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EAN : 9782362794636
262 pages
Alma Editeur (09/01/2020)
3.57/5   14 notes
Résumé :
Adèm est allongé sur la plage, incapable de bouger. Pour quitter son pays, il a payé très cher sa traversée. Malheureusement, l'embarcation a fait naufrage. Où sont les autres ? Qu'est devenue sa soeur avec qui il se trouvait ? Attendant que le jour se lève et la venue peut-être des secours, il se souvient de toute son histoire. Enfance insouciante dans la montagne, ombres de la dictature, disparition de son père enlevé par la milice, de sa mère partie le rejoindre.... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
« Pour le moment, personne ne s'occupe de moi. Yeux écarquillés, bouche ouverte, je reste étendu sur le sol, face à la mer. Je suis là depuis longtemps, depuis des heures, depuis une éternité » p.13

« Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'ils ont pu devenir, tous et chacun. Les autres, ceux que je n'ai pas vu couler à pic comme des pierres. Je ne sais rien. Je ne sais toujours rien, et personne ne vient. Je suis allongé face à la mer. J'assiste au dépeçage de la nuit, sous les couteaux habiles de l'aube. La lumière croît en moi, je décrois. Les forces du jour vont bientôt envahir toute la baie. Chaque rocher décantera les veines colorées de son anatomie. Les crabes et les bernard-l'hermite vont ressortir du sable, les algues vont se déposer un peu partout et une odeur d'iode et de poisson finira par chasser le vent monotone de la nuit. » p.235

Entre ces deux citations, un livre, une vie. La nuit nous serons semblables à nous-mêmes. Semblables à ce que nous sommes derrière les apparats du jour.
Semblables aussi devant les peurs, les espoirs. Semblables devant la solitude, devant la mort.
La nuit nous serons semblables à nous-mêmes, c'est l'histoire de l'humanité. Une goutte de plus qui vient gonfler la crainte de l'autre, cette inquiétude en crue depuis si longtemps.
La nuit nous serons semblables à nous-mêmes, c'est l'histoire d'un exil, c'est l'histoire de l'Homme qui a toujours migré dans l'espoir d'une vie meilleure.
La nuit nous serons semblables à nous-mêmes, c'est un dommage collatéral de nos modes de vie, un chiffre dans les journaux, une image furtive noyée dans les flots d'informations anxiogènes ou aliénantes de la télévision, une statistique.
La nuit nous serons semblables à nous-mêmes, c'est Adèm, jeune garçon ayant fuit son pays. C'est la vie qui se fait funambule, le sort qui hésite entre nouveau souffle et dernier soupir. C'est un naufrage parmi d'autres, un corps rendu par la mer, échoué sur une terre promise. C'est un jeune homme qui passe en revue sa courte vie pour ne pas se laisser aller à dormir, pour ne pas se laisser aller à mourir. Les moments doux alternent avec les raisons de l'exil. Les moments fous succèdent au long périple ayant laissé Adèm sur une plage de galets hostiles. Chaque pensée est une lutte, une esquisse de survie.

Premier roman d'Alain Giorgetti, ne comptez pas sur moi pour vous parler de sa qualité littéraire car je n'ai aucune compétence pour ça. Par contre pour ce qui est du ressenti nous sommes tous égaux et je me permettrai donc une remarque sur un point qui m'a gêné au début. Dans de nombreux chapitres, nous passons sans transition aucune de la vie insouciante et belle de la petite enfance d'Adèm et de sa soeur à la nuit angoissante et la douloureuse attente d'un secours éventuel sur la plage.
Un simple retour à la ligne, est à mon avis, insuffisant pour marquer la rupture. J'ai parfois du reprendre ma page pour avoir une lecture plus fluide.
Sinon, quelques jolis moments de poésie sont parsemés par l'auteur dans ce monde de brutes chaque jour un peu plus d'actualité.

