Bénédicte et Guillaume sont jeunes et beaux. Ils s'aiment et ont une adorable petite fille de deux ans.
Une sieste câline, une rupture de préservatif, un rapide calcul : elle pourrait se retrouver enceinte, Guillaume trouve l'idée sympa. Mais pas Bénédicte - un poste important l'attend six mois plus tard, elle est interne en médecine. Ils oublient. Mais il y a bien eu conception, la grossesse se poursuit, et Bénédicte ne se rend compte de rien avant le cinquième mois, ses règles ont toujours été irrégulières. On appelle ça le déni de grossesse, et ça arrive dans tous les milieux, à tout âge, même chez des femmes ayant déjà été enceintes, même chez des médecins, la preuve.
Même si l'avortement est autorisé en France depuis 1975, la décision de mettre fin à une grossesse est rarement anodine pour une femme. Le choix est souvent douloureux, qu'on croie ou pas que l'embryon ait « une âme », et même si l'interruption de grossesse est à visée thérapeutique (pour la mère ou l'enfant). Anne Révah le montre brillamment dans ce texte, à travers la grossesse difficile de Bénédicte. Attachement précoce de la mère à son bébé, sentiment de culpabilité, dépression et isolement de la femme enceinte, retentissements sur le couple, réactions des proches, accueil médical, attente... - l'auteur décrit tout cela de manière à la fois subtile et émouvante, on s'y croirait.
Un roman superbe qui parle aux ventres des femmes, notamment à celles qui ont été confrontées un jour à cette décision, ou failli l'être pour des raisons de santé. A faire lire aux hommes (dès 18-20 ans) pour une prise de conscience : la Loi Veil est un formidable progrès, mais elle n'a réglé qu'une partie des problèmes des grossesses inattendues.
On dit qu'on naît et qu'on meurt seul, je pense qu'on avorte seule, aussi ; même si l'on est bien entourée, on reste « seule avec tout ça, le dégoût, la colère, la haine » (contre soi, mais aussi contre les autres et les circonstances qui ont influé sur le choix).
Commenter  J’apprécie         433
Un livre d'une grande finesse. Petit par le nombre de pages et d'un contenu si dense. Aucun mot superflu. J'ai adoré.
Commenter  J’apprécie         10
Elle se souvenait qu'en seconde année de médecine, un professeur d'histologie, farouche opposant à l'IVG, catholique traditionaliste, avait organisé dans le grand théâtre de sa faculté un débat piégé sur l'IVG. Bénédicte avait à peine vingt ans.
Il leur avait fait un mauvais discours introductif, un rictus lui tordait la bouche et ses cheveux lissés vers l'arrière lui donnaient un air sévère.
Il leur avait expliqué que l'IVG était une boucherie inhumaine, une extermination, et puis pour étayer son faible propos, il leur avait montré un film, on y voyait de l'intérieur une aspiration, un tube dans un utérus qui enlevait le foetus, le disloquait. Elle avait eu envie de vomir. Les étudiants avaient sifflé devant l'écran géant qui leur vomissait dessus en noir et blanc. Ils avaient poussé des cris, traité l'histologiste manipulateur de fasciste. Et puis dans un brouhaha assourdissant, une voix plus ferme avait réclamé le silence, pour qu'un débat puisse avoir lieu.
(p. 127-128)
Il y avait eu un processus psychologique, un état difficile à décrire où le corps n'avait pas entendu ce qui se passait en lui. Mais voilà qu'à la seconde où la gynécologue lui confirmait d'une voix ferme et chaleureuse qu'elle était enceinte, Bénédicte ouvrait ses yeux sur ce qui venait de se passer en elle pendant des semaines. Jusque-là elle n'avait pas vu, pas senti, pas reconnu les signes de la grossesse, et pourtant au fond, elle savait très bien, elle avait pleinement su, senti, sans rien pouvoir reconnaître. Elle avait su, dans l'ignorance qu'une partie d'elle avait cherché à lui ordonner. Elle s'était soumise à l'ignorance imposée, elle avait obéi à la partie d'elle qui ne voulait pas d'enfant. Parce qu'une partie d'elle n'avait pas voulu d'enfant, mais pas du tout, pas maintenant, pas d'enfant, et c'était tout son corps qui avait fait en sorte de ne pas voir, de ne pas sentir.
(p. 43-44)
Au début il n'y avait que de la tristesse, et un tout petit peu d'espoir que tout s'arrange finalement, puis progressivement il y avait eu un effondrement invisible, l'installation d'une tristesse incommunicable, sans larme, et enfin il y avait eu la phase des larmes ininterrompues, une tristesse sans tristesse. La dissolution. Elle avait entendu ce mot pour l'Assemblée nationale, dissolution, c'était ce qu'elle vivait, elle ne pouvait pas l'expliquer avec des phrases, des détails, des métaphores, c'était physique.
(p. 109-110)
Guillaume avait dit au docteur Flévine qu'ils ne voudraient pas « le » voir, qu'ils ne voudraient pas savoir si c'était un garçon ou une fille, qu'ils n'étaient pas capables d'en savoir quelque chose, qu'il faudrait qu'on les laisse tranquilles, que personne ne devrait plus leur parler de tout ça. Il pleurait.
(p. 107)
Anne Révah vous présente son ouvrage "À ma reine" aux éditions Mercure de France.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2608024/anne-revah-a-ma-reine
Note de musique : © mollat
Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
Visitez le site : http://www.mollat.com/
Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux :
Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/
Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts
Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/votre-libraire-mollat/
Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat
Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/
Vimeo : https://vimeo.com/mollat
+ Lire la suite