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Alzir Hella (Traducteur)Olivier Bournac (Traducteur)
EAN : 9782234057012
152 pages
Stock (19/05/2004)
3.92/5   155 notes
Résumé :
La vie de Nietzsche : une pratique de la philosophie qui est un art avec ses plaisirs et ses tourments. Une exigence implacable entrant inévitablement en conflit avec le monde. Car relativiste, amoraliste, Nietzsche l'a été jusque dans son quotidien et ses rapports à autrui. Mû par une passion excessive de la vérité qui excluait toute concession, laissant sans cesse derrière lui ses croyances perdues, il est allé jusqu'à sacrifier ses amitiés au nom d'un insatiable ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Mes deux auteurs « en tête de gondole «  sur mon profil, l'un présentant l'autre ! Waouh !
Il faut dire que j'aime les écrivains avec des tripes, les passionnés, et tous deux le sont !
Ils ont une passion commune pour la vérité et l'humanité, jusqu'à en avoir mal à la tête, jusqu'à en devenir fou pour l'un et se suicider pour l'autre !
Donc, je me suis dit, en fouillant dans la belle et fournie librairie du centre ville de Blois :
« Qui, mieux que Stefan Zweig, qui en plus écrit très bien, peut connaître Friedrich Nietzsche, et sa vie intérieure ? »
.
Je trouve l'auteur excellent dans tout ce qu'il écrit : ses nouvelles, son roman, ses biographies.
Donc rien de te qu'un Stefan Zweig pour rentrer dans la tête d'un Nietzsche, et quelle tête perturbée !
.
C'est en lisant « Ecce Homo », une sorte d'autobiographie de Nietzsche que je n'ai pas encore lue, que Stefan Zweig a fait la lumière sur cet auteur tortueux.
Nietzsche est un lutteur de l'esprit. Il fait les choses à l'envers de ses « collègues ». Après s'être posé comme professeur de philologie à Bâle à 24 ans, il s'échappe à la recherche de la liberté et de la vérité, à différents endroits, dont Sils-Maria, puis Nice et l'Italie. Il est malade des nerfs, trop sensible ( comme l'auteur ), et s'auto-médicalise en allant de ville thermale en ville thermale. Quand il découvre le Sud et sa lumière, il ne revient plus en Allemagne, pays trop triste et trop lourd pour lui. A l'inverse de Goethe et Kant qui posent les bases de leurs réflexions, puis sagement, les développent, comme un arbre grandit en épaississant son tronc, lui est un phénix, qui se consume, accouche d'un livre dans la douleur, puis renait de ses cendres pour attaquer autre chose. Il fonctionne hors des sentiers battus. Ce n'est pas un philosophe, dit Zweig, mais un philalèthe, un pirate, un révolté, un homme toujours en colère,
Zweig insiste beaucoup sur les douleurs de Nietzsche :
1 ) douleur physique, maux de ventre, maux de tête...On le représente plein de vigueur, de force, moustache conquérante, mais c'est un être délicat, qui choisit ses plats avec parcimonie, et qui est pauvre, et, comme un autre génie incompris, Van Gogh à Auvers, finira sa vie intellectuelle dans une petite chambre, à Turin.
2 ) douleur mentale d'être incompris : ses amis s'éloignent de lui, les Allemands ne comprennent pas l'intérêt de ses livres, et il est obligé de financer ses dernières parutions.
.
C'est un être passionné et souffrant (pléonasme, puisque passio = souffrance ), comme l'auteur ! Pour ce dernier, Nietzsche est happé par le démon ! D'ailleurs, il n'ose même plus signer ses dernières lettres de son propre nom.
Complètement submergé par la maladie mentale au début de 1889, il souffrira dix ans avant de s'éteindre, mais ça, l'auteur n'en parle pas, par pudeur.
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J'aime Zweig et Nietzsche parce qu'ils ne font pas semblant : ils écrivent avec leurs tripes, avec leurs souffrances, et même si l'un est extrêmement clair, et l'autre extrêmement flou, ils me sont tous les deux attachants, l'un par la description de la souffrance de ses héros, l'autre par l'acuité de sa vision. Zweig le compare à un faucon, alors qu'il était à demi aveugle. Hibou sur terre, mais aigle par l'esprit !
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J'ai lu quelques ouvrages de l'un et de l'autre, et je peux dire que je les connais un peu.
Qu'est ce que Nietzsche m'a apporté pratiquement ?
Plus que Zarathoustra, nouveau Jésus qui franchit la rivière et appelle les gens à le rejoindre sur la montagne, c'est « Humain, trop humain », et « Par delà le bien et le mal » que j'ai appréciés. J'ai senti le « travail laborieux d'accouchement », une sorte de lutte, mais avec des pépites (phrases lumineuses ), qui m'ont amené à bâtir moi-même la construction de l'auteur, à mon niveau.
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« Nietzsche », par Stefan Zweig, est sublime. Tous ceux qui se sont cassés les dents à essayer de lire Nietzsche, devraient peut-être commencer par cette petite biographie lumineuse !
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Autant je suis lassée et blasée par la médiocrité du monde qui m'entoure autant je suis époustouflée par ce que je lis.

