Voici typiquement le genre d'essais que j'achète de façon spontanée. La semaine du déconfinement (mon correcteur ne connaît pas ce mot), je suis allée chez mon bon libraire, et j'ai vu ce petit livre posé au milieu de la boutique. Comme la sexualité m'intéresse et que je n'avais pas donné d'argent au libraire depuis longtemps, j'ai pris cet ouvrage, avec quelques autres. C'est donc ainsi ma première rencontre avec
Martin Page, l'auteur, également romancier et écrivain de littérature jeunesse.
Ce court essai d'environ 150 pages est divisé officiellement en 3 parties, mais moi j'en vois essentiellement deux : 1) la prise de position de
Martin Page 2) des témoignages de personnes diverses et variées sur leur rapport à la pénétration.
Car oui, ici, il est question de pénétration, et essentiellement de pénétration dans le cadre de rapport hétérosexuel. Comme l'avait dit
Pierre Bourdieu (et tant d'autres comme
Virginie Despentes dans
King Kong Théorie), la sexualité hétérosexuelle révèle sans nul doute de
la domination masculine. Attention, l'auteur ne dit pas que ça ne plait pas à certains, il explique juste que tout le jeu sexuel est tourné pour et autour de l'homme.
Très concrètement, et crument : un rapport amoureux avec sexualité aujourd'hui ressemble grosso modo – dans l'immense majorité des cas – à une période de préliminaires (qui sont aussi des actes sexuels) plus ou moins courte, suivie d'une pénétration de la femme par l'homme, jusqu'à ce que l'homme éjacule et que tout s'arrête. C'est de ce constat sans appel que part l'auteur. Voici à peu de choses près la sexualité des couples, le tout répété à une fréquence relativement régulière mais le plus souvent étant le mieux d'après la norme sociale.
Or, il est de notoriété publique que si les femmes peuvent facilement avoir des orgasmes par stimulation clitoridienne (de façon quasi-systématique), moins de 25% d'entre elles ont des orgasmes par voie vaginale. Cela ne veut pas dire qu'elles ne sont pas contentes de ce qu'elles vivent… Mais enfin, retenons quand même qu'au mieux elles font plaisir à leur partenaire et en tirent une satisfaction, que généralement elles attendent tranquillement que cela passe, voire qu'elles simulent un peu pour accélérer l'affaire, et qu'au pire elles ont mal! Pourtant, les rapports avec pénétration représentent 98% du temps de sexualité des couples hétérosexuels.
98% de l'énergie accordés à une pratique qui n'est pas du tout la favorite des femmes, mais qui provoquent dans 9 cas sur 10 un orgasme aux hommes. Triste constat pour nous les femmes. Que dirait-on si la pratique principale plaisait à 90% des femmes mais à moins de 25% des hommes?
L'auteur d'ailleurs en remet une couche en précisant que d'après les grandes études sur la sexualité féminine (rapport Hite et autres), les femmes en relation homosexuelle ont 70% plus de plaisir que les femmes en relation hétérosexuelle… Même constat si l'on compare les relations entre hommes aux relations homme/femme : les hommes en relation homosexuelle ont plus de plaisir que leurs congénères hétéro… Il y a donc un couac quelque part, que l'auteur résume bien ainsi :
« On voit donc bien au fond que la sexualité n'est pas une affaire de plaisir, sinon les femmes seraient moins pénétrées et les hommes le seraient davantage » CQFD.
Martin Page présente donc sa position : il ne s'agit pas d'aller contre la pénétration, mais de la remettre à sa juste place. Une pratique comme une autre. Ni une finalité, ni la crème de la crème.
Force est des reconnaître que
la domination masculine est toujours grandement présente. Acquise. Insidieuse. Et que tout le monde en est complice : les femmes par acquisition inconsciente d'un asservissement au plaisir de l'homme, les hommes par facilité et confort d'être dans la position dominante.
Martin Page invite donc les hommes à prendre conscience de leur domination et à se positionner différemment :
« Je m'étonne que les hommes hétérosexuels ne soient pas plus curieux à propos de la sexualité, qu'ils soient massivement pour la reproduction des mêmes gestes et des mêmes attitudes […] La catégorie sociale qui connaît le moins bien la sexualité, qui en a la vision la plus caricaturale, est celle qui domine toutes les autres. Et c'est cette simplification qui lui permet d'asseoir son pouvoir en contrôlant les corps, en empêchant l'expression de la complexité et de la liberté ».
Pour l'écrivain, cette domination est liée et accentuée par le libéralisme économique et le capitalisme :
« Tout est lié : la question de la pénétration, du clitoris, des hommes hétérosexuels, comme celle du temps de travail qui empiète sur nos vies affectives, des salaires moins élevés des femmes, de leur plus grande précarité, de nos difficultés d'existence matérielle, du congé paternité encore bien maigre et facultatif, des réunions organisées le soir, du capitalisme, du réchauffement climatique et du règne de la compétition et de la comparaison. Nos histoires de verge et de vagin sont intimement liées à l'histoire des structures politiques dans lesquelles nous vivons et on ne changera pas l'une sans l'autre ».
Jetée en pâture ainsi, cette phrase peut sembler un amalgame de beaucoup de choses, mais je trouve la réflexion intéressante. Et il est vrai que la toute-puissance de la pénétration peut y être rattachée :
« La pénétration est un mode adapté au capitalisme, à nos journées volées par le travail, par les angoisses et la compétition. Comme il y a peu de temps pour penser l'amour, le pénis dans le vagin est pratique, on tient un certain temps, c'est calibré, il y a un début et une fin bien précis, on accomplit son devoir sans penser et sans imaginer. La société applaudit ».
Mais, plus largement, le propos de l'auteur n'est pas de fustiger la pénétration mais, d'une part, de la remettre à son simple rang, et d'autre part, d'ouvrir le champ des possibles de la sexualité. Avoir une sexualité à deux, ce n'est pas forcément jouer à touche-pipi. Se prendre la main, s'embrasser, dormir contre l'autre, faire une balade très agréable, avoir un fou rire, sont autant de sources de plaisir à deux qui rapprochent et libèrent. Des caresses, des baisers, des mots doux, de la présence, des gratouillis dans le dos ou dans les cheveux sont autant de façon de partager une intimité sérieuse.
Martin Page suggère qu'on pourrait parvenir à penser les choses différemment, en se disant que tout cela est une façon de faire l'amour. D'ailleurs, il existe des baisers bien plus torrides que de la pénétration. Des baisers qui donnent plus le sentiment d'avoir fait l'amour.
Personne n'est forcé à rien. La sexualité n'est pas figée, et encore moins dans une seule pratique!
A méditer…
Jo la Frite
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