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Laetitia Devaux (Traducteur)
EAN : 9782073022424
Joëlle Losfeld (07/09/2023)
3.81/5   94 notes
Résumé :
Tom Kettle, un inspecteur de police fraîchement retraité, coule des jours tranquilles à Dalkey, une petite station balnéaire de la banlieue dublinoise. Il a pour seule compagnie ses voisins et le souvenir encore vif de ses proches : sa femme, June, mais aussi sa fille et son fils, Winnie et Joseph, tous prématurément disparus.
Lorsque d’anciens collègues viennent frapper à sa porte pour lui demander son aide dans une vieille affaire d’abus sexuels au sein de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (27) Voir plus Ajouter une critique
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°°° Rentrée littéraire 2023 # 39 °°°

L'ouverture du roman place le lecteur sur le terrain familier d'un polar. On fait la connaissance d'un détective fraichement retraité, Tom Kettle, vivant à l'écart dans un manoir irlandais dont il loue un appartement ; puis de deux détectives en activité qui viennent demander son aide dans le cadre d'un cold case réouvert.

« Cette visite l'avait déstabilisé, troublé, terrifié. Oui, terrifié. Leurs révélations étaient un acte de terreur. (…) le contenu de ces dossiers lui sautait à la gorge avant même qu'il puisse les consulter. »
Mais ce n'est qu'une feinte. Très rapidement, on se rend compte que derrière la troisième personne se cache le point de vue de Tom Kettle. Avec une maestria évidente qui ne craint pas la complexité narrative, Sebastian Barry fait glisser latéralement tout le récit sur ce guide peu fiable, ravagé par d'insupportables traumatismes, à la mémoire friable. Il distille les révélations attendues sur un élastique narratif très laxe, retardant leurs divulgations au maximum.

Tout doucement, on est conduit dans le monde de Tom, ses digressions, ses retours sur le passé, sur un fil instable avec comme seul guide conducteur l'immense amour qu'il portait à son épouse décédée. Son esprit semble en permanence à la dérive entre passé et présent, réel et imaginaire. L'écriture élégante de l'auteur frôle le courant de conscience de Tom alors que ce dernier lutte pour suivre ou éviter ses propres pensées.

Sebastian Barry ne lâche pas pour autant sa trame enquête. On saura en temps voulu tous les tenants et aboutissants du cold case présenté dans le prologue. Mais très clairement, ce magnifique roman va bien au-delà. Son vrai sujet est l'impact d'un traumatisme sur la mémoire, entre déni et honte, puis sa transmission sur les générations suivantes.

Les fantômes de Tom sont très présents et rejoignent les fantômes de l'Irlande depuis la révélation, dans les années 1990, du scandale des abus sexuels commis par des prêtres sur des enfants, dissimulés par l'Eglise catholique. J'ai rarement lu des passages aussi puissants sur l'enfance maltraitée :

« Toutes ces âmes éteintes, plongées comme une bougie dans une mer de luxure. Un océan de luxure recouvrant une lueur qui ne longerait plus jamais le sein brillant de la terre pour éclore de nouveau telle une marguerite, une marguerite au coeur jaune vif, ce soleil d'un nouveau matin. Eteintes et oubliées. »

L'épigraphe est tirée du Livre de Job, un homme juste qui réagit à des épreuves difficiles en restant fidèle à ses valeurs. A mesure qu'il avance, ce majestueux roman devient de plus en plus déchirant, questionnant inlassablement les notions de rédemption, expiation, justice et morale. Il le fait avec une grave compassion et une rage feutrée mais nette.

Malgré la noirceur des propos et la brutalité de certaines scènes, ce magistral roman est illuminé par la seule grâce d'une écriture à l'immense pouvoir d'évocation, par la présence enjoué de Tom ( quel humour ) ainsi que par un hommage à l'amour éternel et sa capacité à éclairer l'obscurité. Assurément splendide.


