. Gide, J. Cocteau… On se représente les grandes capitales européennes qu'il arpente auprès de E. M. Forster ou A. Huxley et surtout avec sa chère soeur Erika, complice de la première heure et fondatrice du fameux cabaret engagé le Moulin à Poivre… On pleure avec lui ses amis d'enfance qui se suicident les uns après les autres, sans oublié la figure tutélaire de S. Zweig, ce grand pacifiste, suicidé en 1942 avec sa jeune femme, loin de Vienne. On profite au passage de ses réflexions littéraires sur F. Kafka, M. Brod, A. Breton… et de son regard sur l'Histoire tragique qui se déroule envers et contre tout, malgré tous les signes annonciateurs de la catastrophe.
Une vie intense, extrêmement riche, d'un homme qui s'interroge sur le monde qu'il l'entoure et sa propre destinée : né allemand, il deviendra tour à tour apatride puis tchécoslovaque et enfin américain. Les lettres, qu'il envoie fidèlement aux siens, exilés eux aussi aux USA, racontant ce qu'il voit à Dachau et parlant des entretiens réalisés avec des collaborateurs du régime ou de simples citoyens allemands (en tant que soldat correspondant du journal Stars and Stripes) sont autant de documents d'une émotion et d'un tragique ineffable.

Ce livre, je l'avais lu à 17 ans, et l'ai relu lentement, avec une admiration profonde devant tant de sincérité, de volonté, de tristesse et de clairvoyance, de justesse et de générosité. Quel témoignage exceptionnel de la part d'un homme qui a côtoyé les femmes et les hommes les plus illustres de son temps ! Quelle analyse fine et éclairante de la situation d'exilé, quel choix admirable et terrible que celui de devenir soldat américain –lui si profondément pacifiste et délicat ! Lui qui arpente seul les vestige de la maison de son enfance munichoise et relate fidèlement à son père la rencontre avec une « habitante », pauvre fille qui vit sur le balcon de son ancienne chambre, et qui lui explique que quelqu'un de connu a vécu là il y a si longtemps…

Ce livre est nécessaire, nécessaire dans une première lecture et de nombreuses relectures. Outre la vie passionnante que son auteur nous offre de découvrir, il donne à réfléchir sur le contexte politique et social de cette entre-deux guerre dont on nous parle si souvent aujourd'hui à titre comparatif et qui mérite d'être vraiment approfondi grâce à des témoignages aussi puissants que le tournant, nous obligeant à prendre du recul et nos responsabilités face au monde qui advient, sans tomber dans des postures faciles et des raccourcis aussi usés que les mots mal employés. Relisons ceux qui ont voulu transmettre, comme le généreux K. Mann!
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Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
André Gide

Il a pu m'arriver en des instants d'ambition naïve et inconsidérée, de souhaiter ressembler un jour le plus possible à cette personnalité authentique, inimitable - André Gide. Mais plus j'apprenais de lui et plus la vanité d'une telle aspiration me devenait évidente. Etre semblable à un autre ? Ce n'est pas à cela qu'il nous exhorte. Bien au contraire, le conseil qu'il donne, dans les Nouvelles Nourritures, à son ami et disciple imaginaire, vaut pour chacun de nous :

" Ne te fie à personne, n'écoute que la voix de ta propre conscience ! Sois sincère, surtout envers toi-même ! Cherche à découvrir ton être propre ! Suis ta propre route ! "Deviens qui tu es".

Ce n'est pas toujours le chemin le plus direct qui conduit à la connaissance et à l'accomplissement de soi ; le sentier le plus tortueux est souvent le meilleur. Celui qui craint et qui évite par trop l'obscurité ne parviendra peut-être jamais à trouver la lumière......

page 305 - Ndl : une amie me disait "ce n'est pas le chemin qui est difficile, c'est le difficile qui est sur le chemin".

