La Fille aux cheveux rouges, tome 1 : Le chemin de cendre

il nous tolère, il lui arrive même de nous protéger, mais si on le contrarie, alors là c’est une autre chanson… J’ai l’habitude de lui faire des offrandes. Je me conduis avec lui comme les Romains avec leurs dieux lares. Je vais jusqu’à cette gloriette et je dépose une assiette de corned-beef… ou de porridge… Le matin et le soir. Quand le repas lui plaît, il me laisse en paix, si le menu n’est pas à sa convenance, je dois m’attendre à une méchante farce. Je retrouve ma tente sens dessus dessous, ou bien mes pantalons lacérés, ou mon lit compissé… C’est ainsi. Il ne faut pas agacer le petit dieu. Et rien ne l’irrite plus que de le regarder en face. Ne cherchez jamais à le voir, il pourrait vous en cuire. Si vous entendez du bruit dans un taillis, je vous conseille de détourner les yeux et de faire comme si de rien n’était. Ne vous étonnez pas si vos affaires disparaissent. Le « lutin » souffre de kleptomanie. À votre place, je cacherais mes cheveux sous un foulard, car il pourrait bien venir vous les couper la nuit prochaine. Tel que je le connais, tout ce rouge doit l’énerver.

Un véritable puzzle sur lequel trônaient deux vases précieux également reconstitués à partir de miettes de porcelaine éparses. Les miroirs, les tableaux, les sièges, tous avaient subi la même intervention. Telle Isis inventant la première momie à partir des débris d’un cadavre jeté dans le Nil, l’auteur de cette restauration avait dû passer des jours entiers à jongler avec un gigantesque puzzle.

Les Boches veulent te récupérer… tu sais, comme dans ces histoires de Grecs qu’on nous serinait au collège : la guerre de Troie, Achille, Ajax… Tu étais leur Hélène, tu t’es enfuie avec un prince anglais, alors ils ont décidé de te reprendre. Oui, je crois que c’est ça. Tu es très importante pour eux,

Les amnésiques avaient peut-être tort de s’obstiner à fouiller dans le grenier des souvenirs. Le mieux était sans doute de tourner le dos à tout ça, franchement, et de s’en aller sans se retourner.

un vieillard s’approcher d’elle. Coiffé d’un chapeau melon cabossé, les joues mangées par une barbe grise de trois jours, il portait sur le bout du nez de curieuses lunettes rondes d’un autre âge. Malgré sa dégaine, son maintien restait celui d’un homme de la bonne société.