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En Irlande, il n'y a pas que le temps qui pleure.
Un ancien flic profite d'une retraite pépère et méritée dans une station balnéaire. Comme les côtes de la mer d'Irlande n'ont pas grand-chose à voir avec celles de la Floride ou de la côte d'azur, il fréquente davantage les fantômes et les cormorans que les casinos et les chihuahuas à sa mémère. Veuf, l'homme a également perdu ses deux enfants et il n'aspire qu'à se passer en boucle les vieux disques de ses souvenirs heureux. Ses défunts lui tiennent compagnie et sa réalité se limite à quelques rencontres fortuites avec son propriétaire et quelques voisins.
Les drames qui ont émaillé son existence remontent à la surface et polluent l'écume de sa plage déserte quand de jeunes enquêteurs le contactent sur une vieille affaire de prêtres pédophiles. Tom Kettle a été lui-même abusé dans un orphelinat et sa défunte épouse a elle-même été victime d'un certain Père Matthews dont le corps a été retrouvé dans une montagne. Les soupçons pèsent sur l'ancien flic qui peu à peu, exhume son passé douloureux.
J'ai trouvé le roman de Sébastian Barry d'une puissance rare et d'un style aussi perturbant qu'envoutant. le sujet est difficile et âpre mais l'auteur fait prévaloir la mémoire sur le polar. Alors que la plupart des romanciers auraient fait le choix d'un récit centré sur l'évocation des scandales de pédophilie dans certains orphelinats d'Irlande qui ont défrayé la chronique il y a quelques années, le choix de confiner la narration dans l'esprit du flic permet de révéler toutes les fêlures psychologiques qui résultent de ces crimes.
J'ai été bluffé par cette capacité de l'auteur à structurer sa prose comme une lutte intérieure, presque inconsciente comme une écriture de résistance, qui se traduit par des passages où le récit chevauche la réalité, le rêve ou l'hallucination dans une même page. Je me suis parfois perdu dans le récit car le narrateur a la mémoire qui flanche et un Alzheimer à la carte mais il grappine le lecteur dans l'ascension complexe de cette histoire grâce à son fil de survie : l'amour pour sa femme.
Ce n'est pas la comédie de l'année, difficile de faire une petite place à l'humour devant une telle accumulation de drames sur un seul personnage (c'est même un peu trop pour être crédible !) mais cette lecture n'est pas dépressive. Bon, évitez seulement d'avoir une corde ou une falaise à proximité, de lire ce magnifique livre par temps pluvieux en automne et gardez le numéro de votre psy à proximité.
Dans les lacs du Connemara, si on écoute Sardou le sardonique, autour des lacs, c'est pour les vivants. Chez Sebastian Barry, en bord de mer, c'est plutôt pour les morts.
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Guerre de Sécession, Grande Guerre, main mise de l'Église catholique sur l'Irlande nouvellement indépendante : chaque livre de Sebastian Barry apporte sa pierre à la fresque irlandaise que l'auteur bâtit peu à peu autour de deux familles, les Dunne et les McNulty. Il fait cette fois un pas de côté, n'accordant qu'un rôle secondaire à une Miss McNulty qui fuit son mari pour protéger son fils, et centrant son roman sur Tom, un policier dublinois fraîchement retraité venu lui aussi s'établir dans cette petite ville côtière proche de la capitale, et que le passé, ce « bon vieux temps de Dieu » qui fermait les yeux sur les abus sexuels commis sur des enfants par le clergé irlandais, revient tourmenter.


A 66 ans comme l'auteur, cet homme pour qui les violences, pourtant terribles, rencontrées dans son métier n'ont jamais pu oblitérer celles subies dans son enfance au pensionnat religieux, se retrouve face au vide que, depuis sa retraite, l'activité professionnelle ne remplit plus. Pour ne pas laisser la part sombre de sa mémoire prendre le dessus, calé dans son fauteuil d'osier et la fumée de ses cigarillos face à la capricieuse mer d'Irlande, il s'abîme dans ses seuls meilleurs souvenirs, convoquant volontiers les fantômes de ceux qui firent son bonheur, son épouse June – morte suicidée – et ses deux enfants – décédés à l'âge adulte. Mais le déni le plus résolu ne suffira bientôt plus à le protéger. Ses anciens collègues policiers viennent d'exhumer un dossier remontant aux années 1960 et étouffé depuis trente ans. L'enquête s'intéresse aux abus sexuels perpétrés par deux prêtres dont l'un fut sauvagement assassiné. Et elle vient toquer jusqu'à sa porte.


