France, la soixantaine est fortement marquée par des cruautés vécues pendant son enfance.
Pour survivre, elle est devenue un être machiavélique pour parvenir à ses fins.
Elle veut acquérir un tableau pour sa galerie d'art et est décidée à dépouiller son mari et sa belle-fille de leurs biens pour payer l'oeuvre d'art.
Pendant tout le roman, un suspense haletant va s'engager et Barbara Abel emploie de nombreuses ficelles pour varier et relancer l'action.
Jusqu'aux dernières pages, le lecteur n'est pas fixé, il faut vraiment un élément surprise pour lancer le mot "fin".
Les courtes parties où on lit qu'une dame conduit Ludo voir une mourante entretiennent le mystère : on se demande si c'est la jeune Marion ou la démoniaque France qui vit ses derniers instants.
Ce qui m'étonne chez Barbara Abel, c'est la qualité du style, de l'écriture par rapport aux faits d'une cruauté certaine.
L'expression une "main de fer dans un gant de velours" lui va très bien et à la lectrice que je suis également car je n'aime pas les textes trop abrupts de certains polars.
Epoustouflant...
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Elle n'a qu'un mot à dire : "oui". Ce simple petit mot que Paul [son père] lui a si souvent répété durant son enfance. Car c'est si facile de dire "oui". Même si l'on sait que la réponse est "non". Les "non" sont d'affreux trolls au nez crochu qui coupent la langue des parents et font pleurer les enfants. C'est la porte ouverte aux disputes, aux tensions, aux longues soirées conflictuelles.
Il faut ensuite discuter, expliquer la raison de son refus, tenter de détourner l'attention sur autre chose, une chose que l'on peut promettre et qui a autant de valeur que celle pour laquelle on a dit "non". C'est fatigant. Ça demande une énergie folle, ça fait perdre du temps. Tandis qu'avec un "oui", tout est plus simple. On verra plus tard. On dit "oui" et après on oublie.
Sauf que l'enfant, lui, n'oublie pas. Il retient le "oui" dans sa petite caboche de bois, bien attaché aux chaînes de son désir, il s'y accroche de toutes ses forces et ensuite il le ressert tout frais menu, sur un beau plateau d'exigences légitimes. Marion n'a jamais su si elle serait une bonne mère, si elle avait les compétences adéquates pour élever un enfant et lui offrir une bonne éducation. Mais ce dont elle a toujours été certaine, c'est que jamais, au grand jamais, elle ne commettrait les mêmes erreurs que son père : promettre sans savoir si elle serait capable de tenir sa parole.
(p. 304)
Marion, elle, ressent la fragilité du sol, craquements sinistres gémissant sous ses pieds. Elle se sent lourde, trop lourde pour ce plancher de coquille d’œuf, prêt à s’effondrer d’un instant à l’autre. Elle cesse de respirer, car le poids de l’air qu’elle inhale risque de peser dangereusement, s’ajoutant à son propre poids sur la faible structure qui la maintient encore à la surface du monde. Un simple battement de cils menace de la précipiter dans un abîme sans fond. Sans fin. Elle vide ses poumons pour gagner du temps. Suffoque. Étouffe.
Cela se passait en plein hiver et les flocons de neige tombaient du ciel comme un duvet léger. Une reine était assise à sa fenêtre encadrée de bois d’ébène et cousait. Tout en tirant l’aiguille, elle regardait voler les blancs flocons. Elle se piqua au doigt et trois gouttes de sang tombèrent sur la neige.
Ce rouge sur ce blanc faisait si bel effet qu’elle se dit : « Si seulement j’avais un enfant aussi blanc que la neige, aussi rose que le sang, aussi noir que le bois de ma fenêtre ! » Peu de temps après, une fille lui naquit ; elle était blanche comme neige, rose comme sang et ses cheveux étaient noirs comme de l’ébène. On l’appela Blanche-Neige.
Impasse de la Visée. Une ruelle bordée de gros pavés gris, entre lesquels se faufile une herbe grasse et verdoyante, s’achève sur une cour sans vie, presque à l’abandon, bordée de maisons vides et délabrées.