"Un essai biographique", donc je découvre l'existence de cette catégorie, de Nietzsche par Zweig. C'était déjà très alléchant mais je suis encore plus surprise par la qualité du contenu. Alors peut-être que certains d'entre vous me diront qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil et me citeront quatre-cent vingt huits références similaires mais pour ma part, je suis émerveillée comme un enfant qui voit le Père-Noël. C'est un chef d'oeuvre à part entière.

Je croyais q'une biographie était un récit dans un ordre chronologique contenant ça et là par des explications qui viennent étayer une thèse sur l'existence de certains événements, influence, traits psychologiques...

Ce sont les mots de Stefan Zweig: il "essaie de représenter la vie de Nietzche"

Ici, l'ordre est thématique et non chronologique (L'isolement, la maladie, le fanatisme, la musique, la folie )même si des repères chronologiques reviennent bien sûr, dans chaque thème.

C'est court. le style est éblouissant, onirique, limpide. Se représenter la vie de Nietzche par tous les sens, les émotions, la description d'une ambiance, des images, des sons, des métaphores filées, c'est le vivre. Certains pourraient lui reprocher une certaine redondance. Stefan Zweig semble avoir une obsession pour les nerfs, le sang (peut-être est-ce le langage médical de l'époque comme à d'autres celui des "humeurs" ou des "méridiens" de l'acupuncture) et "le démoniaque" mais à mes yeux, ça ne lui enlève rien.

Zweig nous dépeint le destin tragique de l'homme à l'oeuvre au destin sublime, l'accompagnant de fines réflexions. C'est bouleversant de voir que la fin de Zarathoustra est accueillie dans la plus grande indifférence, sans éditeur, sans amis à qui l'envoyer... "Tellement la distance entre son génie et l'infériorité de son temps est infranchissable"

Nietzsche, cet être en quête d'absolu, s'affranchissant de tout, surtout de tout compromis à la vérité. Cet heroïsme qui le consume et entraine sa chute. L'évolution incessante de sa pensée qui le déchire comme la peau du serpent qui mue. Sa douleur, sa cécité, sa rémission, sa folie qui épargne sa lucidité et la rend plus aigue encore, comme surnaturelle, "démoniaque" A mesure, que son oeuvre se fait plus puissante, il s'affaiblit comme dévoré par elle

"L'anéantissement de Nietzsche est une sorte de mort par la lumière, une carbonisation de l'esprit par sa propre flamme"

Je ne suis que le deux-centième lecteur sur babelio à le lire et j'ai eu du mal à le trouver en bibliothèque. Seuls trois exemplaires étaient disponibles à la bibliothèque du patrimoine sur demande et recherche d'un bon quart d'heure de la bibliothécaire en réserve alors que quasi tous les livres se trouvent facilement dans chaque bibliothèque de quartier et la grande médiathèque. Quel dommage! Si vous avez l'occasion, n'hésitez pas.

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On ne se lassera jamais de le dire : l'écriture de Stefan Zweig est somptueuse. Cette façon qu'il a d'étudier les profils psychologiques des grands de ce monde (voir aussi : Hommes et destins) est caractéristique de sa plume à la fois poétique et incisive. Friederich Nietzsche qu'il portait apparemment en haute estime, apparait dans son analyse tel un ovni de la pensée allemande, peut-être même de la pensée universelle pourrait-on dire. Personne, excepté peut-être Heinrich von Kleist et Friedrich Hölderlin, n'aurait accepté de souffrir l'enfer volontaire que le philosophe s'est choisi pour demeure. Sa santé fébrile et sa recherche incessante de la Vérité sont à la fois, sa force et sa faiblesse. Intransigeant envers les autres, mais avant tout envers lui-même, Nietszche ne souffre pas le confort d'une notoriété acquise et reconnue. Son combat se situe ailleurs. Bien au delà de ce que l'on peut imaginer avec toute la douleur et la solitude que cela exige. le parcours de Nietzsche est fait de mille souffrances imposées à lui-même comme autant de moteurs de réflexion de sa pensée...