Une lecture à mettre entre toutes les mains car pour chacun de nous, un jour ou l'autre nous aurons une nuit où nous serons semblables à nous-mêmes…

Merci à frconstant pour la piste de lecture.
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Une petite merveille que ce roman qui nous dit tout à la fois la singularité de chaque parcours de migrants et l'universalité de ceux-ci. Alain Giorgetti, funambule des mots, se tient en parfait équilibre entre le manque total de précisions de lieu, de temps ou de personne qui ouvre à l'universalité et le souci du détail qui, à tout moment, replace le lecteur face au personnage, à l'endroit et à l'époque des souvenirs, constats ou espoirs évoqués.
Avec une maîtrise parfaite du souffle respiratoire du lecteur, l'auteur lui donne d'accompagner Adèm dans les seules certitudes qui soient : le jour succède à la nuit et chacun doit se relever et faire face au paysage.
Non seulement, Alain Giorgetti nous parle d'un instant qui dure une nuit, moins même, le temps d'une marée qui vient mourir sur un rivage mais, en même temps, par ce roman, il nous raconte la vie entière, le quotidien d'aujourd'hui, celui d'hier ou l'espéré de demain. Derrière le visage d'Adèm, couché sur la plage, cet enfant devenu trop tôt presqu'adulte, qui a froid, dont les yeux se piquent de sable, d'écume et de givre, les membres s'engourdissent et les pensées filent d'hier à demain en tentant de comprendre aujourd'hui, il y a tous les visages, chacun unique, de tous ceux qui ont migré, qui se déplacent de nos jours ou l'envisageront demain. Ces trajectoires singulières ont toutes pour dénominateur commun l'appartenance à une Humanité qui se dérègle, dysfonctionne, retarde sur l'instant T à vivre et pousse les assoiffés d'espoir sur les routes de l'exil, de la soumission acceptée aux passeurs et vers des rencontres dont il faut toujours se méfier alors même qu'elles sont chaleureuses et profondément humaines … parfois.
Au coeur de l'horrible, ce livre touche avec délicatesse et poésie à l'intime et au collectif de l'Être. Il aborde le temps comme un temps à vivre. Un vrai bonheur, une interpellation de première nécessité !

Merci à Babelio et aux éditions Alma pour cette très belle découverte.
Lien : https://frconstant.com/
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Le roman tout entier d'Alain Giorgetti est trempé de mer, de son fracas, de son éternel roulement, de son implacable puissance, de son érosion inéluctable si l'on y trempe trop longtemps. Il aspire, conduit, brasse et tue à petit feu, lentement. Il brûle la peau, les poumons, les yeux, glace et condamne, et surtout, il bruit de tous les morts du monde, à en devenir assourdissant. Bien souvent, en haute lecture, ballotté dans les paragraphes serrés, nous avons perdu de vue le rivage rassurant du chapitre depuis longtemps, nous n'avons aucune bouée de blanc, le moindre retour chariot pour nous accrocher et souffler, il faut partir avec, retenir son souffle et endurer. le roman tout entier d'Alain Giorgetti est une marée qui avance.

Son personnage central, le jeune Adèm, est échoué sur le rivage, de nuit. La traversée qu'il a entamée avec sa petite soeur semble s'être mal terminée, mais nous n'en savons pas grand-chose, lorsque le récit commence. Il a froid, du mal à bouger, essaye de ne pas s'endormir et de rassembler ses forces pour se redresser, en attendant les secours. Par une naturelle et diabolique présence d'évocation, poétique, mais surtout narrative, l'écrivain n'a pas besoin de beaucoup de lignes pour nous transporter en l'instant dans ce corps immobile, épuisé et meurtri, en lutte contre la nuit qui va bien finir par se lézarder d'espoir et apporter un matin neuf, vibrant. Comme Adèm, nous ne savons pas où nous sommes, mais le danger guette et pour tenir, avant de savoir qui de la nuit ou du jour va triompher, il va falloir se rappeler d'où nous venons.