Au numéro cinq pourtant, quelques marches de perron mènent à une vieille porte de bois dont la peinture s’écaille depuis deux générations et qui, lorsqu’on l’ouvre, donne sur un corridor un peu sombre, un peu étriqué, entièrement tapissé d’un vieux papier peint fleuri de marguerites roses. À l’instar d’un village gaulois résistant encore et toujours à l’envahisseur, elle reste la seule maison habitée de l’impasse, un petit oasis de chaleur et de confort, dont les loupiotes s’échappant des fenêtres à la nuit tombée éclairent les pavés de la cour et guident les chats errants dans leur déambulations nocturnes.
Après être passé devant un antique escalier de bois foncé, on accède à la cuisine, aussi longue qu’étroite, équipée de part et d’autre d’armoires murales, d’un frigo, d’une cuisinière et d’un plan de travail rectangulaire et fonctionnel, fixé sur toute la longueur du mur de droite.
Au fond, une porte s’ouvre sur un petit jardin, refuge d’une famille de merles qui revient chaque année faire son nid dans l’épaisse vigne vierge tapissant les vieux murs d’enceinte. Quelques rhododendrons, une glycine, deux fuchsias et des fougères procurent une agréable sensation de fraîcheur et de sérénité, comme si ce petit carré de nature protégeait les habitants de la maison de la grisaille parisienne.
À côté de la cuisine se trouve la salle à manger, pièce aux dimensions moyennes, sans fioriture ni décoration, uniquement meublée d’une grande table familiale, d’un vaisselier et d’une télévision, posée sur une étagère dont le rayonnage inférieur contient quelques cassettes, toutes de Walt Disney, sauf une, étrangement, Vacances romaines avec Gregory Peck et Audrey Hepburn.
Parallèlement au corridor, deux salons disposés en enfilade accueillent une vaste bibliothèque bourrée de livres en tout genre, auteurs latins et romans policiers, littérature classique, manuels de grammaire et essais philosophiques. Quelques fauteuils installés sans ordre précis, une table basse et, dans un coin, un bel aquarium contenant poissons exotiques et anémones de mer.
Aux étages, ce sont les chambres, au nombre de quatre : celle de Marion sur le côté gauche, juste en haut des escaliers, accueillante et spacieuse, douillettement garnie de vieux meubles de grands-mères en bois naturel, et dont les tentures de couleur ocre invitent à la paresse. À côté, c’est celle de son fils, Ludo, cinq ans depuis la semaine précédente, constamment jonchée de jouets épars malgré la salle de jeux, troisième pièce prévue à cet effet.
L’atelier de Marion se trouve tout au fond du couloir, véritable capharnaüm de tissus bigarrés de toutes sortes, robes et costumes, patrons et nécessaire de couture, mètres et épingles, rubans, cordons, papiers de soie, festons, lanières et galons, au milieu desquels trône une machine à coudre, superbe et imposante.
À côté de la porte, Gladys, le vieux mannequin de bois, semble surveiller avec impassibilité cette véritable caverne d’Ali Baba du tissu. Fidèle compagne de Marion depuis de nombreuses années, elle est l’accessoire indispensable à la profession qu’exerce la jeune femme, et d’une aide précieuse pour les nombreux essayages. En effet, Marion est couturière, spécialisée dans les costumes d’époque, ce qui lui permet d’officier dans le monde du spectacle, théâtre et cinéma. Elle travaille actuellement pour la compagnie théâtrale des Arbalétriers, venue s’installer dans la capitale pour y connaître la gloire.
Enfin, sur le palier intermédiaire, une petite salle de bains et des grandes toilettes achèvent de donner à la vieille demeure familiale tout le confort moderne. L’habitation dans son ensemble offre une sensation de simplicité et de quiétude, un bien-être douillet, un peu vieillot, mais terriblement reposant.
Et l'enfant, sentant que sa mère avait soudainement changé et que sa disponibilité n'était qu'apparente, était de plus en plus difficile. Il devenait irascible et colérique, testant les limites de Marion jusqu'au bout des maigres réserves de patience de la jeune femme. Inconsciemment, Ludo se sentait relégué au rang d'objet encombrant dont on cherche à se débarrasser par n'importe quel moyen.
