Ce petit recueil de
Kenji Miyazawa m'attendait depuis longtemps dans ma vertigineuse pile de livres à lire. Tout petit, il ne s'imposait pas et se laissait facilement oublier. Et puis, attirée par la poésie de son titre, invitation au voyage, et la couverture du recueil de nouvelles qui appelle à la rêverie et à la douceur, je l'ai enfin choisi.
«
Train de nuit dans la voie lactée » se compose de trois nouvelles, la dernière ayant donné son nom au livre.
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Ce petit intermède entre deux lectures plus imposantes, entre rêve et réalité, est une belle réflexion sur l'enfance, l'amitié, le don de soi, la recherche du bonheur, la religion, mais également une réflexion sur des sujets plus graves comme la mort, l'absence de l'être aimé, la peine ou plus contemporaine comme la préservation de la nature.
Tous ces thèmes sont indissociables de son auteur. Si l'on veut vraiment comprendre les écrits de Miyazawa, il faut comprendre qui il était. Ses nouvelles dévoilent en partie sa vie, ses peines, ses pensées, sa philosophie.
Profondément marqué par le décès de sa soeur, il s'est tourné vers une vie spirituelle.
Sa foi imprègne chacune des nouvelles de ce recueil. On y retrouve les cinq Éléments du bouddhisme : la Terre, l'Eau, le Feu, le Vent et l'Espace (ou le Vide).
En lisant ces courtes nouvelles, j'y ai retrouvé l'esprit de
Hayao Miyazaki, son imaginaire merveilleux et poétique.
J'y ai retrouvé également l'atmosphère insolite et mystérieuse de l'auteur de jeunesse
Chris van Allsburg. Chaque nouvelle commence par une scène très réaliste. Et puis très subtilement, l'auteur insuffle un climat surréaliste et mystérieux.
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C'est avec « Gauche le violoncelliste » que je suis entrée dans l'univers si particulier de l'auteur. Cette première nouvelle, un peu déroutante au départ, est une jolie petite fable qui nous rappelle qu'il est important de ne pas abandonner ses rêves, que le courage, la persévérance et la rigueur mènent à la réussite.
Gauche le violoniste rêve d'être un grand artiste reconnu.
Mais, malgré son travail acharné, il reste un violoniste sans talent.
Désespéré, il recevra une aide inattendue et surprenante. Mais sera-t-elle suffisante pour atteindre la perfection ?
« Quand minuit fut largement passé, il lui sembla qu'il ne savait plus très bien s'il jouait ou non ; son visage était devenu écarlate, ses yeux injectés de sang, il avait une expression tout à fait effrayante et paraissait à tout instant sur le point de tomber.
À ce moment-là, « Toc-toc-toc ! » quelqu'un frappa à la porte de derrière. »
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La deuxième nouvelle est « Matasaburo le vent ». Il se dégage de cette nouvelle beaucoup de fraîcheur et de candeur à l'image de ces enfants qui accueillent dans leur classe, un nouvel élève un peu étrange. Son arrivée coïncide avec l'arrivée précoce de l'automne avec son vent léger. Très vite, les enfants vont associer leur nouveau camarade à Matasaburo, le dieu du vent.
La magie enrobe délicatement cette petite histoire, qui se mélange à la réalité. Il n'y a pas vraiment d'intrigue, l'auteur incorpore des petites leçons de vie dans le quotidien de ces enfants, leurs jeux, l'école et les enseignements de leur maître. Mais la présence du vent enveloppe le récit d'une présence magique.
Je me suis représentée cette scène de fin d'été, ces enfants jouant, insouciants et rieurs, au bord de la rivière, juste après l'école, le vent soufflant, toujours là.
« À ce moment-là déjà, de nombreux nuages noirs avaient envahi le ciel, les saules aussi avaient pris une drôle de couleur blanchâtre, toutes les plantes de la montagne s'étaient obscurcies, les environs s'étaient transformés, de manière indéfinissable, en un paysage terrifiant. »
La nature est très présente dans l'oeuvre de
Kenji Miyazawa, mais ici, elle enveloppe toute chose. Les montagnes, les forêts, les rivières, les étoiles, la terre, les animaux, les plantes et le vent invisible, mais omniprésent.
Le vent, tout à la fois, doux comme une caresse, dansant, chantant, mais aussi violent et menaçant.
« Cette chanson qu'il avait entendu chanter par Matasaburo peu de temps auparavant, Ichiro l'entendit de nouveau en rêve.
Surpris, il se leva d'un bond et vit que dehors soufflait un vent particulièrement violent ; le bois paraissait hurler, les lueurs pâles, bleutées de l'aube proche éclairaient les portes tendues de papier opaque, le boîtier de la lanterne, sur l'étagère, et s'insinuaient dans toute la maison. »
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Enfin, la dernière nouvelle, «
Train de nuit dans la Voie lactée », est sûrement la plus émouvante et la plus profonde. Il est dans la nature des rêves d'échapper à la réalité.
Plus qu'une histoire, c'est un voyage qui se dévoile lentement.
La nuit de la fête du Centaure
Pour la nuit des étoiles, les enfants, joyeux, ont fabriqué des lampes lumineuses avec des tricosanthes afin de les faire flotter sur la rivière.
Giovanni, du haut de la colline plongée dans le noir, embrasse la rivière pareille à un champ d'étoiles.
« Les lumières des rues qui s'allumaient au milieu des ténèbres donnaient au paysage l'aspect d'un temple sous-marin… »
Et puis, il se retrouve à voyager à bord d'un train qui suit les méandres de la rivière du ciel. Dans le train, des voyageurs, des inconnus et une camarade de classe. Ces étranges rencontres l'aideront à comprendre le sens de son voyage.
« …brusquement devant lui le paysage devint très clair comme si, d'un seul coup, on avait pétrifié le feu de mille milliards de seiches phosphorescentes et qu'on l'avait immergé au milieu du ciel, ou bien comme si quelqu'un avait soudain renversé tous les diamants que, afin que les prix ne soient pas trop bas, on ne montre pas, délibérément, dans certaines entreprises où l'on place les pierres en des endroits cachés, et qu'on les avait tous éparpillés ; tout étincelait devant Giovanni ébloui qui se frotta les yeux plusieurs fois. »
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Reconnu et devenu célèbre après sa mort,
Kenji Miyazawa est un des auteurs les plus lus au Japon. Destinées à un jeune public, ces nouvelles abondent d'images, de références au bouddhisme et de messages profonds et oniriques qui plairont surtout aux adultes.
Un livre atypique, énigmatique et déroutant, un univers poétique qui se découvre, magique, mystérieux et touchant, une invitation aux rêves.
« Mais il avait beau regarder longuement le ciel, il ne pouvait imaginer que c'était un lieu vide et glacé comme l'avait dit le maître ce matin. Bien au contraire, plus il le regardait et plus il croyait qu'il y avait sûrement là-bas des champs, des petits bois, des pâturages. »