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EAN : 9782072882067
192 pages
Gallimard (10/09/2020)
3.81/5   103 notes
Résumé :
"J'avais quinze ans, et un mois plus tôt j'avais fugué. Ca avait été beaucoup plus simple que je ne le croyais. On était à l'aéroport de Pointe-à-Pitre, pour rentrer à Paris, et j'avais fermement pris ma décision. Deux jours avant, il s'était passé une chose prodigieuse et après cette chose je ne pouvais plus revenir en arrière".

Arthur H signe ici un bouleversant autoportrait, en trois fugues. Celle de sa mère, Nicole Courtois, à l'âge de dix-huit a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Sa musique me berce depuis de longues années. Comme le père. Un poète enchanteur, des mots qui m'émeuvent, ses textes sont des proses magnifiques à lire, juste avec quelques notes de piano ou quelques longs silences qui égrènent ma vie. « Fugues », son art, ses doutes, sa liberté. Un instantané autobiographique sur la jeunesse, une ode à la liberté. Arthur décide de s'ouvrir, son coeur, son âme, sa fugue sera l'objet de cette musique. Assis devant un piano, tentant de déchiffrer l'art de la fugue de Johann Sebastian Bach, il va se plonger dans ses souvenirs.

Au cours de cette écriture, s'écrit une étrange coïncidence, une autre fugue, en plus de la sienne et celle de Bach. Quelques années plus tôt, sa mère Nicole trop enfermé dans le carcan parental et sociétal, quitte sa ville d'Argenteuil avec quelques amis. Direction la Polynésie et Tahiti. le voyage débutera par la Corse, elle n'ira pas plus loin. Mais ce besoin d'être libre était plus fort que tout.

A 15-16 ans, la fugue est aussi un apprentissage de la vie. C'est de cette façon qu'il faut revoir la situation. C'est aussi l'esprit rebelle qui sommeille dans la tête de tout adolescent. Arthur rejoint son père en Martinique pour quelques jours. Mais au moment de prendre l'avion pour rentrer en France, il laissera son père pantois et penaud passer seul la porte d'embarquement… à suivre…

J'ai lu un très beau moment d'intimité, d'une personne qui compte énormément dans mon spectre musical. Arthur H, que je sens si timide si réservé et qui pour s'ouvrir aux autres utilise la musique et écrit de si belles chansons aux mélodies douces et soyeuses comme un sourire illuminé sous une lune bleue. Et dès la première page, j'ai été ému, la façon dont il dédit ce livre.
A ma mère, la belle boxeuse amoureuse,
Pour son art de la fugue et son goût de liberté.
A mon père, j'aurais aimé qu'il lise cette histoire
Qui parle d'une femme qu'il a aimé…
Déjà, j'ai les larmes aux yeux… Heureusement que l'histoire n'est pas aussi triste que cette introduction… Et Jacques Higelin a aussi, tant, compté dans le silence musical de ma vie.
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Comme Arthur H. s'est laissé porter par la musique de Bach, j'ai de mon côté découvert son récit « Fugues », avec une fébrile impatience, en voulant me laisser porter par les mots de cet artiste que j'aime depuis des années.
Ce n'était pas tant une autobiographie d'un musicien que je souhaitais lire. Je ne faisais pas la groupie en mal de croustillants devant un personnage people ; le fils d'un père peut-être plus connu que lui, plus exubérant sûrement aussi.
Qui connait un peu Arthur H. sait qu'il s'agit de tout autre chose avec lui. Il se fait discret, sûrement encore un peu timide, tout en nuance et subtilité, la voix grave et chaude qui sait résonner en moi, il a une classe pudique, si naturelle, qui m'impressionne. Vouloir lire « Fugues », c'était pour moi comme une quête de musicalité, de poésie et de beauté. C'était souhaiter aller encore plus loin peut-être que les strophes de ses chansons, aller au coeur des sensations, se laisser emporter par la sensibilité de cet artiste bohème, libre et délicat. Et il a sû m'emporter comme je l'espérais.