Adèm déroule alors le fil de sa courte existence, espérant que sa mémoire imprimera son histoire dans le vent, et que portée par l'invisible bienfaisance du recommencement, elle sera déposée sur le bureau du Strasbourgeois Giorgetti, dont la tâche immense sera de la recomposer au vol, alors qu'il attend lui aussi, minute par minute, que quelqu'un trouve Adèm et lui porte secours. Appelé au milieu de la nuit, Alain Giorgetti, qui prend suffisamment au sérieux les mythes et les signes pour s'en faire le prodigieux interprète, transcrit et reconstitue le destin d'une famille à travers le souvenir qu'en conserve religieusement ce fils doré, dont le coeur et les respirations ont su émouvoir le vent. Si c'est bien tout ce que peut la littérature, elle est néanmoins la seule à le pouvoir : la porosité d'une âme à une autre, doublée de la capacité de lui rendre justice, le tout nimbé d'un amour fou qu'il est impossible de contrefaire crève un passage dans les veines du lecteur, éclate cet autre, fictif, dans nos pupilles, contre notre poitrine pour qu'il s'y déploie et nous colonise, que jamais plus on ne puisse le désapprendre, l'oublier.

Le roman tout entier d'Alain Giorgetti confine à la voyance. le contact s'établit, et nous marchons Adèm, nous pleurons, mangeons Adèm, nous le redressons, lui qui n'y arrive plus et enfin, nous comprenons tout. .. Lire la suite : https://pamelaramos.fr/resistance-a-la-nuit-alain-giorgetti-et-son-roman-refuge/
Lien : https://pamelaramos.fr/resis..
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Tenter de définir les raisons qui font que je n'ai pas aimé un roman est souvent un tantinet compliqué pour moi. D'abord parce que j'ai bien conscience que mes arguments sont forcément subjectifs et, ensuite, parce que je mesure chaque terme afin de bien rester dans le commentaire d'une lecture sans sombrer dans une critique stérile et dépréciative. C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit, comme ici, d'un premier roman. Alors ? Qu'est-ce qui a fait que je n'ai pas accroché à ce roman alors que sur une trame comparable j'ai été complètement empoignée par "Le petit garçon sur la plage" de Pierre Demarty (Editions Verdier) ?
Ce qui m'a frappée dès l'ouverture du livre c'est la densité de la mise en page : de longs paragraphes compacts, aux lignes serrées, sans respiration, sans dialogue, qui donnent une espèce d'uniformité étouffante au récit. Celui-ci se déroule selon le flux de pensées, de réminiscences, de questions, qui traversent l'esprit d'un jeune homme échoué sur une plage après un naufrage. Au rythme du ressac, il ressasse son histoire : un pays sous la dictature, les parents assassinés par l'armée, la nécessité de fuir, l'espoir de retrouver sa soeur et de s'installer avec elle dans un nouveau pays, la peur et le froid... Cette rumination mentale est traduite par la répétition des scènes passées et des sensations présentes, imposant une sorte de stagnation du récit qui elle-même correspond à la situation du personnage. La forme adhère donc parfaitement au fond. Si parfaitement qu'elle m'en a paru redondante car trop ostensiblement "signifiante".
Ce travail sur la forme m'est apparu trop visible et lisible, un peu comme si l'auteur balisait minutieusement la lecture et orientait le lecteur dans une direction qu'il aurait a-priori définie. Cette sensation de limite du champ interprétatif m'a énormément gênée et a pour beaucoup contribué à ma déception. le contenu des "Lignes de suite" présentes en fin d'ouvrage ont amplifié cette impression contraignante, comme si, à mon avis, l'auteur voulait s'assurer d'avoir été "bien" compris (j'ai failli écrire "bien lu"). Dommage que ce soit cette perception qui ait prévalu lors de ma lecture car certains passages sont vraiment émouvants. Quoi qu'il en soit ceci n'est que mon ressenti et j'invite chacun à se faire sa propre opinion !