Evoluant à l'inverse de ses pairs comme par exemple Goethe, Nietzsche obtient très jeune une chaire de philosophie à l'Université de Bâle. Mais sa révélation lui vient après qu'il ait décidé de la quitter et qu'il découvre l'Italie ("C'est seulement l'apparition de la nature démoniaque, l'épanchement de la liberté primitive qui font de Nietzsche une figure prophétique et transforment son destin en mythe. Et puisque ici, j'essaie de représenter sa vie, non pas dramatiquement mais comme une pièce de théâtre, comme une oeuvre d'art et une tragédie de l'esprit, son oeuvre véritable pour moi débute seulement au moment où l'artiste commence en lui et prend conscience de sa liberté."p.99). Luttant avec une force diabolique pour atteindre Sa Vérité, Nietzsche assume un destin tragique grâce à ses éternels "accouchements". Contraint toute sa vie à dénicher l'endroit idéal où parfaire sa réflexion et où ses douleurs seraient susceptibles de le laisser en paix, le philosophe tire paradoxalement de sa faiblesse physique (il est la proie de maux de tête insupportables et perd la vue), une incroyable force de travail... Nietzsche, ce penseur nomade assassin de Dieu, est enfin prêt à livrer l'ultime combat. Ni le confort d'une oreille amie, ni la douce présence d'une femme ne l'accompagne. C'est seul que Nietzsche deviendra ce qu'il est, et seul aussi qu'il affrontera l'adversité de ses propres démons. Tel un martyr de la pensée, Nietzsche durant ses derniers mois d'existence cède à la folie créatrice...