Pour être tout à fait sincère, j'ai regretté qu'il parle plus de la fugue de sa mère (en Corse) que de la sienne (en Guadeloupe). Même si la sienne était étroitement liée à celle de sa mère. Ils avaient tous deux une même soif de liberté. Et s'il parle principalement d'elle, c'est que c'est avant tout une lettre d'amour à sa mère, forte et courageuse. Une mère pour qui il composera ‘'La boxeuse amoureuse''.
Mais, c'est véritablement lorsqu'il a parlé de lui, de sa propre fugue à l'âge de 15 ans, de son désir de liberté, de vivre sans avoir le dos courbé par la vie et les autres, que j'ai vraiment ressenti le plaisir tel que celui que j'éprouve à l'écoute de certaines de ses chansons – celles que je peux écouter en boucle et que je fredonne ensuite plusieurs jours d'affilée-. J'avais l'impression d'entendre sa voix (une de ces voix qui m'émeuvent à en avoir la chair de poule et qui me rendent un peu dingo –comme celles de Bowie, Bashung, Brassens, Tom Waits, Neil Young, Barbara et quelques autres-). Et moi, à ce moment-là, ça agit comme une drogue. C'est ma fugue à moi. Cela me plonge dans un autre monde, un univers tout en coton, rassurant, chaud, et je dois certainement avoir un sourire béat aux lèvres, comme si j'avais bu un verre de trop. Parfois, à l'inverse, j'ai l'alcool triste parce que ça me fout le blues, ces voix un peu écorchées, douloureuses, ces chanteurs à fleur de peau qui parlent souvent d'amour blessé, de fêlures, ces voix qui nous chantent comme s'ils nous parlaient un peu rien qu'à nous. Et je me sens si bien avec eux que je n'ai pas envie de retourner de l'autre côté.
J'ai regretté qu'Arthur H. ne parle pas plus longuement de lui, qu'il ne me fasse pas entrer encore plus dans son univers afin que je savoure plus longuement ce bonbon sucré salé fondant sur la bouche. Et à avouer cela, comme une de ces confessions nocturnes, je fais peut-être un peu la groupie jalouse finalement, à me dire que même la présence de Bach ne m'aurait pas été indispensable. J'aurais bien aimé qu'il n'y ait que lui, Arthur Higelin, dans ce livre.
Pourtant, il s'agit pour lui de raconter « l'art de la fugue », la fugue musicale de Bach, la fugue nécessaire de sa mère et de la sienne. Des fugues à jouer comme des défis à relever, des fugues à écouter comme on écoute son coeur, des fugues si impérieuses et vitales, des fugues pour être plus fort, pour apprendre à vivre, se découvrir, s'accepter et s'épanouir, des fugues pour fuir le carcan de la ville et ses jugements, des fugues pour ressentir et être libre, des fugues pour vivre tout simplement.
Et en finissant ce billet, peut-être aurais-je envie d'entendre quelques notes de piano. Peut-être aurais-je envie de réécouter « L'art de la fugue » de Bach ou plus certainement d'aller voir de ‘'l'autre côté de la lune''.

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Une fugue à trois voix.
Fugue musicale.
Fugues en avant sur le chemin périlleux de la liberté, à la recherche du soi, de son identité, fuir un monde cloisonné, quitter le cocon affectueux et étayant pour mieux s'appréhender, se découvrir, se relâcher, s'élever, s'aimer, vivre son rêve en toute innocence et insolence ...
« Quel est le rapport entre une fugue et une fugue ? Est-ce le même goût de larguer les amarres ? La fuite des notes de musique vers l'infini participerait-elle du même mouvement que cette échappée qui nous emmène loin, dans un espace non cartographié, où l'on va pouvoir enfin respirer ? »
Une plume fluide, poétique souvent, qui nous conte l'errance de l'être, l'errance de l'âme. Un parcours initiatique qui se révèle être également un bel hommage à Nicole Courtois, la mère de l'auteur.
