Son talent est formidable, elle n'a jamais été égoïste : ses nouvelles ont un éclat subtil, discret, caché. Quelquefois mêmes autobiographiques: “Je crois qu'elles sont les premières et dernières – et les plus proches – choses que j'ai à dire sur ma propre vie.”
Elle est née en 1931. Elle décrit une mère belle, ambitieuse et insatisfaite, et un père avec qui elle avait plus de rapport mais qui la battait avec une ceinture, "pas une punition rare à l'époque". Elle décrit la maison d'un voisin dans une région rurale de l'Ontario “… que nous ne visiterions ni ne connaîtrions jamais et qui était pour moi comme la maison d'un nain dans une histoire. Mais nous connaissions l'homme qui vivait là-bas… Il s'appelait Roly Grain, et il n'a plus aucune part à ce que j'écris maintenant, malgré son nom de troll, car ce n'est pas une histoire, seulement la vie."
Ce "seulement la vie" nous interpelle avec son implication que la fiction peut être - et faire - plus. Roly Grain nous rappelle comment fonctionnent les nouvelles de
Munro. Elle a un don pour présenter des personnages qui semblent être des figurants mais qui redirigent et transforment le récit. Dans "Train", un vagabond - un ex-soldat - se réfugie dans une ferme avec une femme et y reste. Dans le magistral "En vue du lac", une femme effrayée de perdre la mémoire et un inconnu, rencontré par hasard dans son jardin, devient presque un intime.
Munro est perspicace sur la façon dont les gens se perturbent les uns les autres. Si Roly Grain n'avait pas été incommodément réel, elle lui aurait tendu une histoire et l'aurait laissé courir avec.
Qui plus est, elle aurait décrit son personnage en une ligne. Lisez cette description extraordinairement concise de fierté: "Il y avait toujours cette hésitation et cette légèreté étranges en elle, comme si elle attendait que sa vie commence." Les histoires de
Munro se terminent souvent ainsi: "Elle attendait juste ce qui devait arriver ensuite." Et nous sommes heureux de ne pas en savoir plus, de laisser le temps s'arrêter.
Formidable prix Nobel qui de temps à autres fait connaître de vrais écrivains. Combien étions-nous avant 2013, en France qui avions lu
Alice Munro ?
Sommes-nous aujourd'hui beaucoup plus ? Tristesse des récompenses littéraires qui laissent entendre aux lecteurs que de petites autobiographes peuvent se comparer à d'immenses écrivains... Il est vrai qu' 'ce sont des recueils de nouvelles pas des romans. Voilà qui est déjà en soi une déception. L'autorité du livre en parait diminuée, cela fait passer l'auteur pour quelqu'un qui s'attarde à l'entrée de la littérature, au lieu d'être assurément installé à l'intérieur.'
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