C’est difficile de répondre à cette question. Je porte mes scénarios très longtemps avant de commencer à les écrire, souvent plusieurs années ! Donc il n’y a pas vraiment de moment déclencheur, mais plutôt une accumulation de moments et d’envies dont je n’ai pas toujours conscience. Une scène vue dans la rue, un bout de film, l’émotion suscitée par une chanson, tout cela s’entasse, se mêle, infuse et finit par donner un assemblage intéressant… Ou pas ! Mais il y a quand même deux choses :
J’avais envie de dialogues, déjà. Ça ne se voit pas trop parce que j’ai commencé la BD par Anuki : La Guerre des poules, qui est une série muette, mais j’adore les dialogues et j’avais envie de me faire plaisir !
Ensuite, je me rends compte que j’écris beaucoup (tout le temps ?) sur l’absence, le manque. C’est un thème qui revient sans cesse et c’est évidemment très présent dans Supers.
Je dois reconnaître ne pas être un grand lecteur de comics de super héros. J’en ai dans ma bibliothèque bien sûr, et je suis un grand fan de certains, mais j’aime surtout des comics assez ‘à part’ dans la production : les BD d’Alan Moore, Arkham Asylum Madness, Kingdom Come… Le comics de super héros ‘mainstream’ ne me touche en général pas.
En un sens je le regrette : quand j’entends des amis parler avec passion des rebondissements de Civil War, de la trahison de Tony Stark… J’aimerais pouvoir partager ça. Il y a quelque chose de très intime, un rapport à l’enfance, à une enfance commune, qui m’est complètement étranger. Parce que je ne lisais pas ces BD-là quand j’étais plus jeune, parce que je n’ai pas grandi avec tout simplement.
Ceci dit, j’ai lu énormément de comics pendant l’écriture de Supers. Mon libraire préféré m`a fait des listes de ‘runs’ à avoir lu, d’arcs à ne pas manquer, j’ai lu des comics d’un peu toutes les époques et un peu tous les styles… C’était souvent la purge pour moi (mais bon, il y a pire métier que de devoir lire des livres !). En fait, j’aime l’idée du super héros, mais je suis souvent déçu de la réalisation. Parce que ce qui m’intéresse, ce sont les personnages, leurs émotions, leur vie intime et que ce sont souvent des éléments sous-traités, ou traités par-dessus la jambe, au profit des scènes d’action. Supers est d’ailleurs assez pauvre en scènes spectaculaires, c’est un récit plutôt intimiste.
Quant à la question des influences en général, c’est toujours compliqué à savoir. Je n’intellectualise pas mon écriture. D’une part parce que ça ne m’intéresse pas plus que ça de me regarder le nombril, mais aussi parce que j’ai peur, si je me mets à suranalyser mon travail de casser quelque chose. Ensuite, quand je me rends compte qu’un texte ou un scénario a été influencé par une lecture, un tableau, etc. c’est souvent beaucoup plus tard. Je n’ai réalisé l’influence de certaines lectures d’enfance qu’en relisant à mon fils une histoire que je n’avais pas touchée depuis plus de 25 ans.
Je pense que les enfants acceptent plutôt plus la différence que les adultes, tout du moins quand ils sont jeunes. Par contre, leur comportement est moins policé, plus directement violent, physiquement ou verbalement.
Ceci dit, les héros de supers ne sont pas rejetés parce qu’ils sont différents. Quand Mat arrive dans son école il semble être comme les autres, c’est juste que c’est un ‘nouveau’ et il ne subit que ce que chaque ‘nouveau’ subit. Je crois que la plupart des jeunes se sont retrouvés dans ce genre de situation.
Le rapport à la différence, il est interne, chez les Supers. Mat veut être comme les autres, avoir des copains, une copine. Il veut être normal. De toutes ses forces. Mais c’est ce que souhaitent tous les adolescents dans le fond. (Il y en a quelques-uns qui souhaiteraient aussi avoir des super pouvoirs, mais c’est plus dur dans la vraie vie !)
En fait, je pense que le livre aurait pu sortir à n’importe quel moment, il serait rentré en résonnance avec des questions similaires. L’identité, la différence, l’intégration, c’est une actualité qui est toujours là. Mais au-delà de l’actualité, ce sont aussi des questions intimes, partagées par tous les jeunes, particulièrement les préadolescents et les adolescents.
Comme dans Anuki, j’essaie d’aborder des thèmes qui font le quotidien de la vie des enfants, l’amitié, l’ouverture à l’autre, la différence, etc. Mais je n’essaie pas de faire la morale, même si j’espère que les valeurs que je défends transparaissent.