Un parcours fuyant qui se répète d'une génération à l'autre et qui nous parle, forcément, je pense. Devenus adultes, l'adolescence fut un passage obligé, plus ou moins aisé selon chacun, et une facilité à le franchir pas forcément liée à la condition de vie de la famille, il me semble. Jeunesse dorée ou pas, le cap à franchir vers la quête de soi reste le même. Ce n'est que mon avis évidemment...
Fugues est aussi une ode généreuse et belle à la musique, même si, pour être honnête, les passages invitant Bach d'outre-tombe, m'ont laissée perplexe...
« La musique est l'art de l'espace. Littéralement, le flux sonore ouvre l'espace, le déflore, le densifie ou l'allège. Organiser les sons est le moyen que les humains utilisent pour nettoyer l'air, rendre sa surface intime et fluide, pour mieux faire voyager les idées, les émotions, les intuitions. La musique est une image de l'espace intérieur de l'homme : elle l'agrandit, le purifie, donne une direction à son énergie ; elle le prépare ainsi à recevoir et échanger de nouvelles informations. C'est une brise légère qui chasse les humeurs fétides, nettoie le corps subtil. En plus du plaisir intense qu'elle procure, elle participe à la santé globale de la personne qui s'abandonne à elle. Être plus réceptif, plus disponible, plus dynamique, c'est être potentiellement plus libre. L'art de la fugue est l'art de la liberté. »
J'ai aimé ce regard que l'auteur porte sur lui-même. J'ai aimé celui qu'il porte sur la société de l'époque, reflet de notre société actuelle, « rétrograde et immature » et sur elle, « jeune femme libre du XXIème siècle, enfermée dans un carcan moisi du XIXème siècle, pleine incohérence temporelle ».
J'ai aimé la prose.
J'ai aimé ce voyage dans le désert odorant d'une nature immaculée.
J'ai aimé m'identifier à sa jeune mère, chevauchant, les sens en éveil, dans le maquis sauvage de la région de Scopamène, au centre de la Corse.
En quittant Arthur H et ses Fugues, je me suis demandée pourquoi cette autofiction ? Bénéfique pour l'auteur ? Nécessaire, indispensable ?
Pour moi, elle fut animée de belles émotions, et par le pouvoir des mots, je me suis souvent retrouvée dans ce maquis sauvage que j'affectionne particulièrement. Alors peu importe votre affinité avec l'auteur, si vous êtes à la recherche d'un élan de liberté, d'une escapade sauvage, je vous recommande vivement cette lecture !
🙏 à Babelio, Mercure de France et Folio pour cette belle découverte.
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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Installé dans sa roulotte, Arthur H s'attelle au difficile déchiffrage de "L'art de la fugue", de Bach.
Une lueur étrange apparaît, se précise, c'est Bach lui-même qui entreprend un dialogue avec Arthur. Apparition qui reviendra plusieurs fois.
Complètement savoureux ces dialogues ! Toute la fantaisie d'Arthur H.
Et dans ces conversations, on parle de fugues. Celles de Bach, bien sûr, mais aussi celle de Nicole, la maman d'Arthur, le jour de ses 18 ans. Et celle d'Arthur, à 15 ans.
L'auteur se livre complètement, raconte par le menu ces fugues familiales.
Et là, il le fait très sérieusement.
En même temps il rend un hommage plein d'amour à sa mère, la « boxeuse amoureuse ».
J'adore Arthur H.
Sa sensibilité, sa fragilité, sa folie, sa profondeur, son humour, son immense talent musical, sa voix sensuelle.
Chaque moment passé à l'écouter est un véritable moment de bonheur.
Le voir sur scène, je ne trouve même pas les mots pour expliquer l'émotion que ça procure.
Le lire, encore un autre privilège.
Arthur H, comme Barbara fait partie de ma vie. Je ne pourrais pas m'en passer.
