Grâce à Babelio et à L'Editeur, j'ai eu le plaisir de découvrir un très beau texte de
Mikaël Hirsch, doublé d'un roman intéressant dont le sujet est moins Céline (ce que je croyais en raison de l'actualité, le cinquantième anniversaire de sa mort) que Paris et une balade passionnante à travers la culture des années 50, qui méritera une seconde lecture pour l'approfondir.
J'avais sélectionné
le réprouvé dans la liste du programme Masse critique organisé juste avant Noël sur la base du résumé suivant :
Lundi 6 décembre 1954, l'
Académie Goncourt s'apprête à décerner son prix à
Simone de Beauvoir. Comme chaque semaine, Gérard Cohen, garçon de courses chez Gallimard, se rend chez
Louis-Ferdinand Céline qui vit à Meudon comme au purgatoire : le débutant se confronte alors au génie, l'adolescent au vieil homme et le juif à l'antisémite. Celui qui ne fut pas vraiment un martyr doit faire face à celui qui ne fut même pas un bourreau. La '' visite au grand écrivain '' devient alors une remontée du fleuve, dans les méandres de la mémoire et les profondeurs de la jungle. Peinture du milieu littéraire des années cinquante, errance dans un Paris disparu,
le réprouvé est un grand roman initiatique.
COUP DE COEUR
Si je m'attendais à un texte ardu, il n'en est rien. Fluide et agréable, sans poncifs, l'écriture invite le lecteur à suivre le fil d'Ariane que l'auteur déroule pour lui. Les tours et détours du narrateur sur sa moto sont l'occasion de merveilleuses pages d'errance descriptive dans un Paris disparu : les jardins du Palais royal, les pavillons des Halles, les usines de l'île Seguin, les remparts des faubourgs... L'histoire permet également d'entrer dans l'intimité de la maison Gallimard alors dirigée par Gaston, de sa rivalité avec Grasset avant qu'il ne soit racheté par Hachette et de la bataille renouvelée chaque année pour l'obtention du prix Goncourt. Leur garçon de course, Gérard Cohen, en sait tous les secrets et connaît in vivo la plupart des auteurs du prestigieux catalogue. Grâce à ses parents, il a vécu dès l'enfance dans le cercle étroit et la proximité réservée d'écrivains renommés. Tous ne l'impressionnent cependant pas au même titre que
Louis Ferdinand Céline.
Demi-juif élevé dans l'absence de tradition religieuse mais obligé de se cacher sous la couverture d'un nom d'emprunt durant l'Occupation, il veut percer les raisons de la haine viscérale de l'antisémite radical. Craignant au début d'être trahi par des caractéristiques physiques révélatrices, il se laisse emporter peu à peu par l'intérêt que suscite, derrière le masque de l'écrivain fatigué, la personnalité du docteur Destouches.
De son côté, le misanthrope cinquantenaire, reclus volontaire à Meudon, s'habitue à la venue régulière du P'tit Gérard, porteur des missives de son éditeur. de retour d'exil, l'auteur de
Voyage au bout de la nuit ne semble pas devoir retrouver un jour le chemin du succès. de nouveaux auteurs ont pris place sur la scène littéraire parisienne. L'année de la mort de Colette, l'élue de l'académie est
Simone de Beauvoir pour Les madarins. Pourtant, le vieux fauve n'a rien perdu de sa vindicte et éclate en imprécations soudaines contre les jaunes, les rouges, les noirs... devant Gérard qui fait de ses visites contre-nature le terreau de sa maturation intellectuelle.
L'histoire rapporte les doutes et le cheminement du jeune homme - trop juif pour les uns, pas assez pour d'autres - qui tente de biaiser avec lui-même, ne se reconnaît d'aucune communauté et peine à ressentir un sentiment d'appartenance, mais aussi à se démarquer de sa famille et de son éducation.