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C'est l'histoire d'un Exil, un exil qui pourrait se situer dans n'importe quel pays, n'importe quel continent, une dictature qui pourrait toucher n'importe quel peuple, c'est le choix de fuir. C'est l'histoire de déchirures, de l'espoir de revenir, mais partir avant tout. Adèm est dans l'eau, dans la nuit, ses pensées racontent ses dernières heures passées, ses derniers mois, ces dernières années, sa vie. Sa soeur, sur la route avec lui. Sa mère, son père, l'oncle Virgile... qui lui a appris à nager, son village de montagne, la Zamti , John. Ce sont des souvenirs. C'est assez intemporel et paradoxalement très contemporain. Puis Adèm est seul sur les galets, incapable de remuer. Il poursuit son récit de souvenirs... jusqu'à la presque fin qu'il ne faut pas divulgacher.
Alain Giorgetti nous ramène à la réalité à la fin du récit. C'est brutal et attendu à la fois. Car si son récit est empreint de poésie, elle est là pour narrer une réalité. Pour expliquer nous dit-il à ses petits enfants d'où viennent tous ces gens, ces familles qui ont connu l'exil.
Merci aux éditions Alma et à l'opération Masse critique. C'est une découverte que je n'aurais probablement pas faite sans eux. Une découverte qualitative tant sur le plan de l'écriture que sur le thème.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Il fallait accepter que, le temps d'un voyage qui n'en était pas un, d'une aventure qui n'en était pas une, la vie vaille six mille dollars ici, dix mille là, au gré des règles et des barèmes qui nous ramenaient à l'état d'objets, de marchandises. Combien étaient-ils sur la barque qui nous a fait basculer dans l'eau? Ou plutôt, qui étaient-ils? D'où venaient-ils et pourquoi, comment, quels étaient leurs noms, leurs histoires, leurs visages? Un accident a fait trois victimes. Un incendie a fait treize victimes. Une explosion quarante sept. Une bataille deux cent soixante. Une avalanche, une coulée de boue, une éruption volcanique plusieurs centaines et le seul séisme de la terre de Jiaping, au Shaanxi, quelque 830000 morts en 1556. Mais ici, mais nous, rien.Personne ne sait rien , et personne ne saura jamais rien. Mariés ou célibataires. Seuls ou accompagnés de leur famille. Un enfant, deux enfants, quatre ou sept. Bien portants ou souffrant de maladies, et si oui, lesquelles. Riches, pauvres, misérables. Bons, braves, amicaux, désespérés, joyeux, fraternels, vindicatifs, amoureux, conspirationnistes, belliqueux, mélancoliques, artisans, syndicalistes, édiles, soldats, médecins, jongleurs, poètes, danseurs de corde, hommes, femmes, enfants, nourrissons. Rien. Rien mais des chiffres dans les journaux, des bulles médiatiques, des images aussi intenses que fugitives dépourvues de centre et de circonférence. Filaments grisâtres traînant au bas d'un nuage limbique, poussé par le vent.
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Des nouvelles nous sont parvenues sur l’état de la mer :
Une tempête s’est produite loin, très loin de nos cotes.
Sur les plages, des membres dispersés, des débris d’hommes
Racontent plus qu’un grand naufrage
Et dénoncent plus qu’une furieuse injustice.
D’où venaient ces gens,
Ce ne sont pas ces quelques poutres, elles mêmes brisées, qui nous l’apprendront,
Ni ces coffrets épars sur le sable, hermétiquement fermés,
Et qu’aucune force humaine n’est venue à bout d’entrouvrir,
Si bien qu’il les a fallu enterrer avec leurs secrets…
La nuit, parfois, le long de la mer un cri s’élève,
Qui s’éteint quand nous nous approchons,
Comme si une âme souffrait là parmi nous,
Comme s’il y avait là un regard que nous ne parviendrons jamais à rencontrer…
Deux fois la mer a rejeté ces débris vers nous dans de grands spasmes,
Les vents se sont déployés comme des chevelures violentes.