Marc Chagall

J'aimais m'attarder dans les ateliers des grands peintres parisiens et regarder les Maîtres au travail. Une visite chez Marc Chagall, par exemple, était comme une excursion dans des sphères que l'on n'avait, jusque-là, connues qu'en rêve : ce n'était pas sans quelque joyeux étonnement que l'on s'aventurait dans ce paysage enchanté et enchanteur. Les vaches pourpres sur le toit de l'isba russe, le doux envol des agneaux violets, les marchands juifs extatiques avec leur barbe et leur caftant flottants, l'ivre sourire des amants bienheureux couchés dans les bras l'un de l'autre tout au fond d'un ciel phosphorescent - on avait toujours eu le pressentiment que ces choses-là existaient. Le maître de maison - d'ailleurs généralement trop occupé pour se lancer dans de longues conversations - n'avait besoin de rien expliquer : on se sentait chez soi dans son univers de Fêtes volantes, de lunes chatoyantes et d'explosions de fleurs. Certes, la loi de la pesanteur qui régit la réalité empirique était, ici, abolie : mais à sa place, il y avait un équilibre poétique, une cohérence magique, une harmonie de rêve, dont la validité pour nous - allait de soi. Chez Marc Chagall, on ne pouvait rien mettre en doute, rien n'était superficiel ou excentrique : tout était vrai, tout était juste.

page 306
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Exil 1933 - 1936

Hans, le chauffeur de la famille, nous attendait comme d'habitude sur la Place de la gare avec la Buick familiale. Mais son attitude, son expression s'étaient curieusement modifiées. Il avait l'air pâle et défait, ce grand et fort gaillard, et le voilà qui tremblait ! Mais oui, c'est d'une main très nettement tremblante qu'il nous ouvrait la portière. Sa voix, elle aussi, chevrotait : "Soyez prudents ! chuchota-t-il très ému. Tous les deux mais, vous surtout, Mademoiselle Erika ! Ils vous cherchent , ceux de la Braune Haus (Maison Brune) vous savez ce que je veux dire ! Ne sortez pas dans la rue, Mademoiselle Erika ! Que personne ne sache que vous êtes en ville, Monsieur Klaus ! S'ils vous attrapent ...". Son geste ne laissait aucun doute sur ce qui nous arriverait dans ce cas.

Nous ne devions apprendre que plus tard pourquoi notre fidèle Hans était si nerveux ce jour là et d'où il savait tant de choses. Il était doublement traître et avait doublement mauvaise conscience, le brave homme robuste à la tignasse blonde et aux yeux pensifs. Il y avait déjà plusieurs années qu'il travaillait comme mouchard pour la Braune Haus où il rendait compte régulièrement de tout ce qui se passait chez nous. Mais cette fois, au moment décisif, il avait oublié son devoir et nous avait prévenus, pour des raisons humanitaires, probablement. Sans doute, lui faisions nous pitié. Il savait bien ce que "ceux-là" nous feraient s'ils nous attrapaient .... Ce furent des moments pleins d'angoisse et d'une agitation fébrile que ces dernières heures rue Porchinger, à Munich, en Allemagne. Songeant à l'avertissement du chauffeur félon mais néanmoins charitable, nous restâmes cachés dans nos chambres ; personne, pas même la cuisinière ou la femme de chambre, ne devait être au courant de notre arrivée. Mais le téléphone fonctionnait et nous appelâmes d'abord Arosa où le Magicien et Mielen se reposaient des fatigues d'une tournée de conférences. A Bruxelles, Amsterdam, Paris et dans d'autres villes, notre père avait parlé "de la grandeur et des souffrances de Richard Wagner", après quoi son programme devait se terminer par des vacances dans les montagnes suisses : à présent, toujours suivant ce programme, il allait rentrer à la maison ; nous trouvâmes prudent de l'en dissuader.

pages 379/380
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Bien sûr, j'arrivais à Paris avec une sorte d'enthousiasme préconçu, décidé à tout trouver magnifique. Mais ce préjugé favorable aurait fort bien pu se transformer en la plus amère désillusion, si Paris, justement, avait été décevant. Cependant je trouvais la réalité encore plus envoûtante que je ne me l'étais imaginé dans mes rêves les plus audacieux.

Non que ce premier séjour à Paris eût été fertile en évènements sensationnels ! Je tombais amoureux d'une ville - c'est tout ; d'une ville avec ses odeurs, ses couleurs et ses bruits, avec ses perspectives royales et ses recoins tranquilles, avec son rythme, sa mélodie et - oui - avec sa lumière.