« S'il s'écoule suffisamment de temps», s'était-il efforcé de se convaincre, « au bout d'un moment, c'est comme si les choses anciennes n'avaient jamais existé. Des choses autrefois fraîches, soudaines et terribles qui finissaient par se dissiper dans ce bon vieux temps de Dieu, comme ces promeneurs qui s'avancent si loin sur Killiney Strand que, lorsqu'on regarde, au bout d'un moment, ils ne forment plus qu'une tache noire avant de disparaître. » Et voilà que soudain, bousculé et terrifié, il est renvoyé à « des ténèbres pleines de crasse et de violence. » « A nouveau, toute cette humiliation. » Extirpé en même temps que Tom des rêves éveillés qui repeignaient la réalité aux couleurs des fantasmes du bonheur, le lecteur se retrouve au coeur du souvenir traumatique, douloureux et confus, affolé de se voir débusqué après avoir si longtemps joué la diversion.


Tom, le garçonnet violenté. June, la fillette abusée. Et tant d'autres dans ces orphelinats catholiques de l'époque, condamnés leur vie durant à porter seuls et en secret le poids de leur humiliation et de leurs souffrances par le déni d'une société corsetée par la toute puissance morale d'un clergé intouchable. Une telle impunité a ici appelé au meurtre. Un acte impensable, et pourtant le seul que le justicier ait trouvé, pour se venger ou pour mettre un terme à la liste sinon toujours croissante des victimes. Car, en ces années 1990 encore, la chape du silence continue à peser, au sein de l'Église catholique mais aussi des familles, les victimes à ce point sans recours que rien n'est par exemple prévu pour les protéger d'un père incestueux. Crime ou suicide : ce sont finalement les seules issues laissées aux malheureux qui ne veulent ou ne peuvent poursuivre leur vie comme si de rien n'était.


Un texte troublant et bouleversant, qui, tout en ambiguïté, tourne avec son personnage autour du non-dit et du déni dans l'effort désespéré de ne pas sombrer d'horreur. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Écrire beau.

Deuxième incursion chez Sebastian Barry avec Au bon vieux temps de Dieu (traduit par Laetitia Devaux) et même sentiment de « me sentir bien dans ma lecture ». Au point, une fois n'est pas coutume, de prendre mon temps pour avaler ce court mais dense roman.

Récemment retraité de la Garda Síochána, la police nationale irlandaise, Tom Kettle vit sans vraiment vivre, dans le souvenir de sa famille disparue : Winnie sa fille, morte ; Joseph son fils, assassiné ; et June, sa femme tant aimée, dont le seul défaut fut de mourir trop tôt.

« Tout ça, c'était avant June : pas avant et après J.-C., mais avant et après June. »

Tourmenté de la vie, cherchant la force de continuer malgré tout, Tom est un être complexe qui se pose sans cesse mille questions sur son passé et son histoire, ses actions ou absences d'actions, ses omissions et petites compromissions. Sans que cela n'y change rien. Jusqu'à ce que…

Jusqu'à ce que son ancien chef le sollicite pour un court retour aux affaires destiné à faire tomber des prêtres pédophiles longtemps impunis. Mais loin de l'apaiser, cette mission replonge Tom dans les tourments de son passé.

Au bon vieux temps de Dieu est un régal de lecture tellement la langue est belle. Une écriture dense, resserrée qui convient parfaitement au rythme volontairement lent de Barry, ponctué de digressions comme autant de fulgurances resurgies dans la tête de Tom. Mais aussi de quelques aphorismes délectables jetés ci-et-là.

« Ils étaient d'humeur à ne parler de rien, mais à parler de rien aussi bien que possible, ce qu'ils firent. »

Amateurs de pageturner et d'intrigues addictives, passez votre chemin. Mais pour tous ceux qui « lisent beau », c'est un régal !

« Au bout d'un moment, c'est comme si les choses anciennes n'avaient jamais existé. Des choses autrefois fraîches, soudaines et terribles, qui finissaient par se dissiper dans ce bon vieux temps de Dieu… »
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Aux éditions Joëlle Losfeld, on aborde parfois le genre policier avec un certain bonheur comme à la lecture des romans de Richard Morgiève nous entraînant du côté de l'Utah avec le Cherokee (Joëlle Losfeld 2019) ou du Texas avec Cimetière D'Etoiles (Joëlle Losfeld 2021) au gré de récits d'une intensité peu commune qui pourront déconcerter certains lecteurs de polars qui n'apprécieraient pas d'être un peu bousculé. Cette intensité on la retrouve sans nul doute chez Sebastian Barry, romancier irlandais, mais également dramaturge et poète qui aborde dans son dernier roman Au Bon Vieux Temps de Dieu, le thème de la pédophilie des prêtes en Irlande avec un récit aux allures de roman policier se concentrant autour des souvenirs défaillants d'un policier retraité qui se voit contraint de se remémorer son passé à son corps défendant. Récipiendaire à deux reprises du Costa Book Award, prix prestigieux distinguant les grands auteurs du Royaume Uni comme Salman Rushdie ou Philipp Pullman, Sebastian Barry se distingue dans son écriture de haute volée avec un texte au lyrisme envoûtant, nécessitant une attention particulière pour appréhender la densité de la personnalité de Tom Kettle qui nous entraîne dans les méandres échevelés de ses pensées.