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Arthur H , ,fils de Jacques Higelin et grand frère d'Izia, est un artiste inclassable, reconnaissable par sa voix grave et éraillée, ainsi qu'une présence en live assez intense.

Dans son premier récit, proche de l'autofiction il ose une variation autour de la fugue, musicale ou vers un autre ailleurs, comme celle qu'a entrepris dans sa jeunesse sa mère, Nicole Courtois-Higelin.

Une mère qui lui avait inspiré un de ses plus beaux morceaux, la boxeuse amoureuse.

Un récit traversé par le mouvement géographique, intérieur et musical à travers la difficulté pour Arthur J de reprendre le célèbre morceau de Johann Sebastian Bach. « L'art de la fugue ".

Mais l'artiste qui nous avoue être étrangement peu porté sur le solfège a les plus grandes peines du monde à déchiffrer la partition de Bach.

Un récit de fugue en parralèle entre réalisme et onirisme assez fidèle à l'univers tout en poésie et fantaisie de son auteur.

Une première expérience littéraire qui en appelle d'autres, peut etre un hommage à son paternel récemment décédé, qui sait?
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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critiques presse (2)
LaPresse
01 juillet 2019
Un livre qui se lit comme un roman tellement ce qu'y raconte le fils de Jacques Higelin est rocambolesque et romanesque, de surcroît avec une plume fine et vivante.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaLibreBelgique
10 avril 2019
L'esprit de liberté : Il fut transmis par son père, Jacques Higelin, mais aussi par sa mère, Nicole Courtois. Dans Fugues, un récit particulièrement sensible et bien charpenté, Arthur H nous le raconte. Où il est question de trois fugues - musicale, maternelle et personnelle.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (57) Voir plus Ajouter une citation
La musique est l’art de l’espace. Littéralement, le flux sonore ouvre l’espace, le déflore, le densifie ou l’allège. Organiser les sons est le moyen que les humains utilisent pour nettoyer l’air, rendre sa surface intime et fluide, pour mieux faire voyager les idées, les émotions, les intuitions. La musique est une image de l’espace intérieur de l’homme : elle l’agrandit, le purifie, donne une direction à son énergie ; elle le prépare ainsi à recevoir et échanger de nouvelles informations. C’est une brise légère qui chasse les humeurs fétides, nettoie le corps subtil. En plus du plaisir intense qu’elle procure, elle participe à la santé globale de la personne qui s’abandonne à elle. Être plus réceptif, plus disponible, plus dynamique, c’est être potentiellement plus libre. L’art de la fugue est l’art de la liberté.
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La musique m’hypnotise, je l’entends comme je ne l’ai jamais entendue, elle est précise, géométrique, ancienne. Du coup, je décolle un peu plus. On me sert un rhum de Basse-Terre et du feu coule en moi, j’avale un dragon. J’observe les mouvements de cette symphonie parfaite, j’admire les corps des hommes et des femmes qui se déplacent dans cet espace mouvant. Mais je suis incapable d’interagir : la drogue n’abolit pas ma timidité. Le mélange de l’alcool et des champignons provoque un obscurcissement progressif de la conscience, la richesse des impressions migre vers la confusion des émotions. Je m’absorbe trop dans le paysage féérique, je m’y noie. Titubant et m’agrippant au hasard des choses qui tombent sous ma main, je regagne ma couche et m’endors tout habillé, la cervelle au grand large, emporté dans ma propre tempête neuronale.
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L’élixir sacré de cette cérémonie était le pastis. Il coulait à flots dans tous les verres mais son parfum anisé écœurait Nicole et elle était la seule à consommer du cap-corse, un mélange amer de vin, de plantes aromatiques, d’écorce d’orange et de quinquina. Elle sirotait sa liqueur avec une paille parfois assise sur le bar, en observant et appréciant l’étrange comédie humaine. A l’heure de la fermeture, des ombres titubaient dans les ruelles pour regagner le domicile conjugal, où les épouses, comme tous les soirs, s’étaient assoupies dans une attente toujours déçue. La nuit corse était exquise, fraîche et parfumée. Seules la lune ou les étoiles éclairaient les épaisses maisons de pierre, il n’y avait pas de réverbères, pas d’électricité […] Dans leur délicieux nuage d’ivresse, tout semblait mystérieux et beau.