Ce fut assurément cela surtout, cette lumière, qui, dès le début, m'ensorcela. L'atmosphère de cette ville, le ciel de Paris, pleins de charme et de discrétion, semblent absolument faits pour s'accorder au goût, au style dune civilisation mûre et raffinée. La voilà cette atmosphère, intelligemment partagée et pourtant dispensée avec prodigalité : les tonalités gaies de Renoir - rose souriant, bleu profond, carmin lumineux ; les ombres solennelles que nous connaissons pour les avoir vues dans les paysages classiques de Poussin ; la gamme infinie des gris dont Monet dispose avec une nonchalance princière ; les contrastes crus entre les couleurs, qui sur les affiches de Toulouse-Lautrec, attiraient vers les théâtres le public du Boulevard ; le noir dynamique du grand Géricault, les beaux bruns et jaunes de Braque, le bleu morbide de Picasso de la première manière .... quelle palette ! Quelle profusion d'effets de couleurs, de nuances précieuses !

page 208
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Suite à de nombreux cauchemars de Klaus, enfant :

Il (Thomas) apparut dans notre chambre à l'heure du coucher - ce qui était déjà en soi un évènement inhabituel - et tint avec nous une conférence d'ordre stratégique. Le visiteur décapité, pensait-il, n'était en réalité pas si terrible que ça - nous ne devions pas nous laisser bluffer par lui.
"S'il revient, ne le regardez tout simplement pas, conseilla notre père. Alors, il disparaîtra probablement de lui-même, parce que ce serait ennuyeux et même un peu gênant pour lui de rester là sans que personne ne le remarque. Mais si vous n'arrivez pas à vous débarrasser de cette manière, il vous faudra le prier à haute voix d'aller au diable. Vous n'aurez qu'à le lui dire qu'une chambre d'enfants n'est pas un lieu de promenade pour des fantômes convenables et qu'il devrait avoir honte. Et si cela ne suffit toujours pas, alors vous ferez bien d'ajouter que votre père est très irritable et ne tolère pas de vilaines apparitions dans sa maison. Alors, il déguerpira sans aucun doute - car on sait parfaitement dans le milieu des fantômes que je peux être vraiment tout à fait terrible si jamais je perds patience".
Nous suivîmes son conseil et aussitôt l'apparition cessa. Ce fut un succès décisif qui nous prouva de la façon la plus impressionnante quel était le pouvoir de l'influence paternelle jusque dans le monde des esprits - c'est à cette époque que nous commençâmes à le nommer "Le Magicien", tout d'abord seulement entre nous ; mais comme nous remarquâmes que ce nom ne lui déplaisait pas, il entra bientôt officiellement en usage.

page 32
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Tout cela, maintenant, était du passé et notre père pouvait, à nouveau, se préoccuper des deux œuvres que le sentiment du devoir patriotique lui avait fait interrompre en août 1914.
C'étaient deux récits qu'il avait entrepris à l'époque de la déclaration de guerre ; à présent, il balançait entre ces deux projets qui tous deux semblaient très prometteurs. A quoi devait-il tout d'abord s'attaquer - les confessions du chevalier d'industrie Félix Krull, une variation exubérante et pleine d'esprit sur son thème de toujours : ce quelque chose de moralement douteux chez l'esthète - ou une petite nouvelle dont l'action se déroulait dans l'atmosphère raréfiée d'un sanatorium suisse et qui traitait des rapports délicats entre la mort et l'amour, la tuberculose et la sensualité. Krull était très amusant mais l'histoire du sanatorium avait aussi ses charmes. Il pourrait peut-être en sortir une sorte de pendant, plus léger, un épilogue satirique de la Mort à Venise. On pourrait l'appeler La Montagne magique - pas mauvais titre pour un conte d'un humour macabre sur la maladie ... Le matériel ne manquait pas ; il y avait les lettres de Mielein (mutti) écrites au cours de ses différents séjours à Arosa et à Davos, et les notes que, dans sa sage prévoyance, il avait prises lui-même durant ses brèves visites là-haut. Il était difficile de choisir entre l'attirant criminel et les tuberculeux, non moins séduisants. Pour en finir, on se décida pour un troisième sujet, notre bon chien Bauschan.


pages 114/115
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Vidéo de Klaus Mann
Homosexuel, toxicomane, citoyen allemand déchu, exilé puis engagé contre l’idéologie nazie, écrivain prolifique et visionnaire, résolument contemporain, il est l’un des plus éminents représentants de la littérature allemande… MAIS QUI EST KLAUS MANN ?
Après "Contre la barbarie" et "Point de rencontre à l'infini", paraîtront le 3 février 2011 aux Éditions Phébus "Aujourd'hui et demain" (http://bit.ly/h0er3J) et "Speed" (http://bit.ly/fMP5tS).
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