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EAN : 9782207166949
60 pages
Denoël (19/10/2022)
4/5   3 notes
Résumé :
Les textes réunis ici sont le fruit d'un même projet, le grand roman martien, auquel travaille l'auteur à partir de 1916.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« La Fin du monde filmée par l'Ange N.-D. » est un texte de Blaise Cendrars, avec des illustrations de Fernand Léger (2022, Denoël, 80 p.). le tout se présente sous forme d'un album grand format (248 mm x 318 mm). Avec 55 petits chapitres, en gros 2-3 par page qui retracent l'apocalypse du monde moderne. Et une postface de Jean-Carlo Flückiger d'une petite dizaine de pages.
Initialement paru en 1919, avec 22 illustrations, dont vingt coloriées au pochoir. Les illustrations de Léger intègrent des lettres, des chiffres, des slogans de publicité et des citations. le texte est terminé en 1917, et annoncé à son ami Jean Cocteau « Un monstre, je te dis ». le roman, qui est tout de même inachevé paraitra une dizaine d'années plus tard. Dans « Moravagine », le « Pro Domo » final explique comment il a été conçu. Cendrars écrit « « La Fin du Monde » a été écrite en une seule nuit et ne comporte qu'une seule rature ! Ma plus belle nuit d'écriture. Ma plus belle nuit d'amour ». Datée « La Pierre, le 1er septembre 1917 ». En fait c'est la suite de « Moravagine ».
Les illustrations de Léger intègrent des lettres, des chiffres, des slogans de publicité et des citations. le but est de traduire l'agitation de la grande ville. Les caractères d'imprimerie associés aux aplats colorés rappelle la fascination du peintre pour l'esthétique de la publicité. En écho au texte conçu par Cendrars comme un scénario de film, Léger joue de surprenants effets de cadrage et de gros plans qui évoquent au fil des pages le principe du fondu enchaîné. On se souvient que Fernand Léger a été l'un des premiers à exposer publiquement des peintures cubistes. Très marqué par l'exposition rétrospective Cézanne en 1907, il découvre le cubisme de Picasso et de Braque. Ce qui fait qu'il défie Cézanne avec son « Compotier sur la table » (1909).
En 1918, il illustre le livre de Blaise Cendrars que ce dernier a conçu comme une suite de plans cinématographiques. le tout ne paraitra finalement en 1926. Léger joue sur des suites de scènes, avec des effets de cadrage qui mélangent plans larges et gros plans. le tout évoque au fil des pages le principe du fondu enchaîné.
Cendrars avait déjà abordé Sonia Delaunay en 1913 pour écrire et illustrer des « poèmes simultanés ». le résultat est « La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France »'(2011, Presses Universitaires de France, 88 p.). le texte narre le voyage d'un jeune homme, Blaise Cendrarslui-même, dans le Transsibérien qui va de Moscou à Kharbine (Harbin) en compagnie de Jehanne. Cette femme, aux prénoms multiples « Jeanne, Jeannette, Ninette » se révèle être une prostituée au fil des vers et du trajet en train. Une introduction de Miriam Cendrars, la fille de Blaise, évoque la réception mouvementée de l'oeuvre, témoin d'un turbulent renouveau des arts. La version reproduite datée de 1919, est « dédiée aux musiciens ». Elle appelle à tendre l'oreille aux sonorités, aux cadences et aux vibrations de la voix intérieure du poète.
« La Fin du monde » est inspirée par une farce américaine, écrite à la manière d'un scénario. le film, ou plutôt l‘épisode de kinétoscope, « A trip to Mars »de Thomas Edison, mis en scène par Ashley Miller, est un court métrage de 4 minutes, produit en février 1910. Un scientifique invente par mélange de deux poudres, un produit permettant de se libérer de la gravité. Pour commencer, le récipient dans lequel les deux poudres ont été jetées, s'envole. Il renouvelle l'expérience avec une chaise, résultant au même phénomène. Finalement l'expérimentateur essaie son invention sur lui-même. Il décolle à son tour et échappe à l'attraction terrestre en passant par la fenêtre. Il débarque sur Mars, où il fait connaissance de Silly. C'est une créature géante, mais néanmoins charmante tout en restant décente.