En effet, chaque soir et malgré elle, Marion était pressée d'en finir et de le mettre au lit afin de pouvoir se détendre. Mais dès qu'il était couché, elle éprouvait une énorme culpabilité de n'avoir pas su l'écouter, de l'avoir grondé, de s'être emportée trop vite, d'être devenue une mère "comme les autres".
(p. 226-227)
Rien n’est perdu. Il y a toujours une solution, même là où on ne l’attend pas. Par-delà le désordre de son esprit, elle revoit le visage neutre et impassible de son père qui, maintes fois confronté à des situations critiques, se plaisait à répéter avec un calme imperturbable : “Tout finit toujours par s’arranger. Même mal.”
Même mal.
Découvrez l'émission intégrale ici : https://www.web-tv-culture.com/emission/niko-tackian-la-lisiere-53718.html
Les études de droit et d'histoire de l'art peuvent mener à l'écriture de roman noir. La preuve ! C'est en tout cas le chemin pris par Niko Tackian pour arriver en librairie au rayon des romans qui font peur…
On l'a aussi connu journaliste, auteur de BD, metteur en scène et scénariste. On lui doit d'ailleurs la série télé « Alex Hugo » écrite en collaboration avec Franck Thilliez.
Mais aujourd'hui, c'est avant tout de l'auteur de thrillers que je veux vous parler, lui qui, en quelques titres, est devenu un incontournable. Il fait d'ailleurs partie du collectif « La ligue de l'imaginaire » aux côtés de Bernard Minier, Olivier Norek, Bernard Werber ou Barbara Abel.
Dans l'univers du thriller, Niko Tackian fait ses armes avec « Quelque part avant l'enfer », un premier titre primé au festival de Cognac. Rapidement les succès vont s'enchainer au rythme d'un livre par an.
Et si vous n'avez pas encore lu « Avalanche hôtel », « Celle qui pleurait sous l'eau » ou « Repère », allez-y ! Vous allez adorer avoir peur ! Dans ses romans, Niko Takian aime décortiquer la psychologie de ses personnages, les mettre face à des situations toutes plus angoissantes les unes que les autres et, à chaque fois, son histoire prend place dans un paysage différent, sorte de huis-clos naturel qui joue un rôle dans le déroulé de l'intrigue.
Avec « La lisière », le nouveau thriller de Niko Tackian, nous voici en Bretagne. Mais pas la Bretagne de bord de mer, riante et touristique. Non, nous sommes ici au coeur de la Bretagne, celle des monts d'Arrée, rugueuse et austère, pétrie de légendes autour des elfes, du chien noir et de l'Ankou, le serviteur de la mort.
Ce soir-là, Vivian est en voiture avec son mari Hadrien, au volant et leur fils Tom à l'arrière. Il fait nuit, le crachin masque la visibilité, le vent s'engouffre dans ses paysages tortueux des monts d'Arrée. Tout à coup, une forme surgit devant la voiture obligeant le conducteur à s'arrêter précipitamment. Hadrien descend du véhicule pour vérifier que tout est en ordre. le petit Tom descend aussi pour soulager un besoin pressant. Une minute passe, puis deux… Vivian sort à son tour de voiture. Personne. Son fils et son mari ont disparu, elle est seule dans cette lande bretonne battue par le vent et la pluie.
Voilà le point de départ de cette histoire à vous empêcher de dormir. Une petite famille bien ordinaire embarquée dans une intrigue sinistre à souhait.
L'écriture est vive, rythmée, addictive. Les situations angoissantes s'enchainent, les chausses trappes abondent et le lecteur de suivre frénétiquement les soubresauts de l'enquête et d'accompagner Vivian dans sa quête de la vérité. Que sont devenus sont fils et son mari ?
Un thriller impeccablement réussi que vous allez dévorer jusqu'à la dernière page avec une conclusion terrifiante que vous n'aurez pas vue venir. Et cerise sur le gâteau, Niko Takian vous offre aussi un chapitre supplémentaire grâce à un QR code en fin de roman qui vient compléter le plaisir de lecture.
Vous qui aimez avoir peur, vous allez vous régaler.
« La lisière » de Niko Takian est publié chez Calmann Lévy.
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