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Jean-Louis Besson (Traducteur)Henri Christophe (Traducteur)
EAN : 9782910846886
787 pages
Agone (10/01/2005)
4.35/5   17 notes
Résumé :

Au secours, les tués ! Assistez-moi, que je ne sois pas obligé de vivre parmi des hommes qui, par ambition démesurée, ont ordonné que des cœurs cessent de battre, que des mères aient des cheveux blancs ! Revenez ! Demandez-leur ce qu'ils ont fait de vous ! Ce qu'ils ont fait quand vous souffriez par leur faute avant de mourir par leur faute ! Cadavres en armes, formez les rangs et hantez leur sommeil. Avancez ! Avance, c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Véritablement exceptionnel.
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Présent comme fantôme méconnu de la littérature européenne « moderne » dans de nombreuses oeuvres — dont ce « Royaume » de Gonçalo M. Tavares que j'ai tenté, rejoignant quelques amis, de vous faire découvrir il y a peu — Karl Kraus est bien ce génie oublié qu'il faudrait redécouvrir de toute urgence.
Tenter d'expliquer ce relatif anonymat en francophonie nécessiterait d'explorer en exposant une oeuvre avant tout politique, qui aurait le tort de n'être résumable en quelques lignes, trait que la presse aura de tout temps tendance à user, empirant à mesure que le bit remplace l'encre et le papier.
...
Je m'en abstiendrait donc, ne voulant pas perdre de potentiels lecteurs, comprenant aisément leur frayeur à aborder ce genre d'oeuvre, dont le sombre éclat ne préfigure facilement le grand moment de littérature offert par ces confidentielles éditions Agone, qui ont l'habileté de se présenter « en deux mots » :

« Issues d'une revue du même nom, née à Marseille en 1990, les éditions Agone se sont construites sur une ligne éditoriale soucieuse des luttes de notre présent et soumise aux exigences du savoir. Au moment où le marché du livre se caractérise par un emballement productiviste qui pousse les éditeurs, pour imposer leurs marques, à publier toujours davantage d'ouvrages de moins en moins maîtrisés et dont la durée de vie est toujours plus courte, nous avons opté pour la lenteur d'une politique de fonds. Aussi nous démarquons-nous de la logique du marketing, qui prétend financer la création sur la base des nécessités du compromis : notre pari fut de ne jamais publier un livre pour le seul motif de sa rentabilité, de ne pas choisir un auteur sur le seul critère de sa notoriété et de ne pas traiter un sujet en vertu de sa seule actualité. Ce projet éditorial répond à un projet politique : proposer des livres qui fournissent au plus grand nombre des outils pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. »

(J'y reviendrai en fin de critique, n'arrivant toujours pas à commencer ce qui aurait dû être un texte « accrocheur »…)

Imaginez une pièce qui ne pourrait être jouée autre part que dans un « théâtre martien », et qui adopterait ce format afin de se rapprocher le plus de ce que serait de la « littérature filmée », volonté de l'auteur de nous livrer un texte au plus proche de la Vérité, y intégrant de nombreux dialogues captés sur le vif, mêlé avec les éditoriaux et articles de presse de l'époque.
Un ensemble qui rendrait mieux qu'aucun autre l'ambiance d'une époque, 1914, Vienne, et sa société va-t-en-guerre ; plus efficace qu'un texte avec narrateur et galerie de personnages qu'il faudrait introduire, puis épaissir ; bref, mieux qu'un roman, afin de s'échapper du point de vue, avec ce théâtre qui se jouerait sur la scène de l'objectivité.
Bien-sûr impossible à atteindre, cette ambition du Vrai nous a rarement semblé aussi proche. Les nombreux personnages sont soit réels — chacun renvoyant à un glossaire en fin d'ouvrage les présentant succinctement ; pas forcément nécessaire, laissant le loisir au lecteur se s'y référer ou non — soit inventés, où l'auteur les nomme à l'aide de savoureux jeux de mots, que les traducteurs ont adapté le mieux possible en notes de bas de page. Ce travail d'ailleurs, colossal et admirable, a été confié à Jean-Louis Besson et Henri Christophe, et mériterait à lui seul une mise en lumière.

