Un livre génial et décalé où un éléphant se prend pour un chat, et fait tourner son maître en bourrique. Ce livre je l'ai tellement lu, soir après soir, à mes enfants, que très vite, j'ai arrêté de le lire, je tournais les pages, en récitant le texte de l'auteur. Lassé par cette récitation, j'ai commencé à modifier les dialogues, à ajouter des blagues pour faire rire les petits, à commenter les images, à les faire réagir. «
Mon chat le plus bête du monde » est ainsi devenu un livre mouvant, où l'éléphant-chat, faisait chaque soir de nouvelles bêtises, toujours bercées dans l'improbable poésie qui émane de la plume de Gilles Bachelet.
---
L'objet de cette chronique est de revenir sur un autre genre de chat, au succès fulgurant. Ce chat capable d'écrire des critiques de livre, on le nomme ChatGPT. le poil hérissé par la chronique de la mort annoncée du cerveau humain dépassé par la toute-puissance de l'I.A. (Intelligence Artificielle), je propose ici un billet décalé, qui tente de dévoiler le dessous des cartes.
Voici la critique de «
L'archipel d'une autre vie » d'
Andreï Makine que m'a proposée ChatGPT. Je précise que lorsqu'on demande au robot de recommencer, il propose une critique différente.
***
« "
L'Archipel d'une autre vie" est un roman émouvant et captivant d'
Andreï Makine, qui explore les thèmes de la mémoire, de l'identité et de la vérité à travers une histoire poignante et mystérieuse. L'intrigue se déroule en Sibérie dans les années 1950, alors que le lieutenant Pavel Gartsev est envoyé en mission pour traquer un criminel qui s'est évadé d'un camp de travail. Au cours de sa mission, Pavel découvre un village étrange et isolé, habité par des personnes aux secrets profonds et aux histoires sombres.
Le roman est construit autour d'une série de récits enchâssés, chacun raconté par un personnage différent et apportant sa propre perspective sur les événements qui se déroulent. Cette structure narrative complexe ajoute de la profondeur et de la richesse au récit, permettant au lecteur de découvrir peu à peu les vérités cachées derrière les apparences.
Les descriptions de la nature sibérienne sont particulièrement saisissantes et ajoutent une dimension poétique à l'histoire. La beauté sauvage et inhospitalière de la région est utilisée comme une métaphore pour les souffrances et les difficultés que les personnages ont dû endurer.
Le style d'écriture de
Makine est tout simplement magnifique, avec une prose élégante et une attention aux détails qui créent une atmosphère d'une grande intensité émotionnelle. Les thèmes universels de l'amour, de la perte et de la rédemption sont explorés avec une grande profondeur et une sensibilité émouvante.
En somme, "
L'Archipel d'une autre vie" est un roman puissant et évocateur qui mérite d'être lu et relu pour sa complexité narrative, ses thèmes profonds et sa beauté littéraire. »
***
Impressionnant ? Déroutant ? Malaisant ? Effrayant ?
Cette critique écrite par un robot signe-t-elle la fin d'un monde ? En tout particulier de Babelio ?
Ce roman de
Makine, je viens de le lire, je l'ai chroniqué (et pas en un quart de seconde !) et je suis bluffé par la critique « produite » par ChatGPT. Elle manque certes d'une forme de poésie qu'un robot ne parviendra sans doute jamais à générer (vraiment ?), mais en toute franchise, je pense que j'aurais « liké ». Pas vous ?
Une lecture attentive du texte produit par ChatGPT révèle une structure classique où se succèdent une présentation du thème, une ébauche de résumé (comportant quelques inexactitudes) qui ne dévoile pas d'élément crucial de l'intrigue (quel soulagement !) et enfin une appréciation esthétique du roman. On notera l'inclination un peu « mécanique » du logiciel pour le doublement d'adjectifs (« émouvant et captivant », « poignante et mystérieuse » etc.). La dernière phrase rappelle la « complexité narrative, les thèmes profonds, la beauté littéraire » du roman. Une manière éloquente de dire « profond, complexe et beau ». Une évocation banale et creuse, qui peut s'appliquer à des milliers de romans, caractéristique de l'absence de subjectivité de « l'auteur » de cette critique.