Un grand naufrage s’est consommé dont nous ne saurons jamais rien,
Mais qui nous ouvre à des choses dont nous sommes inconsolables.
Depuis ce jour, nos hommes se sentent seuls,
Et une lourde tristesse, plane sur nos îles.

Paul Gadenne.
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Parmi ceux qui attendaient avec nous, dans les dunes, certains en étaient à leur deuxième ou troisième tentative. Pourtant ça ne semblait pas les inquiéter outre mesure cette histoire de vingt minutes et de jauge de cent cinquante passagers ? C’est vrai, tu as raison, mais tout ça peut changer très vite, disait John. J’ai parlé avec le Cap, il est bien placé pour savoir combien les passeurs sont aux ordres. Ces mecs peuvent faire changer d’itinéraire à n’importe quel moment. Comme ils nous font changer de véhicule, tu vois bien. La seule chose dont je sois sûr, c’est que personne ne nous demandera notre avis. Méfiez-vous de tout le monde, avait dit et répété l’Oncle Virgile. Votre passage est prépayé. Quand vous arrivez là-bas vous appelez ce numéro, et ils encaissent. S’il y a le moindre problème, c’est moi que vous appelez. Je ne quitte pas mon téléphone tant que vous êtes sur les routes. Il pouvait y avoir les douanes, sur terre et sur mer. Les garde-côtes, l’armée même. Il y avait des rumeurs à propos d’avions aussi, d’hélicoptères qui rasaient le bord de mer pour faire peur. Il pouvait y avoir d’autres passeurs qui rachetaient les bateaux et les passagers allant avec. Des pirates même, tout pouvait arriver. Nous arriver. On parlait beaucoup de tout ça dans le camp, plutôt le soir, autour d’un café ou d’un brasero. Tout ça était vieux comme le monde. Les passeurs, les pirates, l’exil, le trafic, l’argent. Les gens faisaient probablement ça depuis des siècles. Aller d’île en île, d’une rive à l’autre, d’une frontière à l’autre sans demander leur autorisation ni aux États, ni aux gouvernements, ni à personne parce qu’ici, c’est chez eux. Transporter des choses dans un sens et dans l’autre. Transporter des gens. S’il y a bien un endroit de la mer, il y a des milliers de passe-droits. Les dieux, les héros, les rois, les conquérants, les capitaines, les soldats, les galériens, les corsaires, les croisés, les marchands, les pilotes, les pêcheurs, les plaisanciers… des populations entières ont vécu de cette manne infinie, de ce no man’s land sans bornes qu’est la mer. Une côte découpée, des criques à profusion, des plages inaccessibles, des archipels compliqués, des passes dangereuses, des vents violents. Tout, ici, dialoguait avec les éléments classiques de la tragédie. Depuis des siècles, les populations locales naviguent, commercent, prospèrent. Et les belles villas sur les hauteurs, les équipements sportifs, les rues bien entretenues, la Capitainerie ultramoderne du petit port, cette impression d’harmonie que l’on pouvait ressentir, de loin, toutes ces choses avaient une histoire autant qu’un prix. Un peu comme si la beauté masquait trop bien le danger. Comme s’il n’y avait pas d’écueils, de courants sournois, de hauts-fonds intraitables. Au fil des veillées, il se disait beaucoup de choses. Les on-dit, les potins, les calomnies se faisaient et se défaisaient d’eux-mêmes. Par contre, tout ce qui concernait les détails de la géographie locale, les relevés météorologiques, les histoires de marins et de pêcheurs, les erreurs de navigation, les naufrages célèbres, les sauvetages et tous leurs détails intéressaient au plus haut point la majorité d’entre nous. Chacun constituait ainsi une petite base de données. Noms de personnes fiables ou pas, âge des bateaux, réputation des équipages, des ports d’accueil, des ONG, des services de police. Chaque fragment de côte concentre son lot d’anecdotes, de spasmes et de souvenirs inconsolables. Certains écueils recèlent la narration d’un livre. Avec des navires maudits, des capitaines courageux, des hommes et des femmes, des enfants qui pleurent et des fantômes qui naissent. En face du port, à moins de deux kilomètres, il y avait ce que nos intermédiaires appelaient « l’archipel des légendes ». On pouvait soi-disant trouver des trucs sur internet. Mais le spécialiste de ce genre de choses au camp, c’était bel et bien Mauro. Il était avec nous depuis le passage de la frontière. Il avait dormi avec nous dans les bois et les ravins. On le remarquait facilement parce qu’il portait toujours son smartphone autour du cou, comme un bijou, une médaille. Mauro nous lut ce qu’il avait trouvé sur un site en anglais. L’archipel des légendes était un nom trompeur.
