AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782204095365
720 pages
Le Cerf (26/11/2011)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Il peut sembler surprenant que les Cahiers , dont chaque titre renvoie à l'éprouvée et officielle assurance de la pérennité littéraire et philosophique, offrent l'un de leurs volumes à une figure qui n'est pas encore consacrée par l'un, quelconque, des dictionnaires en vigueur. Consacrer cependant ainsi un tel travail à l'oeuvre d'un homme disparu précocement il y a cinq ans, c'est prendre de l'avance sans prendre le moindre risque. Nous faisons oeuvre de pionniers.... >Voir plus
Que lire après Philippe MurayVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Une quinzaine d'années après la mort de Philippe Muray, les penseurs libres qui subsistent encore en France commencent à mesurer l'importance de cet auteur. A la fin de sa vie, il a connu la notoriété grâce aux lectures scéniques de ses textes par Fabrice Lucchini, et même dans la sphère médiatico-littéraire, qui ne peut étouffer éternellement le génie dans un pays non encore domestiqué. De là, ce volume des Cahiers d'Histoire de la Philosophie, ouvrage collectif publié par le Cerf en 2011, et qui fait le point sur l'auteur.

Philippe Muray est l'artiste et le penseur qui eut le courage de se colleter avec notre monde dans ses récentes transformations. Pour simplifier, l'oppression politique et idéologique contemporaine fait croire qu'elle agit pour notre bien, qu'elle incarne le progrès et la résolution de toutes les souffrances de l'affreux passé. Elle nous donne à croire qu'elle réalise l'utopie sur terre : plus de frontières, plus de maladies, plus de "haine", plus de différences, et donc, plus de différends. Pour accomplir son oeuvre, elle diffuse une propagande progressiste de tous les instants, change le langage même, comme on le voit ici tous les jours sur Babelio, et anesthésie les esprits dans un bavardage bébé plein de bons sentiments.

Afin de dévoiler les stratégies de domination contemporaines, Muray pratique l'outrage, ce qui l'a fait passer pour un polémiste dans la presse paroissiale (Monde, Libé, Inrocks), alors que rien n'est plus comique qu'une simple citation de Mme Hidalgo ou du NPA. Muray se contente de citer les médias, et cela suffit : ce monde progressiste n'a pas l'habitude de se regarder dans la glace. Mais il va plus loin et approfondit son enquête en étudiant la généalogie du progressisme, dans son "XIX°s à travers les âges", en quoi il fait oeuvre nietzschéenne d'archéologie du ressentiment et des préjugés moraux contemporains. A l'image de Nietzsche, il brouille la distinction entre le penseur et l'artiste : son idée directrice, c'est que la littérature, le roman en l'occurrence, dévoile les horreurs du présent mieux que ne saurait le faire une sociologie de cour. Bien sûr, pas tous les romans ... Duras, Makine, Picouly, "auteures" engagées et autres polars nordiques ne sont pas concernés. Son style extraordinaire fait partie intégrante de sa pensée, et c'est dans les essais littéraires qu'il a écrits, sur Céline et Rubens, qu'il a placé le meilleur de sa pensée.

Ce fort volume analyse donc tous les aspects d'une oeuvre que la mort a close sur elle-même. Beaucoup d'études donnent envie de relire ou de lire ce qui est moins connu de lui. Même les chroniques les mieux ancrées dans une actualité déjà périmée (et rien ne se périme davantage que cela) conservent leur valeur jubilatoire et prophétique : il suffit de changer les noms, le reste suit. Ce livre, très spécialisé, ne jouera pas le rôle d'introduction à l'oeuvre de cet auteur majeur : il n'est utile qu'à des lecteurs déjà fidèles de Philippe Muray, qui sont passés au crible de ses essais et qui ne peuvent plus voir le monde-monstre d'aujourd'hui de la même façon.
Commenter  J’apprécie          240

Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
[Lakis Proguidis sur la publicité : "Avec Muray on ne ferme pas"]
Le langage publicitaire, dit-on, doit, par l'usage ludique de la grammaire, de la syntaxe, de l'image et du son, perturber les sens des consommateurs potentiels, les obligeant ainsi à sortir momentanément de leur monde familier. En général, on accepte la publicité comme si elle faisait partie de la nature des choses. Combien de fois n'ai-je pas demandé à mes proches de m'expliquer tel ou tel slogan publicitaire à mon avis incompréhensible ! La réponse tombait, crue : ne cherche pas, c'est de la publicité. Mais cela n'a pas de sens, insistais-je. C'est pour vendre, concluaient de manière à ne pas donner suite, mes interlocuteurs. Curieux, tout de même, ce monde appelé "du marché" qui se qualifie d'impeccablement, voire implacablement logique, et qui, afin de se réaliser, c'est-à-dire de transmuer tout ce qu'il touche en marchandise, (en objet vendable, achetable, jetable), fait usage d'un langage expressément faux et mensonger. Passons. Le fait est que nous naissons, grandissons et mourrons dans un environnement mentalement déréglé. Nos bâtiments, nos rues, nos montagnes et nos champs, nos écrans, nos vêtements, nos journaux, notre ciel et nos stades, nos objets, nos corps et nos tombeaux deviennent (au nom du marché) des supports du non-sens.

p. 191
Commenter  J’apprécie          100
Philippe Muray, "Bloy : l'autre écriture des limites", 1978, cité p. 433-439.