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Il était si habitué à la domination que le viol n’était pour lui qu’une façon de faire l’amour comme une autre. Sa propre femme était sûrement prise de cette sorte et la chambre nuptiale un cachot intime où la violence était légale. Détruire pour capter l’énergie n’était pas un problème, il fallait absolument qu’il s’abreuve à cette source de beauté et de jeunesse. Selon lui, les femmes étaient quasi consentantes, de toute façon elles prenaient sur elles, ce n’était pas si grave, elles pouvaient en tirer des avantages, des compensations, et parfois un plaisir atroce : la jouissance de l’humiliée. Du coup la résistance farouche de ma mère le surprit sincèrement. Si elle avait accepté de venir avec lui, c’est bien qu’elle en avait envie elle aussi ! Elle n’est pas si idiote que ça cette garce ! Elle savait quand même à quoi s’attendre cette sale gamine vicieuse !
L’homme était petit, massif, musclé, en pleine force de l’âge et sa poigne était plus que puissante. Mais ma mère était un serpent vif qui piquait, griffait et mordait avec une énergie surnaturelle. Son regard de jeune déesse en furie le faisait presque douter : au cœur de la bataille, elle le toisait avec arrogance. Si tu crois que tu vas m’avoir espèce de gros salaud immonde, un scorpion ne peut pas piquer une étoile. Il ne pouvait pas la frapper trop fort et l’assommer : il n’allait quand même pas baiser un cadavre. Les gestes étaient brusques et désordonnés, le souffle chaotique, elle sentait son haleine sur son visage : un parfum acide qui la brûlait. Les yeux de l’homme étaient vides, il s’était absenté de lui-même pour laisser toute la place au démon qui le possédait. Une main rugueuse tordait le frêle poignet de ma mère tandis que l’autre essayait d’arracher les tissus sans arriver à rien saisir. Elle avait quasiment réussi à lui mettre un ongle dans l’œil, lequel, devenu rouge vif, semblait pleurer du sang. La face de l’homme était paradoxalement impassible et traversée d’étranges rictus, des grimaces de souffrance qui le défiguraient. La jeune femme était tout entière absorbée dans la lutte mais une petite partie d’elle observait la scène de loin : c’était tellement surprenant de saisir cette figure comme au microscope, ces poils de nez qui sortaient des narines, cette bave aux commissures, cette peau grasse et rouge, cette belle tête de mafieux sicilien métamorphosée en figure de pantin lugubre. La parole, autrefois sobre – c’était un taiseux –, était retournée à ses origines ténébreuses : des grognements de bébé diabolique. Il bandait mais il était dans l’impossibilité de baisser son pantalon, pour cela il aurait fallu maîtriser la déesse furieuse.
Il espérait qu’à un moment elle cède enfin et s’incline devant la puissance de son désir, qu’elle reconnaisse la supériorité évidente de l’incendie qui l’habitait. Mais c’était très loin d’être le cas. Pour ma mère, c’était lui le faible, pas elle. Il avait la force physique mais ce n’était pas grand-chose comparé à la force de l’esprit. Elle se battait sans concession, pour lui prouver son mépris, même si au fond d’elle elle tremblait : elle savait que, par dépit, il pouvait la tuer, cacher son corps dans une ravine inaccessible et inventer un accident que tout le monde ferait semblant de croire. Si elle en ressortait vivante, il ne lui viendrait pas à l’esprit de porter plainte. Ce serait elle la délinquante, la fauteuse de trouble : les femmes avaient intégré qu’elles étaient coupables par nature. Les violées étaient réprimandées, elles devenaient un poids pour la famille, on avait honte d’elles. L’homme était pardonné et compris, il rentrait à la maison la queue basse et rien ne se passait. Les autres mâles l’admiraient en secret pour ce qu’ils n’avaient pas osé faire, les épouses absorbaient le choc en accusant la victime et tout rentrait dans l’ordre rapidement. S’il y avait eu un procès, ce qui était impossible, il aurait été vain, car perdu d’avance.