On voit que « La Fin du Monde » a des antécédents, tant dans son texte que dans es illustrations. La composition écrite évoque le montage et la succession des plans d'un film. Les illustrations évoquent les successions de fondu-enchainé. Il faut noter que les deux auteurs travaillent ensemble en 1918-1919, à la fin de la Première Guerre.
Les films sont encore muets. le parlant ne commence qu'en 1927. Même si Gaumont, en 1913, met au point une caméra bichrome comportant deux objectifs avec un filtre bleu-vert et un filtre rouge. En 1919, elle fut perfectionnée par ajout d'un troisième objectif. Grâce à ses trois filtres rouge, bleu et vert, il faut attendre 1932 pour avoir une caméra soustractive à trois bandes beaucoup plus sophistiquée. Puis viendra le Technicolor trichrome.
Le texte, lui est résolument moderne. Il a hanté Cendrars pendant ces trois années de guerre. Il y pensait sans arrêt dans les tranchées.
Fin 1911, Frédéric Sauser s'embarque pour New York, pour rejoindre Fela Poznańska, une étudiante juive polonaise rencontrée à Berne. Il l'épousera par la suite et elle sera la mère de ses enfants Odilon et Rémy, et de Miriam. Ce séjour aux États-Unis lui montre la voie, nouvelle et soumise aux lois de la mécanique, de la vitesse, de la modernité. Quand il revient à Paris, en 1912, il a trouvé sa voie, la poésie et l'écriture, qui se consume au cours de la création, puis s'éteint pour se transformer en cendres. C'est pourquoi il choisit son pseudonyme Blaise comme braise, et Cendrars comme cendre.
Survient la guerre en Août 1914. Il s'engage, est blessé, puis amputé du bras droit lors de l'assaut de la Ferme Navarrin, près de Suippes, en Champagne. Au cours de l'été 1917, qu'il passe à Méréville, entre Etampes et Pithiviers. Il découvre son identité nouvelle d'homme et de poète. Il participe aux travaux des champs. Il apprend à se servir de sa main gauche. Il rédige, au cours de sa « plus belle nuit d'écriture », le 1er septembre, La Fin du monde filmée par l'Ange N.-D. ». C'est le début d'une période d'activité créatrice intense placée sous le signe tutélaire de la constellation d'Orion, dans laquelle la main droite du poète s'est exilée.
« Moravagine » est publié en 1926, et régulièrement réédité (2022, Grasset, Les Cahiers Rouges, 242 p.), après une genèse d'une dizaine d'années. En 1956, l'écrivain a revu, corrigé et complété son roman par un « Pro domo » intitulé « Comment j'ai écrit « Moravagine » » et une postface. le style du roman, très maîtrisé, contraste avec la fantaisie surprenante de son intrigue, sans que cela ne nuise aucunement à la qualité littéraire. Ce décalage entre forme et fond fait de « Moravagine » un roman tout à fait particulier. Divisé en trois grandes parties. « L'Esprit d'une époque », « Vie de Moravagine » et « Les Manuscrits de Moravagine ». Puis chacun est divisé, soit 26 sous-chapitres, identifiés selon l'alphabet, de « a » à « z ». On voit donc que le plan d'écriture a été mûrement réfléchi, d'où la nuit d'écriture. Les 18 sous-chapitres centraux de la « Vie de Moravagine » s'étendent sur environ 200 pages, avec des longueurs inégales, et quelquefois trop importantes.
Initialement, le roman devait s'intituler « L'An 2013 », c'est-à-dire une uchronie de déroulant un siècle après sa rédaction. le tout en trois parties. La première, « morceau lyrique », décrit la terre en aout 1914. Puis suivent 7 chapitres, le coeur du récit, qui décrit « La Grande Guerre », celle qui va de 1914 à 2013, avec un tableau du monde, la situation des pays neutres, et le « Pourquoi de la Guerre ». Enfin une troisième partie, lyrique elle aussi, intitulée « Mars 2 août 2013 », narre les impressions de Moravagine sur cette planète, après s'être exilé de la terre.
