A travers ce récit de voyage, l'auteur superpose l'Afrique telle que l'a connue
Rimbaud à celle d'aujourd'hui, l'Afrique des gestes quotidiens immuables à celle de la littérature.
Pour mieux nous imprégner de cette vision polyphonique, Courtois alterne des extraits des lettres que
Rimbaud a écrit à sa mère et des citations de Char,
Kessel,
Levi-Strauss,
Cendrars ou ses propres impressions...
Il nous entraîne non seulement sur les traces de
Rimbaud mais également sur celles de tous les aventuriers français ou anglais qui se sont risqués avant ou après le poète dans ces contrées arides et hostiles, tels Monfreid dans les années 1910, ou l'anglais Burton, ou bien encore Bardey...
En décembre 1886,
Rimbaud est à Tadjoura : il monte une caravane pour amener des armes au roi Ménélik.
Rimbaud est un nomade dans l'âme; il a abandonné la poésie à 21 ans pour se jeter dans une vie aventureuse à travers le monde; en Afrique, il apprend l'arabe et donne même des conférences sur le Coran.
Près d'Obock, les enfants d'aujourd'hui gardent le souvenir que c'est à cet endroit que "Rambo" (sic) venait cacher ses armes.
L'image que
Rimbaud a laissé de lui auprès des indigènes n'est apparemment guère flatteuse. Nous en apprendrons le motif plus tard dans le livre.
En attendant, Courtois nous entraîne à sa suite à la rencontre des Africains ou des exilés européens, qui le guident à la recherche du poète, ou l'initient au rituel de leur vie.
En compagnie de l'auteur et d'Ali, nous apprenons à mâcher du qat, à boire du thé ou du café toute la journée, à lâcher prise !
Nous rencontrons successivement Ali à Tadjoura, Yanit la belle jeune femme travaillant à Dire Dawa, Salomon le juif Rastafari d'Abadir ou Ahmed l'Egyptien et tant d'autres autochtones serviables...
A l'instar de Courtois (et de
Rimbaud avant lui), nous comprenons que "le voyage permet de ralentir le temps". Nous vivons au même rythme lent, presque contemplatif de ces Africains de la Corne d'Afrique si mystérieuse où la chaleur est accablante : "chaque geste demande un effort surhumain, une patience sans limites..." (page 82).
On apprend mille et unes choses surprenantes sur les Ethiopiens : les habitants laissent de grandes ouvertures au niveau du sol pour laisser passer les hyènes qui nettoient leurs ordures ; le Bateau ivre a été traduit en éthiopien; le mot "ennui" n'existe pas dans cette langue...
A Harar, l'auteur rencontre le français Jean-Michel qui fait des recherches sur
Rimbaud et lui apprend que celui-ci s'est fait graver un sceau au nom d'Abdallah Rimbo (page 143). Au fil des expériences qu'il vit durant son périple, des questions s'imposent à son esprit :
Rimbaud s'est-il converti à l'islam ? a-t-il assisté comme lui à Harar à des soirées soufies ? avait-il une femme dans sa vie ? La seule chose sûre, c'est que le poète rebelle a été menacé de mort et d'expulsion après qu'il eut empoisonné des chiens; en effet, ce poison risquait de tuer également les hyènes, ces animaux sacrés pour les Ethiopiens...
En compagnie de Jean-Michel et de sa femme éthiopienne Sinédu, Courtois part en Toyota sur la piste d'Ogaden, à l'instar de
Rimbaud. Or cette région est interdite, comme au temps du poète. Ils sont arrêtés, passent tous les trois plusieurs jours sous la garde de soldats qui les prennent pour des espions (page 162).
Courtois repart seul. Et à pied.
"La marche donne la mesure du voyage. Un tempo intérieur." (page 133)
Mais ce périple à pied peut s'avérer plein de périls : un matin, l'auteur se réveille dans le lit d'un hôtel à Awash sans se souvenir de la manière dont il y a atteri (il en conclut qu'il a dû s'effondrer en chemin); après l'épisode d'Ogaden, quand il chemine sur la route du Gondar, il est finalement recueilli par des moines alors que ses réserves en eau et en nourriture sont épuisées !
Après encore bien des rencontres, l'auteur finit son voyage à Alexandrie, là où
Rimbaud avait commencé le sien.
Pour conclure, j'ai beaucoup aimé découvrir ce récit de voyage, les introspections de l'auteur qui tentent, en mettant ses traces dans celles de
Rimbaud, de deviner les ressentis du poète à la découverte de ce pays aride. On est immergé dans cette civilisation dont les mille et un gestes du quotidiens semblent immuables, on apprend à prendre notre temps, à laisser nos pensées vagabonder... C'était agréable et très dépaysant... même si parfois je me suis sentie un peu perdue par les aller-retours de Courtois entre le passé et le présent...
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