(adressée aux Temps Modernes le 26 mars 2007)
-
Myriam ANISSIMOV,
Vie et mort de Samuel Rozowski, Denoël, 2007
L'auteur s'était déjà signalée pour avoir procédé, dans sa biographie de
Primo Levi, à des emprunts mal signalés, et pour y avoir commis des bourdes qui témoignaient de surprenantes lacunes sur le plan historien. Mais c'est à un comportement d'une toute autre gravité qu'il nous est ici donné d'assister avec un ouvrage dont c'est jusqu'au titre, qui atteste le caractère louche. Sachant que la mort occupe ici moins d'une page (pp. 226-227) elle n'est présentée que comme étant la conséquence logique, d'une "vie", elle-même présentée d'une manière qui appelle peu de commentaires. Pour l'essentiel en effet on est ici devant un florilège des deux précédents ouvrages hostiles à
Pierre Goldman (Prazan, Casubolo) ; à ceci près, que là où leurs auteurs faisaient mine de garder quelque "'dignité'", madame
Anissimov bave en toute insanité. Tout au plus lui concèdera-t-on la semi-franchise avec laquelle elle se présente, p. 226, comme une amoureuse éconduite. D'où les incongruités, qui en découlent : ainsi la pharmacie où eut lieu le double crime imputé à
Pierre Goldman devient-elle, p. 71, un... magasin de lingerie (la volonté de nuisance, se fait ici volonté de nuisette) ; quant à l'épouse de Pierre elle n'est évoquée, p. 143, que sous un angle gynécologique, ordurier, et dont on aimerait être sûr qu'il est dépourvu de toute considération ethnique (rappelons que Pierre avait épousé une originaire de la Guadeloupe).
L'existence d'un contentieux affectif n'est pas seule en cause toutefois dans ce ricanement, qui en page 214 prend même des accents céliniens ("Il s'en sortait toujours d'une façon ou d'une autre par une pirouette, Rozowski"), et dans lequel -même si madame
Anissimov devait s'en défendre avec la dernière énergie- les antisémites feront leur miel de plus d'un passage : celui (pp. 146-150) où cette ânissime se pose en bienfaitrice-mal-récompensée de la mère de Pierre, est à cet égard un modèle du genre. Mais hélas force est de constater que ce livre exprime assez fidèlement l'idéologie qui est aujourd'hui de mise dans un certain milieu juif où l'on n'hésite pas à faire cause commune avec la pire réaction, du moment qu'il y a moyen de brûler ce que l'on avait adoré, et de virer sans cesse plus à droite -à la limite de la déréliction. Incroyable, mais vrai : il n'y a pas une seule page consacrée à l'engagement politique de Pierre, dans ce livre qui est supposé nous parler de lui. Mais à la limite, ici peu importe, car très vite apparaît que c'est avec son propre passé, que l'auteur tente ici de règler un mauvais compte. Un passé, où être de gauche voire d'extrême-gauche impliquait moins une critique radicale de l'ordre existant (mai 1968 aura clairement à cet égard marqué un tournant) que l'adhésion à des "causes", qui furent autant d'événements-fondateurs. le soutien à
Pierre Goldman (qui même s'il date d'après-1968, héritait de cette culture de l'avant-) ayant été, ô combien, l'une de ces causes : ce serait providentiel, pour
Anissimov et consorts, si Pierre pouvait nous avoir trompés -et nous, nous être dramatiquement trompés ! le plus affligeant est que madame
Anissimov est sûrement très persuadée de faire oeuvre originale là où elle ne fait en réalité qu'emboîter le pas à ce qui se pratique depuis maintenant des décennies dans ces mêmes milieux aux Etats-Unis vis-à-vis de l'affaire Sacco et Vanzetti, des époux Rosenberg, voire de la guerre d'Espagne.
Si originalité il y a, ce n'est pas du côté de Guignol, où risquait de nous entraîner l'enfance lyonnaise de l'auteur, mais bel et bien du côté du grand-guignol. Car enfin on peine à garder son sérieux, p. 242, là où il est question de l'inhumation définitive de Pierre : "François Lalou, se penchant vers moi, murmura avec une sorte d'amusement : "Décidément il nous aura fait marcher jusqu'au bout" (si tant est que la mémoire de Pierre est au-dessus de ces p...attes de mouche on se prend tout de même à penser que les histoires juives ne sont décidément pas très drôles, par les temps qui courent). Encore aimerait-on être sûrs que la judéité ici mise en avant s'appuie sur des convictions et ne vise pas à caresser dans le sens du poil une certaine catégorie de lecteurs, comme en p. 214 où l'on apprend que Pierre aurait déclaré à un juge, en prison, être favorable à des résolutions de l'ONU qui alors "pleuvaient sur Israël". Rien de trop grave en vérité quand on sait (mais madame
Anissimov omet de le préciser) que ces résolutions condamnaient une Occupation qui en Palestine dure depuis maintenant quarante ans. Mais ce n'en est pas moins une présentation malhonnête quand on sait les homériques discussions qui toujours opposèrent Pierre aux membres de la rédaction de "Libération", chaque fois qu'il était question du Moyen-Orient.
Incidemment aussi on est amené à constater que la bourgeoisie a depuis longtemps cessé de respecter, vis-à-vis de l'extrême-gauche, les plus élémentaires règles de loyauté, et les lois qui sanctionnent la diffamation. Car enfin s'il s'était agi d'un militant d'extrême-droite les éditions Denoël, outre qu'elles auraient refusé ce (très médiocre) manuscrit, n'auraient pas publié une phrase telle que celle-ci, p. 210, concernant
Pierre Goldman en prison : "Il aurait voulu être un Juif profondément pieux le vendredi soir, et un tueur impitoyable le reste de la semaine". Madame
Anissimov a bien de la chance de pouvoir lire ainsi dans le cerveau des gens.... (que soit permis de rappeler, et en s'appuyant sur les deux livres hostiles déjà ici mentionnés : 1) que Pierre n'a jamais tué qui que ce soit ; 2) et que, outre qu'il n'avait pas l'âme d'un mercenaire, sa conception de la délinquance l'opposait en tous points, au grand banditisme). Mais on ne se débarassera pas si facilement, de ce qui suit. Celles et ceux qui connurent Pierre, même si ce fut en d'autres lieux et en d'autres circonstances, peuvent attester qu'avec lui ce n'était pas seulement "le vendredi soir" mais toute la semaine qu'ils avaient tout à craindre, ces nazillons qui firent par la suite une belle carrière ministérielle ; que même une ancienne déportée trouva très fréquentables, sitôt qu'ils firent partie de ses amis politiques ; et auxquels on ose au moins espèrer que madame
Anissimov refuserait, le cas échéant, de tendre une patte molle.
Pour le reste on s'étonne d'avoir à rappeler que
Pierre Goldman avait aussi, ses défauts. Parmi ceux-ci figurait sans doute un tic de comportement très répandu dans le milieu des "organisations politiques" (trotskistes, mais pas seulement). et qui consiste à vouloir ne rien devoir à personne. Que madame
Anissimov aît été sincèrement éprouvée, par ce qu'elle aura interprété comme un comportement d'ingratitude : on veut bien le croire. Mais cela ne saurait en aucun cas justifier, ce qu'il faut bien appeler : une basse besogne.