Ce merveilleux portrait dressé par Stefan Zweig est bouleversant tant il est bien "senti". Pendant la lecture, on le devine, l'esprit de Nietzsche est là, tout proche de nous. Et ce bel hommage rendu par Zweig, démontre bien que l'homme et son oeuvre ne font qu'un, car "seules les natures tragiques sont capables de nous faire percevoir la profondeur du sentiment et seule la démeusure permet à l'humanité de reconnaître sa mesure."p.152.
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
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Ce livre est une dramatisation de l'existence de Nietzsche : on y perçoit tant l'admiration de l'auteur, le désir d'hommage, l'écriture d'une tragédie, que l'on ignore si ce montage n'est pas un dithyrambe plutôt qu'une rétrospective honnête et vraie. Il faut à certains écrivains de ces légendes auxquelles s'attacher, des existences d'émotion où regorgent des symboles, des êtres poignants dont les cahots de l'existence créent une affinité avec la leur, et je crois que Zweig a tenu là une forme d'alter ego, une identification dont le portrait fut aussi une occasion pour lui de tester et d'exprimer son style.
Ce Nietzsche est un lyrisme plutôt qu'une biographie – c'est à la fois son mérite et son plus grand défaut. On peut juger singulier qu'un essai sur un philosophe ne parle presque pas de ses idées mais essentiellement d'un mode de vie et d'une façon de penser, et tout ce qu'en dit Zweig est, à mon sens, à peu près anti-philologique, pour ce qu'il ne s'y rencontre guère de psychologie en dépit de ce pittoresque, de cet art de toucher, de ce pathétisme de croisade. On ressent une image, une impression ambitionnée, un ouvrage flatteur, l'aura plutôt abstraite d'un homme qui aurait été flibustier et dynamiteur, mené son existence à l'inverse d'une succession logique des âges, et enduré dans une écoeurante solitude le mépris lourd de ses contemporains. C'est peut-être vrai ; et c'est aussi sans doute une forme de métaphore. Il y a là-dedans à la fois le pélican qui se déchire les entrailles et le phénix qui renaît de ses cendres. C'est poétique et flatteur. Beaucoup de composition sympathique, toujours belle et souvent répétitive, avec un goût affiché pour le grandiose d'amour : ce chant explique les caractéristiques d'une lutte, mais il emprunte aussi sa tonalité à l'hymne de toutes les luttes, et je m'interroge si l'auteur n'a pas voulu par là même fuir la sienne propre. Car il me semble que Zweig est loin d'être Nietzsche, qu'il ne l'a effleuré qu'en modèle de granite, avec son piédestal et sa coloration minérale ; or, on devient Nietzsche par définition si on le comprend.
Parler ainsi de Nietzsche, c'est aussi selon moi, étonnamment, le mettre à distance. Cet ouvrage est à la fois un au-delà et un en-deçà du séide, du disciple, de successeur ; Zweig feint seulement le voeu de fidélité, mais il compose comme on brode sur un canevas ; c'est nettement un éloge pour le retrait, comme un devoir rendu entre deux oeuvres et après quoi l'on passe à autre chose, quoique avec tous les aspects persuasifs de l'amitié et de l'admiration de bon aloi. On n'entendra pas cela, cette nuance que je formule, il faut un suprême regard pour le percevoir. J'admire Nietzsche, comme on sait, et tout admirateur que je suis, si je contemple sa littérature avec intérêt, je sais observer sa vie avec raison, parce que c'est ce qu'il aurait voulu, cette grande propreté. le peu de correspondance que j'ai lue de lui et destinée à ses amis n'est pas d'un homme agréable mais d'un dominateur avant même d'avoir écrit son oeuvre – il avait sans doute ses raisons –, n'empêche, on distingue que ce qu'il croit – non pas ce qu'il sait, je dis bien : ce qu'il croit – il le tenait déjà pour des dogmes qu'il imposait autour de lui comme les directives d'un enfant gâté et avec ce ton d'autorité qu'il imite des professeurs et qu'il suppose lui conférer un air d'audace et une allure dont il n'a sans doute pas encore ni le regard ni les épaules (je ne nuis guère à son image en écrivant ceci : c'est ce qu'il écrivit lui-même au sujet du style de son Origine de la tragédie). Également, Nietzsche, au moins du temps de Bâle, adorait tous l'apparat et la présence avantageuse des sommités qui le confortaient dans des séductions mondaines, luxe et femmes décoratifs : c'est patent dans ses lettres, à travers ses vantardises toujours empressées et qui tombent bizarrement au milieu des expression d'amitiés les plus chaleureuses, façons de se targuer de ses croissants statuts, comme si ce pouvoir-là était une preuve de puissance sur des rivaux qu'il faudrait ravaler. Enfin, je m'interroge si, sentimentalement parlant, Nietzsche n'était pas l'homme le plus immature dont j'eusse jamais entendu parler pour un penseur de cette trempe : il fait grand cas de la jouissance dans tous ses ouvrages, il se décrit en satyre et arbore sa gaîté immense et débordante de vitalité, mais il ne sait sempiternellement se servir de l'amour qu'à la manière d'un petit garçon timide, idéaliste et chevaleresque – c'est peut-être faute d'occasion ; qui sait ? Tous ces défauts, toutes ces sincérités-là, il faut aussi pouvoir les dire pour ne pas se contenter d'une hagiographie, d'une propagande, d'un exercice valorisant de louange opiniâtre et théorique, à dessein de déclarer son fait et de ne pas jouer uniquement le rôle obséquieux qu'on attend de celui qui se croit en charge de réaliser, à l'égard de figures déjà célébrées, son plus performant devoir de mémoire. Rien de plus impatientant, je trouve, que ce discours de Malraux chevrotant, que cet éloge funèbre à Jean Moulin truffé d'emphases inutiles et de creuses métaphores, et même que tous les éloges funèbres qui cachent autant qu'ils révèlent par principe et qui, en cela, sont des manières de faire-valoir du tribun lui-même plutôt que du défunt. Je ne prétends pas que Zweig soit insincère dans cet opus, mais il est indéniable qu'il se livre à une composition de style sur un thème imposé, ce que confirment incessamment des répétitions d'idées qui ne servent que pour l'imprégnation des effets et ne vont pas droit au but consistant en l'exacte transcription de l'essence d'une vie.