Le texte qui suit tente de comprendre ce qui ressemble à un tour de magie, d'appréhender la manière dont est conçu ce chat d'un nouveau genre qui va envahir nos vies. Deux remarques liminaires. Ce texte, j'aurais préféré ne jamais l'écrire. Je précise aussi, que, si je dispose d'une formation scientifique, le monde de l'I.A. m'est totalement étranger.
« ChatGPT » est composé du mot « chat » qui désigne un fil de conversation, et de l'acronyme « GPT » pour « Generative Pre-trained Transformer » ou « Transformeur génératif pré-entrainé ». Il s'agit d'un agent conversationnel qui utilise l'I.A. pour dialoguer avec ses utilisateurs.
Un mot sur cette locution en forme d'oxymore : Intelligence Artificielle. Un mot trompeur tout droit sorti d'une novlangue orwellienne. le terme suggère l'existence d'une intelligence extérieure à l'intelligence humaine. L'I.A. est « un processus d'imitation de l'intelligence humaine qui repose sur la création et l'application d'algorithmes exécutés dans un environnement informatique dynamique ». La seule intelligence qui vaille est celle des concepteurs de ChatGPT. Si attribuer une « intelligence » à une machine constitue une dérive anthropomorphique amusante dans un roman de SF, gardons à l'esprit une évidence, un robot n'est jamais intelligent.
La face nord à présent. Comment est conçu ChatGPT ? Comment fait-il pour générer « un texte logique, cohérent et qui se lit comme s'il avait été écrit par un humain » ? Pour pondre en moins d'une seconde une lettre de motivation, une dissertation d'économie, ou une critique sur Babelio ?
S'il n'est pas connecté à internet, ChatGPT est relié à une base de données gigantesque, qui lui fournit les « briques » de base nécessaires à l'élaboration d'un contenu. le logiciel « interroge » ainsi cette base de données pour construire sa réponse à la question qui lui a été posée.
Pour composer un texte à partir des éléments de la base de données, il utilise un algorithme itératif « dynamique » qui, à partir de « données d'entrainement », « apprend » à identifier des schémas récurrents (« patterns ») lui permettant de devenir « autonome » et de progresser. Cet algorithme itératif dynamique s'appuie notamment sur des propriétés statistiques élaborées. Il utilise ainsi des modélisations statistiques capables de « quantifier la langue », c'est à dire de mesurer la « pertinence statistique » (indicateur qui utilisera par exemple la fréquence d'occurence) de tel ou tel mot, de telle ou telle formulation.
En résumé, ChatGPT dispose d'une quantité de données « infinie », et « apprend » à les agencer à l'aide d'algorithmes dynamiques complexes qui lui permettent d'obtenir une réponse que le programme juge adéquate.
Deux remarques. ChatGPT enregistre les messages qui lui sont adressés par l'utilisateur au cours d'une conversation. Une interface de filtrage empêche ChatGPT de produire des réponses potentiellement offensantes, notamment racistes ou sexistes.
---
Voilà. L'idée de ce billet était de « soulever le capot de la voiture » et de démystifier ce qui n'est qu'un outil, un robot, une machine. Un machin. de rappeler que ChatGPT n'est pas intelligent, au contraire de ces concepteurs. de rappeler que ChatGPT n'apprend pas, il progresse.
Il faudrait un essai tout entier pour appréhender les conséquences vertigineuses qu'aura le développement de l'I.A. sur nos vies. Il faudrait relire l'oeuvre de Philip K.Dick et de
Jorge Luis Borges.
A tous les lecteurs qui ont de jeunes enfants, ou petits-enfants, lisez-leur «
Mon chat le plus bête du monde » de toute urgence, avant qu'un autre Chat ne le fasse à votre place.
---
Qui a écrit cette chronique ? @Isidoreinthedark ? Ou bien ChatGPT ?
« Because something is happening here but you don't know what it is
Do you, Mr. Jones? » (
Bob Dylan)