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EAN : 9782844851277
158 pages
Allia (27/08/2003)
3.77/5   11 notes
Résumé :
Après le succès de L’Agrume de Valérie Mréjen en 2001 et de Rapport sur moi de Grégoire Bouillier en 2002, les perspicaces éditions Allia vont-elle de nouveau tirer leur épingle du jeu au sein de cette torrentielle rentrée littéraire 2003 avec Défaut d’origine, court premier roman d’un jeune homme de 30 ans, Olivier Rohe ? S’il faut bien sûr attendre pour savoir si le public sera réceptif à ce texte dense, assez difficile, placé sous les auspices de l’écrivain autri... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Exilé depuis des années, Selber, retourne à son corps défendant dans son pays natal, le Liban, même si le pays n'est jamais nommé ici. «On m'a mis là et pourtant j'ai horreur des avions.» Tentant d'ignorer un voisin de siège qui, tout en s'alcoolisant de façon consciencieuse, ne cesse pendant le vol de vouloir nouer les fils de la conversation, le narrateur laisse affluer en un long monologue intérieur les souvenirs de ce pays, et de ses conversations avec Roman, son ami d'alors, pensées périodiquement ponctuées ou relancées par les saillies de l'importun voisin ou de l'hôtesse de l'air.

Au fil de ce monologue dans lequel les pensées de l'ami Roman au nom évocateur et celles de Selber finissent par se fondre, le narrateur vomit ses racines, à l'inverse des écrivains de l'exil, qui se lamentent habituellement sur leur patrie perdue ; d'autant plus haïssable qu'elle est marquée par l'horreur de la guerre, et par l'amnésie qui lui a succédé, la patrie, mais aussi la langue maternelle et la famille, sont des entraves monstrueuses, avec lesquelles il est nécessaire rompre pour accéder à sa propre liberté.

«Dès que tu auras franchi les frontières considère-toi plutôt comme une sorte d'apatride qui se réjouit de n'appartenir à rien ni à personne (c'est ce que je m'efforce de penser jusqu'à aujourd'hui), dis-toi qu'un renégat, qu'un ingrat ou qu'un amnésique valent toujours mieux qu'un idiot sentimental que le souvenir de la patrie fait chavirer, un idiot qui participe sans le savoir à son propre anéantissement.»

Tout en soulignant l'impératif de se démarquer de ses racines pour conquérir un espace de liberté, Olivier Rohe met aussi en lumière ce qu'il y a de prétention et de fantasme en matière d'écriture, à vouloir être un écrivain singulier et sans héritage.

«Chaque fois que je lisais un livre l'auteur de ce livre balisait le terrain de la langue à ma place disait Roman, chaque fois donc que je lisais un livre l'auteur de ce livre, qu'il se nomme Balzac ou Proust ou même Maupassant, me retirait toujours davantage la possibilité de trouver, au milieu de ce vaste terrain balisé pour moi, «une parcelle de langage encore inexploitée». C'est de la possibilité d'envisager la langue autrement que comme une «partie perdue d'avance», et aux règles de laquelle j'étais invité à me plier, que tous ces auteurs – aussi illustres soient-ils – m'auront privé et c'est même, maintenant que j'y pense, «l'idée de possibilité, ou de virtualité, ou d'infini» qu'ils m'auront confisqué.»

Réflexion sur l'identité et l'écriture en forte résonance avec le «Moo Pak» de Gabriel Josipovici, «Défaut d'origine», paru en 2003 aux éditions Allia, reste une lecture fascinante et indispensable.
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D'une superbe écriture maîtrisée, régler son compte au romantisme de l'origine et de l'exil.

Publié en 2003 chez Allia, le premier roman d'Oliver Rohe impressionne d'emblée.

Dans un monologue intérieur véhément, durant le temps d'un trajet en avion, simplement entrecoupé des bribes de tentatives de dialogue anodin de la part d'un encombrant et alcoolisé voisin de siège (dans une situation qui plairait donc immanquablement aux amatrices et amateurs du "Zone" de Mathias Énard), le narrateur - se référant sans discontinuer aux paroles, rappelées au fil d'années de fréquentation, d'un ami d'enfance (qui ne s'appelle peut-être pas Roman par hasard) qu'il part rejoindre dans son pays d'origine, non spécifié, dévasté depuis des années par les guerres civiles, les invasions étrangères qui osent à peine dire leur nom, les fléaux religieux, les seigneurs de la guerre perpétuellement auto-proclamés, mais aussi par les grandes réconciliations imposées dans le culte de l'oubli, de la croissance et du profit - règle aussi sauvagement qu'in petto ses comptes avec ses origines, sa famille, son père disparu, sa mère étouffante, mais aussi et peut-être surtout, dans une saisissante spirale inversée, avec la notion même d'origine, et la bêtise monumentale qu'y attachent à foison ceux qui "sont nés quelque part".

