Une mégapole aux habitants tous aveugles de naissance s'est adaptée au fur et à mesure des générations, à ne pas considérer ceci comme un handicap, ou une malédiction mais comme la norme. Ainsi ils apprennent à l'école à évoluer dans leur « espace proche », une bulle devenue avec les siècles leur périmètre de sécurité, un cercle familier d'environ 2 mètres autour de leur corps. Ils se dirigent grâce à des capteurs acoustiques perfectionnés, ils ne connaissent d'autrui que la voix, tout vocabulaire attrait à la vue a disparu, le sens en a été perdu. Cela est exceptionnel, mais certains peuvent souffrir d'une maladie mentale qui les confronte à de graves hallucinations, une psychose de l' «
espace lointain », leurs organes visuels semblant détecter tout à coup une mégapole sinistre et sombre, empilage de strates de métal, de bunkers d'habitations, de tubes pour le train pneumatique. Ils sont traités à fortes doses de médicaments, on leur propose des scellées oculaires pendant 6 mois, un long traitement duquel ils sortent heureusement « guéris ». Mais Gabr Silk décide de ne pas suivre le traitement, loin d'imaginer à quelle vérité il sera confronté, et quelles responsabilités pèseront sur ses épaules ordinaires, au contraire de ses yeux.
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La cécité visuelle est ici une allégorie de la perception du monde à laquelle nous avons accès, avec nos sens notamment. Une portée philosophique qui pousse à la réflexion. Un peu comme elle était une allégorie d'un régime politique autoritaire dans «
L'aveuglement » de
José Saramago, sans l'exceptionnelle plume de ce dernier cependant, mais j'ai tout de même imaginé cette mégapole comme la descendante des protagonistes du livre de
Saramago, qui n'auraient plus jamais recouvré la vue, et auraient engendré une descendance d'aveugles.
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J'ai aussi pensé à une autre perle des lectures de l'imaginaire, « Nous » de
Evgueni Zamiatine où les certitudes du personnage sur le bien fondé du monde qui l'entoure sont bouleversées par une rencontre. Ici c'est de recouvrer la vue qui bouleverse un système établi pour un monde aveugle. Un monde aveugle moins immersif que le monde mathématisé imaginé par
Zamiatine, mais avec quelques scènes marquantes tout de même, comme celle où Gabr voit sa mère pour la première fois, on tâche de ressentir tout ce que les normes d'un monde aveugle peuvent engendrer de différent par rapport à notre façon de percevoir le monde tel qu'on le connaît.
Des scènes tout de même un peu trop rares qui font qu'il m'a été difficile de m'identifier au personnage, et d'avoir de l'empathie. La narration se tourne davantage vers la difficulté de ce personnage à trouver sa place par rapport à tout ce qu'il découvre, que d'évoquer ce monde de la mégapole. C'est un fait posé, les gens sont aveugles, mais je reste frustrée de ne pas en savoir plus sur le pourquoi, le comment ils se sont adaptés et l'évocation de la vie du personnage dans ce monde. Tous ces éléments restent trop en surface pour être touchée.
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D'autre part, l'action est coupée par de longs extraits d'un livre que j'ai trouvé indigeste « Le diapason des sentiments inexplorés », et par un recueil de poésie « proche lointain » que je n'ai pas réussi à rattacher à l'ensemble du récit.
Ce livre remplit son rôle de dystopie, c'est à dire nous donner à réfléchir sur le système dans lequel nous évoluons, de tâcher de garder les yeux ouverts, même sur ce qui nous paraît improbable voire impossible « Si nous nous considérons comme des êtres libres, nous ne pouvons pas rejeter l'idée que l'impossible existe » p130. Mais je ne m'y suis pas immergée totalement, il a eu moins d'impact sur moi que d'autres, même si la proposition est singulière, le traitement m'a souvent laissée de côté.