Le combat continuait durement. L’homme était coriace, il ne voulait pas perdre. Quand elle le pouvait, elle tentait de lui cracher dessus. Lui, essayait de la gifler mais il n’y arrivait pas : elle ne lui laissait aucun espace, aucune brèche. Tous deux commençaient à s’épuiser mais la lutte était inégale : il voulait juste tirer un coup et elle, elle était prête à mourir pour s’opposer à lui et à tout le système qu’il représentait. Le sang, la salive et la poussière se mélangeaient. Depuis une quinzaine de minutes, une éternité, ils se battaient. Il essayait encore mais il commençait à moins y croire : cette garce stupide et arrogante n’a rien dans le crâne, il n’y a peut-être rien à tirer de cette traînée. Il voulait encore trouver une faille, une fêlure, mais il ne rencontrait qu’un mur. Ma mère savait qu’elle n’abandonnerait jamais, qu’elle préférait mourir, que c’était lui le vaincu d’office. Soudain, après une dernière griffure, une dernière morsure, il se releva puis, titubant, ramassa ses affaires et monta sur son cheval. Il jeta une phrase qu’il voulait définitive : Sale petite pute, tu n’es plus rien maintenant, tu n’existes plus, ne t’avise jamais de me croiser ou tu le regretteras, va crever en enfer ! Il s’éloigna et disparut en éructant d’antiques blasphèmes corses. Ce soir, il lâcherait sur sa femme la meute de son désir et elle subirait sa vengeance ; les représailles, terribles, s’inscriraient dans une chair vulnérable, sans résistance ni révolte.Il laissa Nicole à terre, les os et les muscles brisés, le dos lacéré par les cailloux. Hors de toute piste et de tout sentier, loin de tout amour et de toute protection. (…)
Elle savait que même si l’homme avait réussi à l’envahir, à la pénétrer, il aurait été malgré tout le vaincu. Il était incapable d’abîmer son âme, de souiller sa chair, de corrompre son esprit : il n’aurait possédé qu’une enveloppe vide et cela n’avait pas d’importance. Dans un retournement insensé, elle le considérait, lui, comme la victime. Habité par une immense misère sexuelle, sa violence n’était que de la faiblesse. Ma mère éprouvait de la pitié pour tous ces mâles pathétiques qui en étaient réduits à quémander, à arracher des morceaux déchirés d’amour et qui ne pourraient jamais connaître l’offrande de soi, l’extase authentique, l’abandon amoureux d’une femme.