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Au bout du chemin muletier, entre Les-Hauts et les premiers alpages, notre Zamti habitait une fermette tout droit sortie d’un conte pour enfants. C’était la première fois que nous quittions la ferme si longtemps. Très vite nous avons senti que nous prenions des forces là-haut. Mais ce qui changea en partie le cours de notre existence, c’est que Maman commença à nous raconter ses histoires. Sans télévision, sans radio et sans livres, la petite maison paraissait bien vide, le soir. Repoussant nos cauchemars, c’est à cette période qu’elle inventa ce monde parallèle qui nous habite encore aujourd’hui. Un univers bis où notre père est un personnage de fiction. Soir après soir, elle le faisait évoluer dans notre normalité. Ce n’est pas un jeu, disait-elle. C’est la réalité que tous les trois, ensemble, nous jetons à la face du destin. C’est un petit signe qu’on envoie à votre père, où qu’il soit vous comprenez ? Alors c’est ça, me suis-je dit sur le coup. Elle aussi elle pense qu’il va revenir. Que c’est obligé. Il va revenir en empruntant le petit chemin de terre. En plein midi cette fois, pour annuler la tragédie de son arrestation nocturne ? Et habillé le plus dignement possible. Il ouvrira la porte de la cuisine, et il ira s’asseoir à sa place, à droite de votre grand-père. Et sa place sera tiède. Sa chaise ne sera pas froide. Elle ne sera pas de marbre, vous comprenez ? Et il parlera, ou il se taira, peu importe. Dans les deux cas, nous l’écouterons. Nous tournerons nos chaises dans sa direction et nous l’écouterons. Nous verrons enfin les mêmes choses que lui.
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Des dessins sur les portes des parties communes. Des tags sur les palissades et les vieux meubles. Des objets abandonnés qui rouillent à droite à gauche. Des cairns, gravés de noms propres, en haut de la colline. De nombreux Pérégrins étaient passés avant nous. D’autres arriveraient bientôt, qui étaient déjà en route, quelque part, à l’est de la côte. Bien que les informations de nos jours circulent à la vitesse de la lumière, il y a quand même un nombre extraordinaire de choses que l’on ne sait pas. Que personne ne sait. Y compris parmi nos Zôôôtes, comme disait Ida. Ils ne nous communiquaient aucune information. Restaient entre eux la plupart du temps. Lorsqu’un ordre leur parvenait, ils l’exécutaient sans broncher, comme de braves petits soldats. Et ils allaient où on leur disait d’aller. Un peu comme nous, en vérité. En théorie ils ne doivent pas se poser de questions. La méconnaissance qu’ils ont de nous tous et de chacun formant une muraille de protection. Ne rien savoir sur personne est moins risqué, surtout lorsque ce risque se nomme empathie ou compassion. Ne laisser naître aucun sentiment. Parler le moins possible, même s’ils ne peuvent s’empêcher de s’adresser aux femmes du camp. Aux plus jeunes de préférence, et plus encore à celles qu’ils trouvent jolies. Quelquefois ils parlent aux enfants accompagnés d’une mère célibataire ou d’une grande sœur. Les informations nous viennent donc majoritairement de l’extérieur et, un peu, de leur concupiscence.
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