Et ce que j'abhorre probablement le plus dans nombre de discours sur Nietzsche, c'est la façon dont on instrumentalise sa folie pour toutes sortes d'extrapolations bizarres et artistiques : ici, Zweig prétend que c'est son enthousiasme poussé à une tension de dernière rigueur qui l'a plongé dans des délires de plus en plus purement tournés vers la provocation ; il s'agirait, en somme, d'une espèce de faute, d'une invagination de ses forces, d'un retournement contre lui-même de sa puissance créatrice, qui auraient fait craquer l'ultime corde de sa raison pressurée, et cette séduisante théorie présente l'avantage de discréditer une partie de la Volonté de puissance qui aurait largement consisté en un désir de choc notamment antisémite (j'écris « aurait » : je ne l'ai pas lu) mais… c'est à condition que Zweig eût pu se rendre compte, parce qu'il aurait été un philologue de talent, que c'était largement la soeur du philosophe qui l'avait écrit ! Tout ceci est certes joliment figuré, l'idée d'une contention mentale si lourde qu'elle conduit à un effondrement nerveux, mais ça ne vaut pas le prosaïsme froidement vérace des effets symptomatiques d'une leucoaraiose, la réalité n'est pas assez littéraire et poétique, cela manque de hauteur et d'abstraction. Mais c'est surtout psychologiquement superficiel, car contrairement à ce que croit Zweig sans y avoir réfléchi, la profonde solitude habituée ne produit point de ces déchirements qui rompent progressivement ou d'un coup les assises de la raison, seulement elle réalise une autre lucidité acclimatée aux silences et au mépris, en une logique plus vraisemblable et non illusionnée, parce que le propre de l'esprit est de poursuivre son existence, et aucun psychologue juste n'admettrait qu'un individu comme Nietzsche, avec tout son dédain supérieur et après tant d'années d'errance à travers l'Europe où il avait perdu jusqu'à l'usage d'espérer un « retour », ait pu se morfondre en rancunes rentrées au point de sombrer dans les excès défoulatoires, la désunion de lui-même et la folie névrotique. Pourtant Zweig se plaît à « entretenir le mythe », il lui faut une histoire à raconter plutôt que l'objectivité des faits, et je ne peux m'empêcher, régulièrement, de percevoir en ces enchaînements trop faits les fils insincères et tout l'entraînement de littérature de tradition que cela suppose.
Parce que c'est – je le répète – pour beaucoup un exercice de style que ce Nietzsche en martyr et en majesté : toute la beauté fluide des métaphores se déploie en arabesques d'une suprême élégance, en un surplomb à la fois maîtrisé et abandonné, prétexte au déroulement d'une humeur romantique, d'une couleur, d'un façonnage compassionnel. le portraitiste relève son sujet et se valorise lui-même dans sa manière. Mais Nietzsche n'était pas du tout un amateur de romantisme, et Zweig expose dès lors plutôt ses désirs projetés, ses visions de tendresse, ses fulgurances d'émoi, que la rigoureuse analyse d'une identité, c'est pourquoi l'oeuvre du mentor est presque tout à fait passée sous silence : pas assez efficace à produire une empathie, il faudrait a priori pour la résumer une structure moins virtuose, le danger d'une chronologie et la forme moins enlevée d'un système, et c'est un défi que Zweig n'a pas voulu ou pu relever, dont il se débarrasse en faisant admettre que Nietzsche « n'avait pas de doctrine figée », ce qui, je pense, peut se dire aussi bien de tout doctrinaire qu'on respecte ; alors, comment procède-t-il ? Il tire son inspiration (c'est bien d'inspiration qu'il s'agit) non de la vérité de la construction d'un être – exercice infiniment délicat qui réclamerait une énergie et une minutie considérables –, mais de thèmes successifs dont l'éloquence potentielle probablement le rassure d'emblée : presque chaque titre de ses onze parties, plutôt évident en lui-même, est propice à des développements galvanisants, et c'est une consolation de mener ainsi son exposé en contournant d'office tous les cheminements par trop explicatifs et rigides ; on a donc des « tableaux » réunis sous des appellations vastes et largement symboliques, des « domaines » que le sentiment de l'artiste a réussi à distinguer, et ces sujets servent à épancher une plume encrée de gratitude et d'envie, mais sans qu'on mesure si l'écrivain regarde plus en cet autre qu'il prétend d'écrire qu'en lui-même qu'il écarte et efface si peu.
Pourtant, paradoxalement, je crois que j'aurais pu écrire ce Nietzsche, oui, je l'aurais pu écrire précisément avant de l'avoir lu, et c'est seulement ensuite que, probablement, j'y aurais trouvé le défaut que je signale dans cet article où mes remarques négatives me découvrent assez injuste et vétilleux. J'aurais pu l'écrire, oui, j'aurais pu, avec tout cet attachement fervent pour le mot soigné, pour la tournure sensible, pour le phrasé pertinent où des ornements surprenants rendent des images de vive impression – et il y a même certainement des découvertes dans cette oeuvre : avais-je par exemple assez réfléchi que Nietzsche s'était peut-être lui-même détraqué la santé à force de s'administrer des potions ? ou avais-je déjà songé que cette idée d'« Éternel retour » dont on me rebat les oreilles chaque fois que je discute de Nietzsche, que cette idée qui me paraît toujours un propos de fiches de lectures, un truc appris par coeur et importé de manuel en manuel depuis je ne sais quel exégète docte et fumeux, que cette idée dont j'ai de la peine à retrouver non seulement la trace dans les textes originaux mais l'esprit, que cette idée, disais-je, pouvait bien en vérité provenir d'une confusion universitaire voire d'une erreur de traduction à partir du concept de « retour périodique en soi-même », de « retrait régulier vers son individu intérieur », en quoi ce retour ne signifierait rien d'autre que, après l'étude assidue et les efforts dialectiques, la nécessité de toujours se retrouver en soi-même, par intervalles fatidiques, pour réestimer sa propre valeur et reconstituer ses forces (mais Zweig ne l'explicite pas tant) ? Cette interprétation d'une pareille expression convient infiniment mieux à Nietzsche que cette sorte de mysticisme gluant qu'on en fit et qui confère au penseur une exception assez indigne à tous ses principes de franche et explicite rationalité – l'expression figure-t-elle surtout dans La Volonté de puissance ? Aurait-elle été assimilé au reste de son oeuvre avant qu'on découvre la falsification du « Lama » ? le si peu qu'on en trouve dans Zarathoustra ne m'a jamais fait l'effet de ce délire orientaliste et alambiqué, pour moi fort impatientant de religiosité et de sentimentalité emprunté qu'on m'en représente toujours.
Qu'est-ce à dire alors que mon intransigeance contre nature puisque de mon propre aveu j'aurais « pu écrire » ce Nietzsche ? J'aurais pu l'écrire, dis-je, et je n'en suis pas pleinement content ? C'est qu'il faut donc que je fasse violence – à moi-même !? Ah ! c'est certes une fois encore la preuve que je ne me suffis plus.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Plus jeune, j'ai beaucoup admiré Zweig. Pour son , épuré, élégant et précis, quoique concis. Et c'est sans doute une qualité, d'ailleurs, cette capacité à se montrer précis et éloquent en peu de mots. J'ai toujours trouvé que Zweig était également fin psychologue. Il a une sorte d'empathie qui lui permet de tomber juste quand il est question de sentiments ou d'introspection de ses personnages. Ce qui m'a toujours plu chez Zweig enfin, ce sont ses fins de romans. Jamais je n'ai lu un roman de Zweig qui se termine bien. Il avait le goût de la noirceur, du tragique, du malheur, d'une sorte de fatalité que l'homme doit accepter. Très loin des bons sentiments et des happy-end.