Pourquoi cet engouement pour Mars, si ce n'est pour échapper à la guerre. Pas seulement. le début du siècle est marqué par les débuts des « livres d'aventures ». HG Wells a publié « La Guerre des Mondes » en 1898. C'est après que l'astronome italien Schiaparelli ait découvert et observé (1877) des trajectoires linéaires sur Mars, qui sont interprétés comme des canaux. La preuve existe qu'il y a de la vie sur Mars. L'éditeur Pierre Lafitte se spécialise dans ces romans, suivies par les « Editions G. Crès » et surtout « L'Edition Française Illustrée », avec ses couvertures au pochoir. Mais les « Lafitte » restent les précurseurs. Sortent alors une série de livres de ce qu'on n'appelle pas encore science-fiction. Avec Arnould Galopin « le Docteur Oméga : aventures fantastiques de trois Français dans la planète Mars » (1906), puis Gustave le Rouge et son mythique « le Prisonnier de la planète Mars » (1908 concomitant avec Henry Gayar et « Les Robinsons de la planète Mars » (1908) qui sera suivi par les romans de Jean de la Hire « La Roue Fulgurante » (1908) et « le Nyctalope » (1911) avant de publier des livres sur les armes et la guerre. Il y avait rue Grégoire de Tours à Paris, entre la rue Dauphine et le Boulevard de l'Odéon, un libraire qui m'a initié, et soutiré quelques espèces, pour cette littérature fantastique.
J'ai été en partie déçu de lire « La Fin du Monde filmée par l'Ange N.-D. ». En partie seulement car la mise en page est superbe. le texte aussi, mais façon script de cinéma.
Il n'y est pas question de Moravagine. Mais d'« une convocation de ses chefs de rayon » par « Dieu le père » depuis « son bureau américain ». Moravagine ne figure même pas dans la liste des 11 « chefs de rayon », ou peut-être dans les « etc, etc… ». Une bourde du protocole, sans doute. Il décide de l'anéantissement de la terre, et pour cela « il envoie un message chiffré à l'Ange N.-D. ». Ce dernier descend sur Terre, à Paris « Et l'on voit l'Ange N.-D. porter sa trompette à sa bouche ».
Et pourtant, cela fait presque un siècle que Moravagine est sur Mars. Il s'est progressivement adapté. « Connaissant ma curiosité des choses du ciel. Moravagine a établi, à mon usage, un dictionnaire des deux cents mille principales significations de l'unique mot de la langue martienne, ce mot étant une onomatopée ». On ne manquera pas de faire le parallèle avec le livre du préfacier, Paul La Farge, qui établit « The Night Ocean » (2017, Penguin Press, 400 p.) un cahier secret de HC Lovecraft intitulé « Erotonomicon », pâle copie d'un « Nécronomicon », ouvrage fictif du mythe de Cthulhu inventé par HP Lovecraft, en 5 volumes de plus d'un kilo (2021, Arcturus, un petit millier de pages). Mieux que le « Guide du Routard », le lexique martien ne contient que « l'unique mot de la langue martienne [qui] s'écrit phonétiquement « Ké-ré-keu-keu-ko-kex ». Il signifie tout ce que l'on veut ».
C'est alors qu'il reprend le manuscrit de « Moravagine ». Non sans difficulté. « Un porte-plume, c'est vache. Ça salit tout ». Moravagine a dû être exécuté à Monjuic. Mais le roman sortira en 1926.
Il lui faudra attendre le 31 décembre 2013. « L'Ange N.-D. gonfle à peine ses joues ». « le Soleil s'immobilise. Il est midi une ». « Un oeil obscur se ferme sur tout ce qui a été ».
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
...Quand je quittai la direction des Éditions de la Sirène, cette édition monumentale de Casanova était en bonne voie de réalisation et le tome premier sortait des presses (1924).

J'avais turbiné comme un nègre à la mise en train technique de cette vaste entreprise.