Il faudrait insister avant tout sur l'humour ravageur de ce texte, mêlant absurdité, comique de répétition, féroce ironie, formant un impossible monument tragi-comique, seul à même de rendre digeste cette fresque de la Grande Guerre, cette der des Ders, à la manière d'un Beckett ou d'un Ionesco, avec quelques décennies d'avance…
Le qualificatif de « moderne » n'est d'ailleurs pas suffisant pour qualifier cette oeuvre qui, sous couvert théâtral, agrège poésie, chanson, reportage, pensées et aphorismes, histoire et reportage d'actualité, où Kraus invite le lecteur-observateur d'une oeuvre à mesure qu'elle s'écrit, témoin des dialogues entre les personnages du « râleur » et de « l'optimiste », matérialisant l'auteur et sa conscience morale (ou ce qu'il en reste…), prophétisant lors de l'acte IV son arrestation, écrivant début 1918 :
« (…), actuellement il ne peut paraître. Cela coûterait à l'auteur sans doute la liberté et, pour peu que la généraille ait des velléités de dictature juste avant la tombé du rideau, sa tête même qu'en dépit des offensives d'imbécilité il a su garder durant quatre ans de guerre. Il paraîtra lorsque cette aventure technico-romantique, ce défi lancé à l'humanité par la quantité, sera asphyxié par une quantité plus grande encore. Lorsque cette glorieuse forfaiture, qui, pendant l'heure où nous parlons ici, métamorphose pour rien, absolument rien, des milliers d'êtres en cadavres ou en estropiés, sera achevée et aura échappé aux regards de basilic abêtissant jetés par l'office de contrôle militaire. »

Son pacifisme n'est pas uniquement issu de la Morale, il est une réaction face à un système, un mécanisme d'auto-défense intellectuel, qu'il brandit à la face du monde tel un flambeau, titre de ce journal « Die Fackel », qu'il publiera une grande partie de sa vie, le long des tremblement de l'histoire, s'achevant de manière élusive à montée du nazisme, et sa mort en 1936.

Nous sommes donc en présence d'un authentique chef-d'oeuvre, hors des normes, usant de la forme théâtrale écrite comme construction inédite, d'un auteur qui pourrait réhabiliter le qualificatif de « réactionnaire » (comme l'affuble sa notice wikipédia, dite « de qualité »), dont l'oeuvre a pu fasciner comme terroriser ses contemporains, tel Elias Canetti qui lui a consacré plusieurs textes teintés d'une admiration résignée.

Avant de clôturer sur le dernier passage de « lucidité » de l'auteur, par la voix du seul Râleur, précédant l'impressionnant déluge de feu de son épilogue, grandiose et déchirant, on remerciera à nouveau Agone, avec l'aide du CNL et de la région PACA, d'avoir réalisé cet indispensable travail d'édition, réparant ce silence de plusieurs décennies, peut-être gêné par cette complexité supposée, confirmant les craintes exprimées par KK sur l'appauvrissement de la langue, dont un certain journalisme déclinerait ses responsabilités, vivant au jour le jour sans souci pour la vérité…

LE RÂLEUR : « Il est donc cinq heures. La réponse est là. L'écho de ma démence sanglante, plus rien d'autre ne monte de la création brisée que ce cri par lequel des millions de mourants m'accusent de vivre encore, moi qui avait des yeux pour voir le monde, moi dont le regard l'a touché si juste qu'il est devenu comme je l'avais vu. Si le ciel a eu raison de le laisser faire, il a eu tort de ne pas m'anéantir plus tôt ! (…) Pourquoi n'ai-je pas été doté de la force physique pour abattre d'un coup de hache le péché de cette planète ? Pourquoi n'ai-je pas été doté de la force mentale pour contraindre l'humanité outragée à pousser un énorme cri ? Pourquoi mon appel n'est-il pas plus puissant que cet ordre lancé d'une voix chevrotante, qui régentait les âmes sur le globe terrestre ? Je conserve des documents pour une époque qui ne les comprendra plus ou vivra si loin d'aujourd'hui qu'elle dira que j'étais un faussaire.(…) J'ai écrit une tragédie dont le héros qui succombe est l'humanité, et dont le conflit tragique, celui du monde avec la nature, se conclut par la mort.Hélas, ce drame n'ayant pas d'autre héros que l'humanité, il n'y a personne pour l'entendre ! (…) »

Espérons que par ces quelques lignes il sera davantage entendu, ses leçons ne risquant toujours pas d'être écoutées.
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Beau livre de Karl Kraus. L'écrivain n'a rien inventé c'est un collage de faits qui se sont produits. Une fresque apocalyptique...
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
L'humour n'est que le reproche à soi-même de quelqu'un qui n'est pas devenu fou à la pensée d'avoir gardé le cerveau intact en témoignant de cette époque.
Seul lui, qui livre à la postérité la honte de sa participation, a droit à cet humour. Quant à ses contemporains, qui ont toléré qu'adviennent les choses décrites ici, qu'ils relèguent le droit de rire derrière le devoir de pleurer.
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Ils avaient l'impression de conquérir le marché mondial -- le but pour lequel ils étaient nés -- en armure de chevalier ; ils doivent se contenter d'une affaire bien moins reluisante : bazarder la ferraille à la brocante.
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Il ne faut pas généraliser. Dans la mesure où, de toute évidence, les multiples preuves ne sauraient être méconnus, il ne reste qu'à concentrer son attention sur les exceptions.
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J'aime m'entretenir avec vous, vous donnez la réplique à mes monologues.
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Video de Karl Kraus (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Karl Kraus
Le 15.10.2018, Jacques Munier évoquait dans le Journal des idées ?Karl Kraus?, de Walter Benjamin.
Dans la catégorie : ThéâtreVoir plus
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