Peut-être la faiblesse des avant-gardes est-elle d'avoir lié leur volonté de transgression à la lutte contre l'obscurantisme et pour les Lumières, c'est-à-dire d'avoir fini par se trouver prisonnières du militantisme du progrès. Ce serait vérifiable, sans doute, dans l'histoire du surréalisme, et cela en révélerait quelques faiblesses. Par ailleurs, lorsqu'en 1928, Artaud, à la fin de la représentation de "Partage de Midi", traitait Claudel d'"infâme traître" et que Paulhan lui écrivait : "Artaud, est-ce vous qui tout d'un coup abandonnez votre pensée à ces facilités, à ces absences d'âme, à ces trucs : l'anticléricalisme, la révolution politique ?", qui était en fin de compte le plus lucidement pessimiste ? Lequel des deux, Artaud, Paulhan ? Qui avait raison ? Et pourquoi la transgression réelle, la révolte véritable contre l'ordre du monde passent-elles finalement mieux (parfois) dans une écriture qui s'adosse à l'attente de la fin du monde et se nourrit de la pensée de la Résurrection ? Avant de refermer la porte sur le refus d'écoute de toute parole religieuse ou mystique, il faudrait peut-être sérieusement réfléchir à cette question.
Commenter  J’apprécie          80
Cyril de Pins, "La barbe altière et riante de Philippe Muray".

...Nietzsche, après Pindare, commandait : "Deviens ce que tu es", ce qui supposait justement que jamais je ne faisais un avec moi-même. L'impératif moderne, hypermoderne, libéré du péché par ignorance et par mépris, c'est celui qui nous enjoint d'être nous-mêmes.
"Il faut être soi-même", disent tous nos modernes. Jamais sans doute, dans l'histoire de l'humanité, impératif ne reçut réponse plus unanime, ni commandement ne fut suivi d'une aussi universelle obéissance, ni mot d'ordre ne fut plus célébré. C'est même devenu le grand Ausweiss autorisant toutes les goujateries : "Au moins, je suis moi-même" ; "Ce qui compte, c'est que je sois moi-même." ...
Cette coïncidence avec soi, c'est celle de l'animal. En renonçant à la fable du péché originel, nous renonçons à ce qui nous distinguait de l'animalité : l'homme seul doit accomplir activement son humanité, devenir homme. L'animal peut se laisser aller à être ce que sa nature lui commande d'être et il sera tout ce que son espèce peut atteindre. Devoir devenir homme, ne pas coïncider avec soi, voilà où vient se nicher la nécessité du langage, de la pensée, du doute, de l'espérance et et la foi (nécessité qu'ils alimentent en retour). La recherche de la vérité ... est une quête impensable et impossible aux êtres qui sont déjà tout ce qu'ils peuvent être.

pp. 482-483
Commenter  J’apprécie          60
(Texte inédit de Philippe Muray, publié en 2011). "Adresse au petit homme".

Tu es si malheureux, si démuni, si psychologiquement appauvri, que tu prends tous les pseudo-événements spectaculaires pour des lanternes et tous les Marchands de Bien pour des Messies. Je t'ai entendu et je t'entendrai encore mille fois crier : "Rien ne sera plus jamais comme avant !" Après sa première étreinte avec Rodolphe, Emma Bovary se regardait dans un miroir et se répétait, fiévreuse : "J'ai un amant ! un amant !" Je te vois, sous n'importe quel prétexte, crier : "J'ai un événement ! J'ai un événement ! J'ai une guerre !" Mais ton excitation de quelques jours ou de quelques heures n'est que la conséquence de l'évanouissement de tes derniers espoirs de jouir, petit homme.

p. 16
Commenter  J’apprécie          70
Extrait de "Roues Carrées", in "le cancer du moderne. Une vue d'ensemble des "Roues Carrées" de Philippe Muray, p. 568.

Minorité nous sommes, minorité de plus en plus minoritaire nous serons, et c'est à ce titre que nous devons avoir accès à ce statut de dominés minoritaires qui ouvre sur de nombreux privilèges dérogatoires, droits particuliers, quotas, dégrèvements fiscaux, réparations, promotions spéciales, petits soins, tarifs préférentiels sur certaines compagnies aériennes, compensations compassionnelles et compensatrices, possibilité d'emmerder le monde jusqu'à la fin d'icelui et au-delà. De manière plus générale, il est clair que si nous revendiquons l'égalité afin d'avoir autant de droits que les autres, nous revendiquons également la différence afin d'en avoir davantage. Comme tout un chacun.
Commenter  J’apprécie          50

Video de Jacques de Guillebon (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jacques de Guillebon
Entretien avec Jacques de Guillebon.
autres livres classés : modernitéVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (14) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
440 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}