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J’étudie la vie de Bach aussi. C’est une vie impénétrable, on ne sait presque rien de lui, si ce n’est qu’il a été habité par une extravagante puissance vitale capable d’absorber toutes les épreuves et tous les chagrins. Quand on suit les méandres de son existence, attiré par le magnétisme d’un trou noir, on atteint vite les abords d’un immense cimetière. En effet, dans le royaume de Thuringe du XVIIIe siècle, la vie c’est la loterie. Certains survivent, d’autres pas. Quoi qu’il arrive, ça n’arrête jamais de mourir autour de vous. Dans une lettre à un ami lointain, il parle de sa famille : « Je me suis remarié, ma première femme étant morte à Köthen. De mon premier mariage, trois fils et une fille sont encore en vie, vous les avez vus jadis à Weimar et vous daignerez peut-être vous en souvenir. De mon second mariage, sont encore en vie un fils et deux filles. » On parle des vivants comme de ceux qui ne sont pas encore morts, ou comme les rescapés d’une catastrophe. Sur les vingt enfants que Bach a eus avec ses deux femmes, neuf seulement auront survécu. Les mères ont affronté la mort de onze de leurs enfants. Régularité de la douleur, persistance rétinienne du cercueil. Il y a les étoiles filantes, qu’on n’a même pas eu le temps d’aimer : apparus à peine quelques instants en pleine lumière, ils regagnent précipitamment l’ombre, le néant protecteur. Et ceux avec qui on a vécu, qu’on a appris à connaître… Qui sont morts à cinq ans…L’enfance de Bach est riche de ce genre d’infortunes. Juste après sa naissance, son frère de dix ans décède. L’année suivante, c’est au tour de sa sœur, qui avait six ans. Un autre frère meurt à dix-huit ans, quand lui-même n’en a que six. Il a neuf ans lorsque sa mère Elisabeth disparaît. Son père, Johann Ambrosius Bach, quel nom splendide, se remarie six mois plus tard avec Barbara qui était déjà une double veuve. Il meurt trois mois après son mariage, laissant donc une triple veuve et Johann Sebastian orphelin, à dix ans. Il y a le flux de la mort, qui ne s’arrête jamais, et celui de la vie, de la création, de l’enfantement, qui ne cesse jamais non plus. Avec un cadre solide pour contenir tout débordement, toute folie. Une religion, une hiérarchie, des rites, un commerce, tout est en ordre, tout est carré. La famille Bach est une corporation de musiciens depuis plus d’un siècle. Tout le monde est musicien, l’a été ou le sera, la question ne se pose pas. Si tu t’appelles Bach quelque chose, tu trouves forcément du travail dans le coin, parce qu’on sait que tu es compétent et qu’il y a toujours un proche qui peut t’introduire quelque part. Quand tu es adolescent, tu pars loin de chez toi pour te former comme apprenti chez les oncles, les cousins, les frères. Ce sont tous de grands organistes, responsables de plusieurs églises. Ils sont compositeurs et surtout improvisateurs, c’est-à-dire qu’ils sont libres dans la musique, sans barrières mentales, dans le feu de la création. Après la mort de son père, lorsque Johann Sebastian arrive chez son grand frère qui va le former, il découvre une bibliothèque remplie de partitions copiées à la main. Il n’a pas le droit de s’en approcher, il est trop jeune. Il y a là tous les grands maîtres de l’époque, les Italiens, les Français et les Allemands. Bach, la nuit, y dérobe des manuscrits pour les recopier en cachette. Il n’a déjà plus besoin de jouer pour entendre les sons, il lui suffit de parcourir les portées, à la lueur d’une chandelle incertaine, pour comprendre les trouvailles magnifiques, pour jouir des mathématiques enchanteresses. Quand son frère découvre le stratagème, il oblige l’enfant de douze ans à détruire ce qu’il a déjà transcrit, depuis de longs mois, lors de ces séances nocturnes et fiévreuses. C’est une matière rare, incandescente, sacrée, qu’on doit vénérer et respecter. On lui défend formellement d’approcher la bibliothèque. Mais le mal est fait, l’enfant a déjà imprimé en lui les formules harmoniques des alchimistes sonores. Il y a un sublime cerveau collectif qui ne cesse jamais de chanter, la certitude que la musique coule dans le sang, une confiance souterraine et absolue dans le pouvoir des sons. C’est une langue complexe qu’on maîtrise dès le plus jeune âge, une force qu’on ne peut contenir.
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Vidéo de  Arthur H
Avec Rim Battal, Vanille Bouyagui, Jacques Darras, Guillaume Decourt, Chloé Delaume, Arthur H, Paloma Hermina Hidalgo, Abellatif Laâbi, Christophe Manon, Virginie Poitrasson, Jean Portante, Omar Youssef Souleimane, Milène Tournier… Accompagnés par Lola Malique (violoncelle) et Pierre Demange (percussions)
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