Une longue route
pour m'unir au chant français
François Cheng
récit
Albin Michel, 2022, 244p
Voici le livre d'une vie -Cheng a 92 ans- pour laisser une trace non pas en tant que sage, mais disant qu'il a vécu, qu'il a participé à l'aventure de la Vie, intimement liée à la mort, qui n'est pas néant mais transfiguration, et qui fait vivre ensemble ceux qui sont morts et ceux qui sont en train de vivre.
A 15 ans, il s'est éveillé à la
poésie, et s'est montré très sensible au thème de l'eau, avec son pouvoir de métamorphose et de transmutation, de création. Cheng est résolument dans le mouvement et le devenir, ce qui répond à sa conception de la vie et d'une certaine manière de l'éternité, et à la forme du quatrain, exorde, développement, tournant ou montée, nouvelle ouverture, qui évoque celle de la spirale. Au reste, la dissertation sur l'eau qu'il a écrite à cet âge, il la garde précieusement dans ses papiers.
Poétiquement, il est très proche de Rimbaud, mais surtout de
Rilke. C'est un poète orphique, qui a conscience que seule la puissance de l'amour peut fonder un règne au-delà de la mort. Il s'oppose ainsi à
Adorno qui trouvait barbare le fait d'écrire un poème après Auschwitz.
L'apprentissage du français fut pour ce Chinois en plein désarroi, qui a voulu rester seul en France, une longue route faite de patience et d'exigence, et de dépassement de la solitude. Il vénère cette langue, qu'il trouve musicale,-il en témoigne avec son analyse de L'invitation au voyage- et veut tout connaître d'elle, ses difficultés syntaxiques, ses formulations littéraires, le sens exact et exhaustif de chaque mot qui n'a pas de synonyme. Il vaut par lui-même. Il a assisté aux séminaires des grands intellectuels. Il s'est porté vers la sémiotique.
Son parcours est tissé de rencontres, Vercors,
Gide, Michaux, entre autres.
Fort de sa connaissance profonde de la cuture française, il rapproche l'Occident de l'Orient, unissant la voix orphique et la Voie du Tao.
J'ai beaucoup aimé les trois quarts du livre qui retracent son parcours solitaire de conquête et de bonheur, la dernière partie montre un homme reconnu à qui, comme il se doit, les honneurs reviennent. Cependant, c'est un livre stimulant.