Pourtant, il m'avait semblé, il y a quelques années déjà, en avoir fait le tour.

Et je suis tombée sur ce livre par hasard: je cherchais un livre de Nietzsche, à vrai dire, et l'association de ces deux noms m'a séduite et a attisé ma curiosité. Un admirable qui écrit sur un incomparable, c'est la promesse, logiquement, de quelque chose d'extraordinaire.

Ce livre est difficilement catégorisable. L'éditeur (Stock) indique que c'est un « essai ». Dans la description, en quatrième de couverture, il précise « essai biographique » et « hommage ».

À moi, il semble que ce livre est plutôt un portrait libre de Nietzsche, avec ce que cela suppose de subjectivité de l'artiste qui le dépeint. Il s'agit donc d'un point de vue particulier sur la vie, la pensée et l'oeuvre de Nietzsche. le tout présenté par thèmes, comme autant de tableaux artistiques. Ce livre n'est pas un « essai biographique » au sens où la vie de Nietzsche n'est pas exposée par ordre chronologique, pas plus que sa philosophie n'est reprise ou vulgarisée par idée. Non, ce livre est d'une originalité rare. Il s'agit plutôt d'une description artistique et élégante d'un profil psychologique atypique et d'une intelligence hors normes.

Zweig permet à chaque lecteur de s'imprégner de Nietzsche d'une manière inédite et de le comprendre un peu. Au-delà de sa philosophie, presque: de savoir quel homme il était.

On y lit une grande empathie mais également toute l'estime qu'avait Zweig pour ce philosophe.

La vie de Nietzsche nous est présentée comme une tragédie. Sans décor ni personnages autres que lui-même. Une tragédie faite de solitude atroce, et de pensée pure qui ne rencontre aucune âme amie ni aucune résonance nulle part. Un gouffre, un vide implacable, un état d'isolement en soi-même qui ne connaît pas même d'adversaire à sa taille. Un esprit pur, et tout autour: le vide et le néant. Une grande lucidité impossible à partager, et l'enivrement que cette solitude d'âme engendre. Selon Zweig, Nietzsche est irrésistiblement entraîné par cette solitude profonde, trop différent du commun. le seul permis le troupeau.