Repoussant avec une rage maîtrisée la nostalgie, la complaisance de l'exil et la mémoire enjolivée de "la terre qui nous a vu naître", le narrateur réalise ici un formidable exorcisme de toutes les tentations romantiques de tous les LIbans, toutes les ex-Yougoslavies, tous les Rwandas du monde. Bâtissant sur les ruines réelles des conflits comme sur celles de la mémoire, Oliver Rohe résonne superbement avec les récents travaux de Jean-Yves Jouannais ("L'usage des ruines"), met incidemment singulièrement en perspective "Le quatrième mur" de Sorj Chalandon, et ravive la flamme perpétuelle de Claude Simon.

Ambitieux et réussi, un roman dont la nécessité est intacte, dix ans après sa parution.
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Ceci n'est pas une autobiographie, mais y ressemble par bien des aspects : l'auteur joue avec sa propre histoire pour inventer celle d'un autre et ses questionnements en particulier.
Un jeune homme, qui a fait toutes ses études en France, revient dans son pays d'origine, le Liban, sur la demande d'un ami, Roman. Alors que le narrateur n'avait jamais souhaité revenir, cet appel (dont le motif ne sera jamais donné) l'amène à prendre l'avion et, durant le trajet, à s'interroger sur son identité, sa langue, ses idées d'alors et d'à présent. Ce sont donc ses pensées, durant ce long vol Paris- Beyrouth, que nous livre le narrateur, non pas en vrac, mais en tous cas d'un seul bloc. L'absence de paragraphe marque l'absence de hiérarchisation des sujets, de leur enchaînement : tout se bouscule dans cet esprit à peine dérangé par un voisin de siège envahissant.
Le narrateur raconte la présence tout aussi envahissante de ce Roman dans ses propres réflexions avec des mises en abyme multiples qui brouilleraient presque l'énonciation. Reprenons : Oliver Rohé, jeune homme libanais, écrit le récit d'un jeune homme libanais qui revient au pays, qui lui-même raconte les pensées –devenues siennes- de/ d'un Roman qui lui-même affirme que, petit, il avait tendance à s'identifier aux autres et à leur prendre leurs tics. Et l'on se demande, comme le personnage, ce qui fait qu'un homme s'est constitué lui-même et a élaboré ses propres réflexions, quand on s'identifie à ces nombreuses instances narratives et qu'on partage les idées de Roman.
Pour le narrateur, ce brouillage est plus profond et plus violent car il s'opère avec un ami (Roman) resté dans ce pays que le narrateur a tout fait pour oublier : en essayant, vaille que vaille, d'oublier la langue et de s'approprier le français comme langue maternelle ; en refusant de revenir, en rejetant les stigmates de la guerre, les ruines, la violence quotidienne.
C'est en essayant de démêler ses idées de celles de son ami, en essayant d'exister seul dans son esprit que le narrateur ressasse tout ce qui l'éloignait du Liban. Ce faisant, il s'ancre chaque fois plus profondément dans son histoire et, sans faire la paix avec elle, semble pourtant l'accepter davantage.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Elle était au courant et elle m'a tout bonnement intimé l'ordre, car à cet âge-là on ne peut pas distinguer un ordre d'un conseil, de mentir effrontément en remplissant ces fiches de renseignements. Dis-leur qu'il est homme d'affaires international mondialement introduit me conseillait ma mère, dis-leur qu'il s'absente souvent pour affaires mondiales, dis-leur aussi que ce sont ces affaires internationalement répandues qui le poussent à voyager très souvent et que les affaires mondiales et internationales passent avant tout, voilà ce qu'elle m'enseignait ma mère. Ne leur dis surtout pas ce qu'il fait en vérité, ce qu'il fait est ici jugé honteux comme tu l'apprendras plus tard, d'ailleurs laisse-moi te dire mon fils que ce qu'il fait il ne le fait qu'en parfait dilettante, voilà ce qu'elle jugeait bon de rajouter. Il faut que tu apprennes à garder un secret me répétait toujours ma mère, ce qui se passe à la maison n'a tout de même pas besoin d'être divulgué à tous, le plus important dans la vie d'une famille bien soudée est de savoir garder un secret car un secret bien gardé est la garantie d'une famille bien soudée. Ce qu'il fait ou ne fait pas doit donc rester un secret connu de nous uniquement, les autres n'ont pas besoin de la savoir, voilà comment ma mère me préparait à l'épreuve des fiches de renseignements.
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Vidéo de Oliver Rohe
Le 5.04.2023, Oliver Rohe était l'invité de Marie Richeux dans “Par les temps qui courent” (France Culture), pour évoquer “Chant balnéaire”.
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