Non, je ne crois pas. Ce sont des thématiques universelles.
Si un sujet touche les enfants dans la vraie vie, non seulement on peut, mais on doit le traiter
C’est un peu bateau, mais ce n’est pas tant le sujet qui importe que le traitement qu’on en fait. Avec le bon traitement, je pense qu’on peut parler d’à peu près n’importe quoi, tant que les enfants peuvent se raccrocher au sujet bien sûr. Je ne suis pas sûr qu’un traité sur la crise des subprimes pour les 3-4 ans soit une bonne idée !
S’il y a quelque chose de transversal dans mon écriture, c’est mon travail sur le rythme. Je crois que c’est ce qu’on peut retrouver dans tous mes albums, quels que soient leur forme ou leur public.
Sur une BD comme Supers, il y a un gros gros travail de structure. Ce n’est pas la même énergie que pour un livre pour les tout-petits, c’est un travail plus technique, de plus longue haleine. Par contre ce n’est pas très différent du travail que je fais sur une BD comme Anuki, hormis les dialogues bien sûr.
Quand je travaille pour les tout-petits, comme les livres que j’ai faits pour Petit Père Castors, c’est effectivement très différent dans les sensations d’écriture.
Ce sont des livres qui tiennent de la forme poétique courte. J’essaie de capter un sentiment, une impression d’enfance, de saisir entre mes doigts quelque chose d’assez impalpable qui m’échappe souvent pendant longtemps. Jusqu’au moment où… Ça y est ! C’est une écriture du surgissement, assez intense. Vu de l’extérieur, je tourne en rond, je saute sur place, je passe du canapé, à la cuisine, à mon lit, au canapé et je recommence. Mon plus jeune fils m’observe à distance, comme si j’étais le sujet d’un documentaire animalier. Le plus grand, lui, a déjà accepté l’idée que son père est à moitié dingo.
Non, c’était notre première collaboration, on ne s’était même jamais vu avant d’avoir fini le dossier de la BD (il faut dire que nous vivons à 500 km de distance, heureusement qu’il y a internet !) Et ça s’est passé très bien ! Ce n’est jamais évident de commencer une nouvelle collaboration, il faut apprendre à se connaître, s’apprivoiser... Et c’est un vrai bonheur de travailler avec lui.
Pour mes collaborations, je n’ai pas de ‘méthode’ qui soit tout le temps la même, j’essaie de discuter avec le dessinateur sur la manière dont nous pouvons travailler ensemble. Parfois je découpe mon récit de manière très détaillée, parfois moins, c’est au cas par cas. Dawid a préféré travailler à partir de la continuité dialoguée, c’est-à-dire la totalité des dialogues de l’album, avec des indications de mise en scène et des didascalies. À partir de là, il fait un premier story-board que nous reprenons ensemble. Puis viennent le crayonné, l’encrage, la mise en couleur. À chaque étape nous discutons, on change des détails, parfois plus que des détails d’ailleurs ! Et je peaufine les dialogues jusqu’au dernier moment.
Pas du tout ! J’adore les collaborations, j’aime les discussions, j’aime découvrir les surprises que Dawid glisse dans ses images, la vie qu’il arrive à insuffler par des tas de petits détails auxquels je n’aurai pas pensé. Et, d’une manière générale, j’aime la richesse qui nait d’un travail à deux, donc je n’ai vraiment aucune envie de faire une BD ou un livre illustré tout seul.
Et puis aussi, je dessine comme une patate alors je n’ai pas tellement le choix.
C’est le manuel de mathématiques « Déclic Première S » de chez Hachette.
Je passais le CAPES de maths, j’écrivais depuis déjà un certain temps, principalement pour la troupe de café théâtre de mon université et j’avais envie de faire de la BD et de la littérature jeunesse, mais sans que ce soit réellement sérieux. Et là, le jour de l’oral du concours, à Paris, mon sujet en main, alors que je dois préparer une leçon sur les suites arithmétiques et géométriques (comme quoi, ça marque !) et que c’est ma dernière épreuve avant (peut-être) de devenir prof… Je reste bloqué devant la porte de la salle. Devant moi, les manuels de maths de tous les éditeurs et de tous les niveaux, empilés sur des tables se transforment en buildings, j`erre entre les tables, perdu dans une ville inconnue, prends un livre au hasard et me dis : Mais qu’est-ce que je fais ici ? Je ne veux pas être prof, je veux écrire des livres pour les enfants...
Je ne vous cache pas que l’oral ne s’est pas très bien passé.