Nietzsche, c'est aussi un corps. Une silhouette voûtée de sombres pensées. Un visage puissant, aux muscles tendus de volonté, de santé, et de vigueur. Une attitude courtoise, discrète, une aimable indifférence d'apparence. C'est un corps qui n'absorbe ni alcool, ni café par souci de santé, et qui paradoxalement gobe des somnifères à l'excès, le sommeil étant réservé aux gens qui ne pensent pas. C'est un corps qui souffre de migraines et d'autres maux. C'est un corps qui n'est jamais touché ni caressé par une main amie. Et ce corps malade, douloureux, sensible et seul n'aura de cesse de chercher la guérison. Traquant le moindre indice de maladie, tentant de se soigner seul. Nietzsche était un hypocondriaque méthodique, selon Zweig, surveillant son régime et le climat. Pourtant, ses maladies lui sont sacrées. La souffrance lui permettant de recouvrer la santé, de jouir de sa pleine vitalité à nouveau, de renaître à chaque fois, ivre de son rétablissement et de sa puissance.

Nietzsche est décrit par Zweig comme un Don Juan de la pensée, jamais rassasié par l'idée qu'il vient de soumettre, de faire sienne, et ne trouvant d'extase que dans la conquête d'une pensée nouvelle et vierge, négligeant tout à fait celle qui lui est déjà acquise. Et cette métaphore, je l'ai trouvé splendide. Elle dit tant de ce fonctionnement hors normes: Nietzsche ne s'est jamais contenté d'entretenir une pensée, de se reposer sur elle comme un acquis, d'être fidèle à une idée conquise. Jamais! Aussitôt qu'il la savait sienne, elle n'existait plus et il partait en quête d'une plus élevée.

Nietzsche est aussi esclave de vérité, la traquant, lui sacrifiant tout. Il renonce à chaque plaisir terrestre au profit de la saine vérité. La vérité comme une fin et un moyen. La vérité comme unique but, comme seule maîtresse et amie.

Nietzsche, le penseur qui ne sera ainsi jamais fidèle à ses propres convictions antérieures, n'ayant aucune doctrine définitive, ne connaît que des transitions. Une vérité venant en balayer une autre. Et il éprouve l'obligation de se détruire entièrement pour se reconstruire sur cette idée nouvelle, plus grande et plus éclatante. Ainsi, Nietzsche n'aura pas été un, mais une multitude d'individus subissant sans cesse de brutales transformations à mesure qu'il développait une pensée inédite.

Nietzsche était un Homme sans patrie, sans foyer, sans attaches, sans passé, sans regrets, sans religion, sans morale, sans nostalgie. Ainsi, il était un philosophe est libre. Il était la liberté par excellence, refusant chaque chaîne, chaque entrave à l'élévation de sa pensée .

Sa seule faiblesse, son unique divertissement selon Zweig , son seul repos, était la musique. Elle le transporte, le bouleverse et l'apaise tout à la fois. Elle est son poison et son remède. La musique est, pour ainsi dire, le seul abandon qu'il s'autorise.

Et son art à lui est musique également. Son est comparé une symphonie, à une partition travaillée, à une oeuvre esthétique et splendide.

Enfin, j'ai réalisé une chose très importante en lisant ce livre. J'ai eu comme une révélation d'une idée que je soupçonnais déjà en loin, mais qui m'est apparue comme une certitude soudain: la bêtise et l'ignorance n'ont peut-être rien de contemporain. Nietzsche était seul, si seul déjà. de tous temps peut-être, les traqueurs de vérités et les esprits qui remettaient en cause la morale et le commun ont été perçus comme des espèces de monstres non seulement, mais surtout ces intelligences, toujours, n'ont trouvé que des murs infranchissables en réponse à leurs idées. Ainsi, Nietzsche n'était ni écouté ni lu. Ses contemporains, si inférieurs, n'ont donné aucun crédit à son génie. Il leur était bien trop haut pour leur être accessible.

Nietzsche n'aspirait même pas à être applaudi ni admiré. Il aurait voulu ne serait-ce qu'une réaction: qu'on le contredise, qu'on juge son , mais qu'on réagisse à ses livres! Qu'enfin, quelqu'un lui apporte une preuve d'humanité! Hélas, ne reçut que des silences assourdissants en échange de ses écrits.