Je considère les Mémoires comme la véritable Encyclopédie du XVIIIe siècle, tant ils sont vivants, contrairement à celle de Diderot, et l'œuvre d'un seul homme, pas d'un idéologue ou d'un théoricien, ce grand vivant de Casanova qui connaissait tout le monde, les gens et les choses, et la façon de vivre de toutes les classes de la société dans les pays d'Europe, et la route et les hostelleries, les bordels, les tripots, les chambrières, les filles des banquiers, et l'Impératrice de Russie pour qui il avait fait un calendrier, et la Reine de France qu'il avait interviewée, et les comédiennes et les chanteuses d'opéra, Casanova qui passait aux yeux de la police pour un escroc dangereux et dans les salons pour un beau joueur ou un sorcier, le brillant Chevalier de Seingalt, chevalier d'industrie, qui fréquentait les ouvriers, les artisans, les brodeuses, les marchandes à la toilette, le petit peuple des rues, cochers et porteurs d'eau, avec qui il était à tu et à toi comme avec le prince de Ligne, comme avec le comte de Salmour qui se mourait d'impatience pour avoir la suite de ses Mémoires alors que ces Mémoires n'étaient pas encore publiés mais circulaient sous le manteau et par courriers rapides qui galopaient à travers l'Europe (et depuis lors le public ne s'en est pas encore rassasié ! ), l'homme s'étant improvisé écrivain à l'âge de 60 ans pour meubler ses loisirs de bibliothécaire dans un château de Bohême, les soirées et les nuits d'hiver étant plus longues que les mille et une nuits de Shéhérazade dans le château désert du comte de Wallenstein de Dux, malgré les 25.000 volumes de la bibliothèque, le viveur se sentant devenir vieux dans la solitude, il revivait sa vie crépitante, noircissant des cahiers tout en ajoutant des bûches au feu de la cheminée, et je trouve prodigieux le sort de ses écrits qui sont devenus un des grands livres du monde alors que le vieillard n'était en rien gens de lettres ni ne maîtrisait sa langue et que la version que l'on connaît des Mémoires n'est ni le texte original ni même une traduction fidèle ou un arrangement moralisateur ou un choix des meilleurs morceaux ou une adaptation piquante, érotique, ce qui est un cas unique dans l'histoire de la littérature mondiale pour un écrit devenu un livre de chevet et prouve bien que malgré l'avis des psychologues, des moralisateurs, des historiens, des hommes de plume professionnels nul n'est besoin d'avoir du style, de la grammaire, de l’orthographe, de la science, des idées, de la religion, ni même une conviction quelconque pour écrire un livre immortel, et que le tempérament et l'amour de la vie y suffisent, ainsi que l'amusement d'écrire sans prétention et pour son seul plaisir des histoires vraies.


En outre de l'édition monumentale des Mémoires, quand je tournai le dos à La Sirène j'avais préparé 221 volumes, tous prêts à l'impression et qui furent publiés ou ne le furent pas dans la Collection des Tracts, des Anthologies, des Poètes d'Aujourd'hui, des Petits Écrits Mystiques, des Romans d'Alexandrie, des Romans de Byzance, des Carnets des Peintres, de La Sirène Musicale, des traductions (Stevenson), des réimpressions (Villon, Nerval, Baudelaire, Lautréamont, Apollinaire), des inédits (Mallarmé, Radiguet). J'avais tourné le dos. J'avais tourné la page. J'étais parti au Brésil. Je prenais des films. Je chassais. Je voyageais. Je flânais. Je perdais mon temps. Je respirais, je vivais et foin des bibliothèques ! Quant aux livres en panne que j'abandonnais au bon et au mauvais génie de La Sirène, je n'y pensais plus...

Parmi ces livres était le scénario de LA FIN DU MONDE sur lequel je comptais beaucoup pour faire fortune, mais... habent sua fata libelli.

Un éditeur devrait être astrologue !
BLAISE CENDRARS.

(Saint-Segond, 27 janvier 1949)
extrait de la préface à la Fin du Monde, édition Seghers, 1956.
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Le soleil s'est dissous. Espèce de brouillard granuleux et phosphorescent sur une mer décomposée où bougent lourdement quelques larves obscènes, géantes, tuméfiées.
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