Par ses consonances, «
Norferville » évoque un lieu où personne n'aurait réellement envie de se rendre. Nord. Enfer. Ville. Dans son nouveau roman,
Franck Thilliez emmène son lecteur dans le Grand Nord canadien, «
La chambre des morts »… de glace. Territoire isolé dont la plus proche ville, Sept-Îles se situe à 800 kilomètres de là (soit environ à 13 heures de train), où l'hostilité du climat subarctique révèle sa toute-puissance. Froid polaire, vent glacial, nuits interminables d'hiver attaquent les corps et les esprits dans «
La forêt des ombres » humaines. Cette étendue de terre en pleine nature inhospitalière devient le théâtre de disparitions de femmes, puis de corps retrouvés. «
Fractures » d'une paix toute relative, où «
Rêver » à ce silence offert par la neige devient utopique. S'ajoute à ces évaporations féminines, la découverte du corps quasi nu et mutilé de Morgane Schaffran, une Française arrivée sur le territoire depuis peu. «
Vertige » pour son père, Teddy qui quitte précipitamment la France pour reconstituer ce mystérieux «
Puzzle ». Dans cet enfer blanc, l'homme n'est pas le bienvenu, mais la femme, elle, est une cible perpétuelle.
Ambiance, « Aucune route ne menait à
Norferville. Aucune route ne permettait d'en sortir. Elle était une triste prison au milieu de la taïga. » Danger, «
Norferville… le monstre aux crocs de fer et aux yeux jaunes qui perçaient dans la forêt resurgissait des ténèbres. » Dessein, « Cette ville maléfique la rappelait à elle pour régler ses comptes. »
Franck Thilliez propose un récit d'ambiance où le lieu est le personnage principal. Grâce à cette atmosphère venimeuse où le moindre faux pas coûte cher, l'angoisse claustrophobique irraisonnée qui se dégage de chaque page, l'écrivain instille sous vos yeux et dans votre chair, des flocons d'inquiétude, des tourbillons de terreur jusqu'à vous faire souffrir de phobophobie et de sociophobie, alors que vous êtes bien installés au coin du feu dans votre fauteuil. le décor est le point d'orgue de «
Norferville » la maudite, cité minière adossée à des réserves autochtones où l'on arrive par le « tshiuetin », vent du nord en langue innue, ce train mythique qui permet aux populations isolées de se déplacer sans savoir réellement si l'on pourra repartir.
Car à «
Norferville », deux communautés s'opposent, et c'est précisément ce qui apporte au récit un second point d'ancrage. « Norfeville, c'est un autre monde. Il faut le voir pour le croire. Un territoire de glace coupé de tout où des Blancs et des autochtones essaient de cohabiter avec, entre eux, l'exploitation d'une gigantesque mine de fer. » Une population blanche qui cherche à exploiter le territoire, une communauté Innue qui veut absolument le préserver. «
Norferville, c'est aussi des Blancs et des autochtones qui essaient de vivre ensemble, mais c'est comme tenter de mélanger de l'huile et de l'eau. » Parmi les autochtones, l'accent est mis sur les femmes, souvent victimes de violences, dans l'impossibilité de parler ou de se défendre : le silence assourdissant de ces voix autochtones résonne dans la nuit polaire. Dans ces conditions, difficile de préserver les traditions, de les transmettre ou même de les faire entendre. Les disparitions, les corps sans vie retrouvés demeurent des « incidents » vite classés et très vite oubliés. Sauf pour la dépouille de Morgane, française, non autochtone sur laquelle son père, criminologue, veut faire toute la lumière. Il lui faudra comprendre «
La faille » de cette société si singulière.
Pour ce faire,
Franck Thilliez met en scène deux personnages clés, Teddy Schaffran venu de France et Léonie Rock qui a vécu ses jeunes années à «
Norferville », mais a fui la région durant 20 ans tant le souvenir de ce qu'elle y a vécu reste vivace et traumatique. Léonie travaille désormais à la Sûreté du Québec où elle exerce la fonction de lieutenant des crimes majeurs et revient pour enquêter sur la mort de Morgane. Son retour sonne le glas des plaies qu'elle charrie en elle. « Léonie Rock avait la malchance d'être métisse. Innue et blanche, mais surtout ni innue ni blanche. » Issue de cette communauté de femmes autochtones, l'écrivain distille à travers elle des problématiques inhérentes à la condition des femmes amérindiennes et les manquements du gouvernement canadien à leur encontre. le roman nous plonge alors dans l'histoire de ce peuple, du racisme ordinaire à la cure géographique, une tragédie aberrante que je vous laisse découvrir. Vous apprendrez aussi ce qu'est un déshabillage paradoxal… Tout un programme ! Quant à Teddy, c'est un père meurtri, un père qui a failli, fâché avec sa fille depuis des années. Que faisait cette dernière dans un endroit aussi isolé de toute civilisation et surtout qui s'est acharné ainsi sur son corps ? le duo Léonie – Teddy fonctionne à merveille, car, en plus de l'enquête, j'ai eu l'impression qu'ils s'apportaient réellement une forme d'enrichissement l'un à l'autre. Ils sont chacun le guide de l'autre, l'un pour le lieu, l'autre pour l'expertise. L'enrichissement apporté par chacun semble les rendre indestructibles.
Outre l'enquête toujours passionnante «
Norferville » transporte par son ambiance glaçante, presque granitique. le roman hypnotise autant qu'il fertilise les esprits, tant il offre un instantané d'une société et de ses problématiques. Les voix des femmes autochtones, ces « Maudites sauvageresses » comme le tance un des personnages, hurlent longtemps une fois le livre refermé. Leurs disparitions hantent le gouvernement canadien… à raison. Encore une fois,
Franck Thilliez parvient à harponner son lecteur, tant sur la forme que sur le fond. Une lecture hors du temps qui saura vous réjouir et vous emporter. Rien à dire :
Thilliez reste le patron !
Lien :
https://aude-bouquine.com/20..