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René L. F. Durand (Traducteur)
EAN : 9782070381203
224 pages
Gallimard (03/03/1989)
3.97/5   15 notes
Résumé :
Dans Retour aux sources, un vieux nègre contemple les ruines de la maison où il a toujours servi et opère une remontée dans le temps, faisant resurgir des décombres l'ancienne splendeur coloniale. Dans Office des ténèbres, un personnage illustre, sur son lit de mort, revit jour après jour, mais à l'envers, son passé, en redescendant vers l'enfance pour pénétrer dans le néant qui a précédé celle-ci, tandis qu'au fil des souvenirs le mobilier, les objets qui l'entoure... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Carpentier réalise ici ce que peu, très peu d'auteurs latino-américains osent faire: décrire la réalité. Malheureusement, les romans connus de certains auteurs de ces contrées lointaines nous présentent trop souvent un monde vert empli de jungle et de singes, perroquets et autres serpents arboricoles, parsemé de quelques villes à l'architecture coloniale, habité par une aristocratie bienfaisante et généreuse qui prend pitié des indios et des noirs.
Loin de cette littérature inoffensive et mensongère, le recueil de Carpentier, reprenant et approfondissant certains épisodes déjà abordés dans la Harpe et l'ombre, assume pleinement cet héritage de violence et d'aveuglement, de massacres et de pillage qu'on appelle faussement la Conquête.
À commencer par les encomiendas, ce merveilleux outil à écraser les hommes, qui sera la politique officielle de tout un continent: esclavage de masse, déportation massive, bûchers offerts aux dieux cannibales des européens, destruction de cultures trois fois millénaires. Mais le nouveau système politique implanté par l'envahisseur étranger ne se suffit pas à lui-même: il attirera tous les bandits, voleurs, violeurs et meurtriers de l'Europe, y voyant un gain facile et une façon d'échapper à la justice. Et tout cela, bien sûr, au nom de ce fondamentalisme chrétien fanatique qu'on appelle église catholique, les pires atrocités de l'histoire seront commises sur une durée de trois siècles.
Heureusement, Carpentier ne détourne pas le regard quand vient le temps de fouiller les poubelles de l'histoire. Même avec de courts récits, il s'autorise à affronter la réalité et à remettre un peu de vérité dans ce fouillis qu'on appelle malencontreusement littérature latino-américaine.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Office des ténèbres
                         VI
  
  
  
  
   Le 20 août, alors que l'on entonnait à peine l'Agnus Dei de la messe de dix heures, les deux tours de la cathédrale se joignirent en formant un angle droit, précipitant les cloches sur la croix de l'abside. En une seconde toutes les perspectives de la ville furent rouillées. Les avant-toits se heurtaient au milieu des rues. S'écroulant dans des directions opposées, les murs des maisons restaient un instant suspendus, avant de s'écraser dans un terrible tourbillon de poutres brisées. Les mules roulaient dans les rues pentues enveloppées dans des nuages de charbon, un sabot pris sous la sangle et le trousse-queue leur fouettant les crins. Les roses du parc s'envolèrent et tombèrent dans des fossés et des ruisseaux qui avaient perdu leur lit. Et puis, cette instabilité de la terre, ce frémissement de croupe exaspérée par une guêpe, cette dislocation des trottoirs ; ce qui était ouvert se bouchait et ce qui était bouché s'ouvrait. Même en courant, en poussant des cris, en implorant la Virgen del Cobre, on constatait qu'une rue n'avait désormais d'autre issue qu'une chambre à coucher de jeune fille ou les archives, les meubles à leur tour entrèrent dans la danse. Passant par-dessus les barres d'appui, les armoires prirent la poudre d'escampette, laissant échapper par leurs ventres ouverts leurs entrailles de draps de lit et de nappes. Toutes les pièces de vaisselle se brisèrent en mille morceaux en même temps. Les vitres s'encastrèrent dans les persiennes. de larges crevasses, remplies de peignes, de camées, d'almanachs et de daguerréotypes, divisaient la ville en îles, car l'eau des citernes, margelles brisées, coulait vers le port.
   Lorsque le sang commença à faire de larges taches sur les tissus, les satins et les feutres, tout était terminé. Une montre à gousset, encore suspendue à sa chaîne, marqua une avance d'une petite minute sur les montres arrêtées. Ce fut alors que les hommes, en se voyant encore debout, comprirent qu'ils avaient vécu un tremblement de terre. Les mouches, sorties d'on ne savait où, volèrent au ras du sol, plus nombreuses.



/ Traduit de l'espagnol par René L. F. Durand
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Une fois le pays frontière découvert, la première fournée de civilisateurs aborda sur ses rives; gouverneurs, encomenderos, hidalgos ruinés, truands des pêcheries de thon de Séville, tous grands manieurs de dés truqués, grands buveurs de vin vieux et de vin aigrelet; tous grands fornicateurs avec des Indiennes. Puis débarquèrent ceux de la seconde fournée: magistrats, avocassiers, agents du fisc et auditeurs, et la colonie se transforma, pour plus de deux siècles, en un vaste enclos de bétail et en cultures de maïs qui s'étendaient à perte de vue, coupés de potagers, où poussaient les légumes d'Espagne...
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Office des ténèbres
   … / …
                         V
  
  
  
  
   Le 19 août, après le chapelet et une collation de viandes froides, il régna une grande animation sous les arcades du théâtre. Le poète et le musicien, cravates à rayures, redingotes boutonnées jusqu'aux revers, recevaient sur leur propre domaine. Des jeunes filles arrivaient en robes de dentelles, parfumées ; elles étaient accompagnées de leur mère, qui, à peine descendue du marche-pied, renvoyait la voiture sur les quais de l'autre côté. Dans un grand tumulte de coups de fouet, d'attelages impatients, de fers à chevaux bleutés par les étincelles qui jaillissaient des galets, la société de Santiago devait assister à la générale. Les actrices d'un jour avaient copié leurs répliques sur des cahiers de collégiennes, de cette écriture caractéristique des élèves des bonnes sœurs. La jeune fille qui devait interpréter le rôle principal de L'entrée dans le grand monde s'empara de la loge où s'étaient déshabillées tant de chanteuses célèbres de tondillas émules d'Isabel Gamborino, maîtresses de grands propriétaires terriens et épouses d'acteurs. Il y avait encore des traces de rouge vif sur un plat de porcelaine blanche et une coulée de pâte au fond d'une tasse. Sur le mur s'étalait une salace interjection de muletier, tracée avec du rouge à lèvres. Le canapé de soie canari était si enfoncé, qu'il n'avait pu se creuser ainsi sous le poids d'un seul corps.
   Le souffleur se glissa dans son trou. alors commença la répétition de L'entrée dans le grand monde, qui devait être jouée le lendemain au bénéfice des Hôpitaux. On était au mois d'août, et cependant il faisait froid. Personne ne put remarquer, à cause de l'obscurité dans laquelle le parterre était plongé, que les araignées se balançaient d'étrange façon, dans un va-et-vient de pendule déréglé.



/ Traduit de l'espagnol par René L. F. Durand
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