C'est du côté de Dalkey, petit village côtier situé à la périphérie de Dublin, que Tom Kettle a choisi de passer sa retraite en emménageant dans la modeste annexe de Queenstown Castel que le propriétaire, Mr Tomelty, a divisé en plusieurs logements. Ayant perdu sa femme June ainsi que ses deux enfants Winnie et Joseph et hormis ses voisins qu'il croise de temps à autre, cet ancien policier décline sa solitude en contemplant la mer et la faune depuis son fauteuil en rotin délavé. Engoncé dans ses souvenirs, Tom Kettle ne s'attendait pas à la visite de deux policiers venus lui demander son avis sur un ancien dossier d'abus sexuel au sein de l'Eglise en faisant ressurgir ainsi un passé douloureux qu'il tente d'occulter ce d'autant plus que l'affaire a été enterrée. Mais difficile d'effacer les années de maltraitance des prêtre de l'orphelinat et surtout les viols successifs dont June a été victime lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Et ce nom du bourreau qui revient sans cesse : le père Matthews dont on a retrouvé le corps dans les landes. Et tandis qu'un témoin affirme qu'il était présent aux abords des lieux du crime, Tom Kettle passe soudainement du statut de consultant au rôle de suspect.

Avec Au Bon Vieux Temps de Dieu il n'y aura pas à proprement parler d'enquête policière mais une plongée assez immersive dans les pensées de Tom Kettle se remémorant, d'une manière quelque peu chaotique, le courant de sa vie déclinante au seuil de la vieillesse, en convoquant quelques fantômes qui semblent l'accompagner en permanence. Situé à la période des années 90, au moment où une commission d'enquête faisait la lumière sur la situation endémique des abus sexuels au sein des institution catholiques du pays, Sebastian Barry aborde donc ce sujet sensible avec une délicatesse saisissante, en évoquant plus particulièrement cette loi du silence qui protégea les diocèses durant tant d'années ainsi que les meurtrissures des victimes mais également des proches qui ne se sont jamais remis de ces événements tragiques. Il faudra donc tout d'abord dompter ce flot de souvenirs submergeant un Tom Kettle désarçonné dont la raison oscille entre sa projection de la réalité et les faits qu'on lui rapporte tandis qu'il se remémore les circonstances terribles de la disparition de ses proches dont il distingue portant la présence dans ce cadre magnifique de Dalkey que Sebastian Barry dépeint avec la pointe de nostalgie émanant d'un lieu qu'il a fréquenté durant son enfance. Une fois que l'on a dompté le mode de pensée de Tom Kettle, on se laisse littéralement emporter dans le courant de cette écriture au lyrisme envoutant pour s'insinuer au coeur de la trajectoire de ce policier vieillissant qui remet à jour les fragments d'une mémoire défaillante. C'est ainsi que l'on prend la pleine mesure de ce scandale dont Sebastian Barry se garde bien de nous en faire l'étalage sordide pour se concentrer sur la douleur des victimes et de leur entourage en faisant également ressurgir cette colère sourde qui imprègne l'ensemble du texte avec cette certitude foudroyante que rien ne pourra jamais être réparé et dont il ne reste qu'à en faire le compte-rendu pour mettre à jour des décennies de souffrance. Et malgré cette douleur sous-jacente, il émane de ce roman une beauté indicible qui nous saisira tout au long de cette lecture éprouvante s'achevant de manière magistrale sur une scène aux contours surréalistes à l'image d'un récit à la fois flamboyant et mélancolique. Sebastian Barry incarne sans nul doute cette magie de l'écriture.


Sebastien Barry : Au bon Vieux Temps de Dieu ( Old God's Time). Joëlle Losfeld Editions 2023. Traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux.