Aucun, heureusement ! Qu’ils soient réussis ou ratés, bancals ou méticuleusement ajustés, tous les livres, et plus généralement toutes les formes de fictions me donnent envie d’écrire. Que ce soit parce que je me dis : « je ne saurais jamais faire ça ! » ou au contraire parce que « je pourrais faire mieux ! »
Si je devais citer un auteur qui m’a particulièrement touché, je dirais Romain Gary. Je me souviens encore du moment où j’ai refermé La Promesse de l`aube. C’était un matin, au petit déjeuner, au bord de la mer. J’avais les yeux embués et essayais de garder une certaine contenance sans guère y parvenir. Pourtant, je connaissais l’histoire, je savais comment ça finissait… Mais quand même…
Vous posez des questions vachement compliquées ! Une lecture en classe sans doute… Ah,oui : « Des souris et des hommes » de Steinbeck. L’histoire de deux ouvriers agricoles, dont le plus grand est à moitié débile et n’aime que caresser les souris mortes. Ça avait l’air chiant comme bouquin… En tout cas, c’est ce que je croyais avant de commencer !
En littérature jeunesse, c’est L’encadreur de rêves de Guy Vianney et Fantastique Maître Renard de Roald Dahl. Je lisais ces livres en boucle quand j’avais 8 ans. Je vivais à la campagne, il y avait bien un bibliobus qui passait de temps en temps, mais je n’étais pas franchement noyé sous les nouveautés ! Alors quand j’en avais fini un, je recommençais l’autre.
Plus grand je pense que c’est Dune, la genèse, Tome 1 : La guerre des machines de Frank Herbert. Quand j’étais gamin, j’étais fasciné par ce livre énorme qui tenait à peine dans la petite bibliothèque de l’étage. Je savais que c’était un livre de science-fiction, que mon père l’avait adoré… et qu’il était dans la bibliothèque des livres ‘pas pour moi’ ! Et puis cette couverture argentée psychédélique… Je l’ai lu pour la première fois quand j’avais 12 ans et j’ai dû le relire 8 fois avant ma majorité. Maintenant il est dans ma bibliothèque, il ne faut pas dire à mon père que je le lui ai piqué.
Ouh là, c’est le confessionnal ! Je dois dire que je n’ai pas tellement de honte à ne pas avoir lu tel ou tel livre, mais puisqu’il faut avouer allons-y !
Tout d’abord en BD, j’ai honte de ne pas avoir lu le dernier tome de Blast de Manu Larcenet. Je l’ai acheté le jour de la sortie, il est bien en évidence dans ma bibliothèque et je suis sûr que c’est un chef d’œuvre, mais je ne l’ai toujours pas lu... presque 2 ans après !
Hors BD j’ai (un peu) honte de ne pas avoir lu l’exemplaire d’Algebra que ma mère avait été chercher dans un carton poussiéreux quand j’ai commencé mes études de maths
J’ai (moyennement) honte de ne pas avoir lu Les Regrets de Joachim Du Bellay alors que c’était l’oeuvre que je devais présenter au bac de français
J’ai (pas du tout) honte de ne pas avoir lu Passion ovale de Daniel Herrero dont la lecture a pourtant été le passage obligé pour que ma femme soit acceptée dans la famille !
Hmm… En BD adulte, je dirai Balade balade de Alain Kokor. Ce n’est sans doute pas exactement un livre méconnu, mais tant qu’il ne s’en sera pas vendu un million d’exemplaires, ce ne sera pas assez !
En BD jeunesse, je vais dire Nora de Léa Mazé. Et je ne dis pas ça parce que c’est édité chez les éditions de la gouttière ! J’allais dire « c’est un super premier livre », mais c’est une bêtise de dire ça. C’est un super livre tout court. Et comme je ne sais pas parler des livres que j’aime je vous laisse la critique de mon fils, Nicolas, 11 ans : « C’est très beau, j’ai vraiment beaucoup aimé »
Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. C’est pour cela que j’en ai fait une version bien supérieure à l’originale pour les plus jeunes ! Blague à part (oui, parce que c’était une blague, j’aime beaucoup les trois mousquetaires) je préfère dire du bien des choses que j’aime. Alors allez donc lire les trois mousquetaires tiens !
En BD je viens de lire Les beaux étés : Tome 1, Cap au Sud de Zidrou et Jordi Lafebre. C’est beau, c’est plein d’humanité, j’adore ce genre de bouquin.
En littérature, c’est plus compliqué je pense que je n’ai terminé aucun des 10 derniers romans que j’ai entamés. Il y a des périodes comme ça… Le dernier que j’ai fini doit être Sommeil de Haruki Murakami. Mais bon, il doit faire 80 pages, si je n’avais pas fini celui-là, je n’aurai eu aucune excuse !
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