Ce livre est un exercice de . Une oeuvre faite pour être belle, somptueuse, délicate. À la manière d'un peintre qui aurait choisi le modèle, l'éclairage, le décor. N'importe si le portrait est juste (il est automatiquement biaisé par le point de vue de Zweig), c'est beau. Ce portrait est une oeuvre d'art... comme Nietzsche était, à lui seul et par sa singularité et sa grandeur d'esprit, une oeuvre d'art.

Si vous connaissez Nietzsche, ce livre ne vous apprendra rien. Pourtant, il suffit d'être sensible à cette forme de prose poétique. Sensible à la manière dont on regarderait un portrait d'une personne connue: l'émotion peut malgré tout venir, provoquée par la patte de l'artiste.

Ce livre est un poème de cent-cinquante pages à la gloire de Nietzsche.

Nietzsche comme n'étant pas tout à fait homme. Ou bien, comme étant le seul homme.

Et il est difficile, après la lecture de cette oeuvre, de ne pas se sentir un peu fasciné par Nietzsche.
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La légèreté, c'est le dernier amour de Nietzsche, sa plus haute mesure de toutes les choses. Ce qui rend léger et qui donne la santé est bon : dans la nourriture, dans l'esprit, dans l'air, dans le soleil, dans le paysage, dans la musique. Ce qui permet de s'élever, ce qui aide à oublier la lourdeur et l'obscurité de la vie, la laideur de la vérité, cela seul est une source de grâce.

"la vie sans musique est simplement une fatigue, une erreur".
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De la quatrième partie de Zarathoustra, imprimée à ses frais, il ne fait tirer que quarante exemplaires, et il ne voit, parmi les soixante-dix millions d'habitants de l'Allemagne, que sept personnes à qui il puisse l'envoyer, tellement, à l'apogée de son œuvre, il est devenu étranger, inaccessiblement étranger à son époque.
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C'est pourquoi il faut que l'on renonce enfin, une fois pour toutes, à ces questions de maître d'école : "Que voulait Nietzsche ? Que pensait Nietzsche ? Vers quel système, quelle philosophie tendait-il ?" Nietzsche ne voulait rien : il y a simplement en lui une passion excessive de la vérité - passion qui jouit d'elle même. Elle ne connaît aucune finalité ; Nietzsche ne pense pas pour améliorer ou instruire l'univers, ni pour l'apaiser ou pour s'apaiser lui-même : son extatique ivresse de pensée est une fin en soi, une jouissance qui se suffit à elle même [...], comme toute passion démoniaque.
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"On me comprendra après la prochaine guerre européenne." Cette phrases prophétique se trouve au milieu des des derniers écrits de Nietzsche. Et, effectivement, on ne saisit le sens véritable des paroles du grand avertisseur, la nécessité historique qu'il exprime que par la situation de tension, d'incertitude et de dangers de notre univers au tournant du siècle dernier : (...).
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« Après un appel comme était mon Zarathoustra, issu du plus intime de l’âme, ne pas entendre un seul mot de réponse, rien, rien, seulement la solitude muette multipliée – il y a là une inconcevable horreur, et le plus fort peut en périr », gémit-il un jour, tout en ajoutant : « Et je ne suis pas le plus fort. Il me semble parfois que je suis blessé à mort. » Mais il ne réclame pas des approbations, des applaudissements, la gloire – au contraire, rien ne conviendrait mieux à son tempérament guerrier que la colère, l’indignation, le mépris, oui, même la raillerie (« dans l’état de celui qui est comme un arc tendu à se rompre, tout effort est le bienvenu, pourvu qu’il soit violent ») ; il voudrait n’importe quelle réponse, brûlante ou glacée, ou même tiède, simplement quelque chose, n’importe quoi qui lui donnât une preuve de son existence, de sa vie spirituelle. Mais même ses amis laissent anxieusement de côté la réponse attendue et, dans leurs lettres, évitent toute opinion, comme quelque chose de pénible. Et c’est là la blessure qui le ronge toujours davantage, qui atteint sa fierté, enflamme son amour-propre, consume son âme, « la blessure de n’avoir aucune réponse ».
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Stefan Zweig, auteur à succès, se voulait citoyen d'un monde qu'unifiait une communauté de culture et de civilisation. Il n'a pas survécu à l'effondrement de ce «monde d'hier» qu'incarnait la Vienne impériale de sa jeunesse.
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