A lire en écoutant : Kol Nidrei, Op. 47 de Max Bruch - Steven Isserlis, Olivia Jaggeurs et Connie Shih. Album : A Golden Cello Decade, 1878-1888: Dvorák, R. Strauss, Bruch, le Beau. Steven Isserlis, Connie Shih. 2022 Hyperion Records Limited.
Lien : http://www.monromannoiretbie..
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critiques presse (2)
LeMonde
27 octobre 2023
[Un] roman envoûtant où, entre rage et compassion, l’écrivain offre sinon le plus attachant, du moins le plus fascinant de ses personnages.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeFigaro
28 septembre 2023
Un ancien policier voit sa retraite bouleversée par une affaire de prêtres pédophiles qui ravive un passé traumatique.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
La mer, l'île, les rochers et le phare le saluèrent. Il ressentit une joie resplendissante - se souciait-il même qu'elle prenne fin, comme ça se produit avec toutes les joies ? Il avait tant aimé June. Quand elle vivait encore, il pouvait s'écouler de longs moments sans que Tom y pense puis tout à coup, sans raison apparente, il la remarquait, il remarquait un geste, et il était frappé. Pendant plus d'une heure, tandis que la lumière du matin envahissait la pièce et lui baignait le visage, il ne pensa à rien ni personne. Il chérit le souvenir de sa femme comme si elle était encore en vie. Comme si personne n'avait été broyé, n'avait eu à traverser à la hâte les couloirs de l'existence, que la puissance de son amour était si forte qu'elle en était capable, capable de la garder, légère et éternelle, dans l'étreinte d'un jour ordinaire.
La lumière du soleil plantait ses millions d'épingles dans la mer mouchetée et scintillante, luisante de tout son éclat, comme dans l'instant qui précède une déflagration. Seul, seul, Tom sourit et sourit. Il ferma les yeux. Les rouvrit. La mer était toujours là.
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C’était l’unique fois où il avait frappé son fils, ce qui lui avait coûté un quart de son âme. Car il s’était juré à lui-même, ainsi qu’à June, de ne jamais frapper un enfant comme ils avaient été frappés, elle, lui, dans leurs exils éloignés mais tant redoutés, avec ces bonnes sœurs, ces prêtres, ces frères qui les battaient à mort, ou était-ce à vie, eux, cette soi-disant progéniture du diable. « Mieux vaut être mort-né, hurlait le frère, que d’incarner l’immonde progéniture d’une prostituée. » C’étaient ses mots.
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-Peut-être que tu devrais te débarrasser de moi. Les bonnes sœurs ont dit que c'était de ma faute. Et ça a continué jusqu'à mes douze ans. Tu te rends compte ? Parce qu'à douze ans, on devient une grande fille, Tom. Ça se passait presque tous le jours. Il disait qu'il venait chercher ses baisers. « Je viens pour mes baisers, June », il disait. Ses baisers, ses putains de baisers. Son pilon en moi faisait comme un tisonnier brûlant, tu imagines combien cela fait mal quand on est une petite fille ? Je devais mesurer un mètre de haut, et lui, il était aussi grand qu'une girafe. Avec son ventre poilu et son haleine de bière. Et son grand pilon qui me transperçait comme une tige d'acier. A six ans. Tom, Tom, je suis désolée.
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Toutes ces âmes éteintes, plongées comme une bougie dans une mer de luxure. Un océan de luxure recouvrant une lueur qui ne longerait plus jamais le sein brillant de la terre pour éclore de nouveau telle un marguerite, une marguerite au cœur jaune vif, ce soleil d’un nouveau matin. Eteintes et oubliées. Tom avait vu, chez les garçons que les frères violaient, cette lumière éteinte dans leurs yeux. Des garçons soumis à l’épée de leurs désirs. Pour toujours. Il l’avait vue. Il avait assisté à ça, alors qu’il n'avait même pas les mots pour ça, si bien qu’il ne pouvait décrire à personne ce qu’il avait vu. Ces petites lueurs qui s’éteignaient dans leurs yeux. À jamais.
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Parce qu'avant toute chose, il faut croire un témoin. Bien des méfaits et des malheurs découlaient du fait qu'on n'avait pas cru les témoins. Qu'on avait d'emblée rejeté leur témoignage. Cette pauvre âme qui crache le terrible morceau, mais dont le récit paraît invraisemblable. Souvent, l'invraisemblable, c'était pourtant la réalité, et on s'en rendait compte trop tard.
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